… puisque, pour la première fois, voilà quelques semaines, le commissaire Almunia a exprimé des hésitations quant à l’issue à donner à ce contentieux.
La nouvelle commissaire européenne, Mme Vestager, a naturellement été saisie de cette question. Je m’entretiendrai prochainement avec elle, après ma rencontre avec des responsables allemands du secteur privé, notamment ceux du groupe Axel Pringer, très engagé dans ce domaine.
La France demande que la question de la régulation des plateformes numériques soit inscrite à l’ordre du jour des travaux du Conseil européen, notamment du prochain Conseil « Transports, télécommunications et énergie » qui se tiendra le 27 novembre à Bruxelles. Il s’agit là d’une demande constante que nous lions à d’autres négociations en cours, notamment celles qui concernent le marché unique des télécommunications. Nous souhaitons avancer de manière constructive sur certains sujets, en particulier pour faire reconnaître la neutralité du net dans le droit européen. Cette avancée doit aller de pair avec la priorité donnée à la régulation des plateformes dans l’agenda européen.
J’en viens à un sujet qui n’a pas été abordé, si ce n’est peut-être par Mme Garriaud-Maylam, la directive sur la sécurité des réseaux et des systèmes d’information, dite « directive SRI ». Sur ce sujet, la France a une vision forte, considérant qu’il faut inclure les grands services de l’internet dans ce que l’on dénomme « les infrastructures vitales » de notre économie, au même titre que les centrales d’énergie ou les réseaux d’eau ou de télécommunications. Le Gouvernement négocie pour que cette possibilité soit laissée aux États membres de l’Union européenne dans le texte de la directive qui est en cours de négociation et qui devrait aboutir assez rapidement.
Il a beaucoup été question de réglementation. Il va de soi que, pour rétablir l’équité dans le rapport de force, il faut aussi faire émerger en France et en Europe des acteurs économiques puissants. C’est tout l’enjeu de l’action du Gouvernement en matière économique, action qui est très soutenue par les écosystèmes numériques. C’est pourquoi nous avons créé un label unique, un emblème fédérateur, la French tech. Dans quelques jours, j’annoncerai le nom des premières métropoles qui seront labellisées et qui serviront de tête de réseau à l’ensemble des territoires français, pour que nos écosystèmes numériques soient attractifs à l’échelon international. Nous parlons donc d’une voix unie sur ce sujet, et l’inauguration par la pose de la première pierre numérique de la Halle Freyssinet hier aidera à porter le message d’une économie numérique française forte dans cette compétition internationale.
Nous travaillons sur la question du financement. Le rôle de la Banque publique d’investissement est absolument fondamental pour la phase d’amorçage des start-up. L’enjeu économique consiste désormais à faire croître nos entreprises sur le sol français et en Europe afin qu’elles y créent des emplois. Le scale up – pardon pour l’emploi de ce terme anglais –, le changement d’échelle doit se faire ici plutôt qu’aux États-Unis, où elles partent aujourd’hui s’installer faute de financement en France. C’est la raison pour laquelle nous prenons une série de dispositions pour assouplir et vitaliser le marché du capital investissement en France. Nous encourageons l’État, les collectivités locales, les hôpitaux publics à ouvrir leurs achats aux entreprises innovantes. C’est un potentiel qui est encore sous-utilisé, ce qui explique en partie la faiblesse des acteurs économiques français par rapport aux Américains.
Vous connaissez tous les dispositifs existants concernant la recherche et le développement en France. Ils sont inégalés à l’échelon européen et expliquent pour beaucoup la force de nos écosystèmes numériques.
En ce qui concerne la gouvernance de l’internet par le biais des instances techniques, notamment de l’ICANN – c’est un sujet qui peut sembler complexe à nos concitoyens, mais qui n’est pas si ésotérique qu’il y paraît –, les choses avancent très vite. D’ailleurs, certains débats ont déjà été tranchés. Ainsi, l’Europe ne défend pas un modèle intergouvernemental, mais un système multipartite. Simplement, elle considère – ce point a été bien souligné dans le rapport parlementaire – que ce système doit être ouvert, transparent, véritablement international et non pas laissé aux mains de certains acteurs.
Je rappelle que, aujourd'hui, à l’ICANN, 80 % des entreprises composant la business constituency, le groupe représentant les entreprises, sont non seulement américaines, mais aussi issues du secteur de l’internet. C’est pourquoi il est difficile aux entreprises venant d’autres secteurs économiques, notamment non technologiques – je pense à la viticulture –, de se faire représenter et de défendre leurs intérêts au sein de telles instances techniques. Dans le groupe sur la transition IANA, par exemple, onze des trente membres sont américains.
J’ai défendu avec beaucoup de force ; vous le savez, la question de la délégation des noms de domaine en « .vin » et « .wine » au sein des instances de l’ICANN. Quelques jours après ma nomination, je me suis rendue au Brésil pour le sommet NETmundial, où la France a défendu une position en étant quelque peu isolée au départ. Nous avons plaidé en faveur d’un modèle alternatif de gouvernance de l’internet, véritablement ouvert à tous, en particulier aux pays en voie de développement. Peu à peu, la France a été entendue, à commencer par l’Europe puisque, en l’espace de six mois, la présidence italienne de l’Union a décidé de faire de cette question la priorité de son mandat. Lors du Conseil informel des ministres chargés des communications électroniques qui s’est tenu à Milan il y a quelques semaines, nous sommes parvenus à une déclaration commune très consensuelle, au point que l’ICANN et le gouvernement américain s’en inquiètent. Les États européens ont compris qu’il fallait s’exprimer d’une même voix sur le sujet.
J’ai mesuré l’opacité du système de délégation des noms de domaine lorsque je me suis rendue à Londres, il y a quelques mois, à la réunion du GAC, le Governmental Advisory Committee, c'est-à-dire le comité consultatif gouvernemental, de l’ICANN, où j’ai négocié au milieu de la nuit la délégation « .vin » avec la délégation américaine. J’ai alors compris à quel point la règle du rough consensus, d’un consensus qui se voudrait unanime, est en réalité un droit de veto octroyé au gouvernement américain et à ses partenaires, lesquels sont toujours les mêmes sur ces questions.