Intervention de Axelle Lemaire

Réunion du 23 octobre 2014 à 9h00
Débat sur le rôle et la stratégie pour l'union européenne dans la gouvernance mondiale de l'internet

Axelle Lemaire :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de commencer par remercier M. Gattolin d’avoir évoqué la tuerie qui a eu lieu hier à Ottawa. Au nom du Gouvernement, j’adresse mes condoléances à la famille du soldat tué. Le Président de la République aura l’occasion de s’entretenir des suites de cette affaire lors de son déplacement officiel au Canada dans quelques jours.

Madame Morin-Desailly, je vous remercie du rapport d’information que vous avez rendu, et je tiens à saluer la qualité et le sérieux du travail des membres de la mission commune d’information. Ce travail parlementaire est très utile au Gouvernement. Sachez qu’à Berlin, où j’étais voilà quelques jours, j’ai rencontré les parlementaires allemands membres de la nouvelle commission parlementaire « Agenda numérique » et j’ai cité les travaux menés par le Sénat français. Je le fais également avec d’autres de mes interlocuteurs lors de discussions relatives à des enjeux d’ordre commercial ou privé.

Je partage très largement les constats dressés dans ce rapport d’information et, tout d’abord, son postulat de base. Oui, nous avons péché par naïveté vis-à-vis des grands acteurs de l’internet et, probablement, des stratégies que le gouvernement américain a déployées dans les dix dernières années, avec l’avènement d’un internet de grande ampleur ! Cette erreur a fait prendre du retard à l’Europe par rapport aux États-Unis et à la Chine. De ce point de vue, la France n’a pas été en reste, et cela n’a pas commencé avec la signature d’un accord avec Google sur la presse. Non, cette naïveté s’est exprimée avec beaucoup de force au moment du premier G8 en 2011, où nous avons déroulé le tapis rouge aux géants de l’internet, sans nous poser la question du rôle que pouvait jouer notre pays dans cette nouvelle configuration internationale. Toujours est-il que nous sommes plus lucides aujourd’hui. Le temps de la reconquête et de la contre-offensive est venu.

Beaucoup l’ont souligné, la France ne peut pas être seule dans ce combat. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement cherche activement à convaincre ses partenaires européens de la nécessité d’agir ensemble à l’échelle européenne.

Cela a également été rappelé, les outils opérationnels en matière de droit de la concurrence en vigueur à l’échelon européen ont été beaucoup trop concentrés sur la levée des barrières au sein de l’Union européenne. Il a manqué une véritable stratégie industrielle qui puisse prendre en compte les avantages et les inconvénients des acteurs nationaux et européens. Là aussi, il est largement temps de réagir.

La France, au même titre que l’Europe, se caractérise par un socle très solide de valeurs concernant sa vision d’internet. Celles-ci ont sans doute été trop peu mises en avant politiquement dans les débats, si bien que, contrairement à d’autres gouvernements, nous n’envisageons pas suffisamment à l’échelon européen internet comme un outil de géopolitique et de soft power.

Enfin, nous nous heurtons à une difficulté récurrente qui est propre à notre continent, celle d’unir les entreprises, les pouvoirs publics et la société civile dans un message commun. Il est facile de tirer sur le gouvernement français ou sur les institutions européennes. Le contraste est assez frappant avec les tactiques menées par les acteurs américains, chinois ou japonais, par exemple lorsqu’il s’agit de défendre certaines valeurs à l’échelle internationale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, maintenant qu’il est établi que vos observations sont largement partagées, je tiens à vous expliquer comment le Gouvernement agit. Car, oui, le Gouvernement agit, et même très activement, à l’échelon européen ! Je dirais même que la France est désormais perçue comme l’État qui porte le plus haut la voix dans les enjeux sur la gouvernance de l’internet au sens large.

Vous avez envisagé la problématique de manière large, puisque vous avez évoqué la concurrence, la fiscalité, les données personnelles, la politique d’attractivité en matière d’écosystème numérique, la politique industrielle et culturelle. Cela tranche totalement – c’est une avancée notable – avec la vision plus classique, qui s’attachait à parler d’infrastructures, de télécommunications ou du strict secteur culturel. Cette position est l’exact reflet de l’approche ambitieuse que défend le Gouvernement.

En matière de fiscalité – je sais que c’est une préoccupation des parlementaires et, en ce sens, mesdames, messieurs les sénateurs, vous vous faites l’écho des préoccupations de nos concitoyens –, la France mène le combat pour rétablir l’équité, qui a été détournée par des mécanismes que permet l’économie numérique : redevances immatérielles, absence d’établissement stable, optimisation fiscale au moyen de sandwiches divers et variés...

Vous savez sans doute que l’OCDE a publié au mois de septembre dernier un premier rapport d’étape de son groupe de travail sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, dit « BEPS ». Ce document, qui compte plusieurs centaines de pages, montre à quel point les questions sont complexes. L’objectif est de réviser les règles internationales en la matière. Les travaux avancent, sans doute trop lentement, et la France maintient une position très ferme dans ces négociations. Notre pays se fait également entendre dans les instances internationales, tel le G20. Ce sera prochainement le cas en Australie où le sujet de la fiscalité et de la lutte contre l’optimisation fiscale sera au cœur des discussions.

La France a des contentieux avec plusieurs grandes plateformes numériques, comme Google ou Amazon. Leur issue est regardée de très près en Europe. En effet, une brèche juridique qui s’ouvrirait en France pourrait sans doute inverser le rapport de force qui s’est établi jusqu’à présent à l’avantage des géants de l’internet.

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