Intervention de Gaëtan Gorce

Réunion du 23 octobre 2014 à 9h00
Débat sur le rôle et la stratégie pour l'union européenne dans la gouvernance mondiale de l'internet

Photo de Gaëtan GorceGaëtan Gorce :

Dans les années soixante-dix, nous étions, d’une certaine manière, maîtres des événements. Si les États-Unis ont repris la main sur l’ensemble du dispositif, ce n’est pas tant parce qu’ils ont fait preuve d’une compétence ou d’une inventivité supérieure, mais parce qu’ils ont su organiser une véritable stratégie autour d’objectifs. La faiblesse de l’Europe, en particulier de la France, tient au fait qu’elle n’a pas su se donner les moyens d’atteindre les ambitions qui sont naturellement les siennes, au regard des compétences et des savoir-faire qu’elle contrôle et maîtrise. Il s’agit donc aujourd’hui de savoir comment l’Europe peut, non pas reprendre la main, mais faire en sorte qu’internet redevienne ce qu’il était dans l’esprit de ses fondateurs, c’est-à-dire un système économique, social et technologique sur lequel chacun – d’abord les citoyens et les démocraties – ait un droit de regard. C’est le débat qui nous est proposé.

L’Europe a des atouts considérables pour y parvenir. Nous ne devons donc pas aborder les discussions qui s’amorcent avec le sentiment que nous sommes faibles, même si le rapport de force est évidemment en faveur de nos amis américains. Ces atouts sont d’abord liés au fait que le marché européen est indispensable aux grandes entreprises américaines en raison du pouvoir d’achat et du niveau d’éducation de ceux qui le composent. Les règles dont nous nous doterons auront par conséquent une influence importante sur l’activité de ces entreprises.

Abordons ces sujets avec la conscience de ce que nous sommes et des valeurs que nous défendons. À cet égard, la discussion qui s’engage sur le règlement européen est particulièrement utile puisqu’elle nous permettra, au-delà des points de vue exprimés par chaque gouvernement, de nous doter d’un système juridique susceptible d’influencer fortement le reste du monde et de modifier nos rapports avec les entreprises américaines. Il est donc souhaitable, et j’espère que vous nous en direz un mot, madame la secrétaire d’État, que la question du règlement européen – laquelle ne dépend pas seulement de nous – soit traitée rapidement et que ce texte soit adopté dans de brefs délais, car il sera tout à fait utile à la négociation qui s’engage sur d’autres sujets ; j’en citerai quelques-uns auxquels nous devons rester attentifs, et sur lesquels il sera nécessaire que le Gouvernement, profitant de ce débat, puisse nous informer.

Tout d’abord, s’agissant du safe harbor l’accord passé, à la demande d’entreprises américaines, entre l’Union européenne et les États-Unis sur le transfert de données en direction des États-Unis –, sujet abordé par plusieurs orateurs, et notamment par Catherine Morin-Desailly, la négociation a été rouverte après l’affaire Snowden. Cet accord, qui date de 2000, reposait au fond sur une sorte de confiance réciproque qui, à l’évidence, a été trahie, au point d’ailleurs que le Parlement européen avait conseillé de suspendre les transferts de données, rappelant que nos autorités de contrôle pouvaient également prendre cette décision si elles le jugeaient utile. Nous ne sommes pas allés jusque-là ! Pour autant, nous devons veiller à ce que, dans le cadre de la négociation du safe harbor, nos principes soient mieux respectés. Par exemple, un citoyen européen dont les données ont été utilisées contre son gré aux États-Unis, ce qui va à l’encontre des règles fixées par l’Union européenne, doit pouvoir disposer des voies de recours adéquates, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Je ne sais pas, madame la secrétaire d’État, où en est la discussion sur le safe harbor, mais il serait très utile que vous nous l’indiquiez. On parle en effet beaucoup des autres négociations, mais assez peu de celle-ci, alors même que ses conséquences sont très importantes.

La seconde négociation qui a son importance dans cette affaire est celle menée sur le traité transatlantique de libre-échange, qui fera l’objet d’une séance de questions cribles cet après-midi au Sénat. Il est nécessaire de rappeler qu’il n’est pas souhaitable de confondre cette négociation avec celle, que je viens d’évoquer, relative au respect des règles sur la protection des données. Nous disons clairement dans le rapport que ces deux discussions doivent être distinctes. Néanmoins, la question des normes sera soulevée au cours de la négociation du traité transatlantique, ne serait-ce que sur certains aspects particuliers, comme l’internet des objets. L’enjeu est donc très important au regard de nos valeurs. Or je suis très inquiet de la façon dont les choses se passent, à la fois parce que nous ne disposons pas d’informations suffisantes – il semble à cet égard qu’une évolution se profile, notamment à la demande de la France ; tant mieux ! – et parce que l’organisation de cette négociation dénote nos faiblesses traditionnelles en face de négociateurs bien formés et intégrés.

Quand on interroge de grandes entreprises françaises qui ont des intérêts dans cette négociation, s’agissant notamment du numérique, celles-ci nous disent qu’elles ne sont pas associées de manière étroite à la discussion par les négociateurs européens. Les Américains, eux, ont mis en place des comités spécifiques au sein desquels sont discutés les enjeux ; de notre côté, nous ne l’avons pas fait, ce qui signifie que nous nous préparons à vivre une situation très délicate. Je tiens donc à exprimer mes craintes pour ce qui concerne l’aspect industriel de cette question, même si cette négociation comporte également des enjeux diplomatiques, économiques et sociaux et, bien sûr, d’image. La mission commune d’information a essayé de mettre le doigt sur ces différents sujets.

Je ne reviendrai pas sur les divers aspects abordés depuis le début de la présente discussion : la nécessité d’une stratégie industrielle européenne, que je viens d’évoquer en creux à propos du safe harbor ; la nécessité de se doter d’un cadre juridique solide et offensif, lequel nous permettra d’être bien campés sur nos appuis, comme on dit en sport, pour avancer ; la nécessité de réfléchir à une coopération renforcée entre les nations européennes sur un certain nombre de sujets. Je regrette, de ce point de vue, que les propositions du gouvernement allemand n’aient pas toujours été entendues et reprises du côté français, comme la constitution d’un cloud européen et la réflexion sur la mise en place d’un internet européen des sécurités qui doivent l’accompagner...

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion