Intervention de André Vallini

Réunion du 23 octobre 2014 à 9h00
Prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de André ValliniAndré Vallini :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée entame aujourd’hui l’examen en première lecture de la proposition de loi tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l’échange en matière de voies rurales.

Le droit de la propriété des personnes publiques se fonde sur la distinction entre domaine public et domaine privé, l’appartenance d’un bien à l’un ou à l’autre déterminant le régime juridique qui lui est applicable, ainsi que la compétence juridictionnelle en cas de litige. Cependant, les caractéristiques propres à certains biens justifient que leur régime déroge, sur certains points, à cette distinction. Tel est le cas des chemins ruraux, comme l’a expliqué, avec beaucoup de pertinence, Henri Tandonnet, dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi et dans son intervention à cette tribune.

La France compte près de 750 000 kilomètres de chemins ruraux, dont l’importance est souvent méconnue, alors qu’il s’agit d’un réseau dont l’histoire est séculaire et qui est considérable si on le compare à ceux des pays voisins de taille comparable.

La définition des chemins ruraux est contenue dans l’article L. 161-1 du code rural, aux termes duquel les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l’usage public, qui n’ont pas été classés comme voies communales ; ils qui font partie du domaine privé de la commune. Il en résulte un droit parfois qualifié d’« hybride », qui alimente un contentieux nourri.

Les deux premiers critères – appartenir aux communes et être affectés à l’usage du public – suffiraient, à eux seuls, à faire appartenir ces voies au domaine public, mais la loi en a décidé autrement, puisqu’elle dispose que ces chemins font partie du domaine privé de la commune.

Ces conditions sont importantes, puisque la propriété de la commune distingue ces chemins ruraux des chemins d’exploitation, qui servent exclusivement à la communication ou à l’exploitation de fonds privés et qui sont présumés appartenir aux riverains. Cela les distingue aussi des autres voies qui appartiennent à des particuliers, même si elles sont ouvertes à la circulation publique.

L’article L. 161-2 du code rural établit que l’affectation à usage du public est présumée, notamment par l’utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de l’autorité municipale en matière de surveillance ou de voirie.

Il existe donc un principe de présomption d’affectation à l’usage du public, et un certain nombre d’éléments de fait sont vérifiés par le juge en cas de contentieux. Ainsi, une circulation exercée par la majorité des habitants peut être la preuve d’une utilisation comme voie de passage. Cependant, de nombreuses communes connaissent des difficultés à vérifier la propriété de ces voies dans leurs archives, et le cadastre n’est pas toujours clair.

La loi établit une autre présomption : l’article L. 161-3 du code rural prévoit que « tout chemin affecté à l’usage du public est présumé, jusqu’à preuve du contraire, appartenir à la commune sur le territoire de laquelle il est situé ». C’est au propriétaire, en général un propriétaire privé, qui revendique la propriété d’un chemin affecté à la circulation générale, de renverser la présomption, puisque c’est lui qui doit apporter la preuve, par un titre ou par des éléments permettant d’établir une prescription acquisitive, de sa propriété sur ce chemin.

Ainsi, pour qu’un particulier puisse prescrire la propriété d’un chemin rural, le code civil pose un certain nombre d’exigences, notamment en termes de délais.

L’article 2265 fixe la durée à dix ans, dans l’hypothèse où le particulier aurait acquis son chemin « de bonne foi et par juste titre ».

L’article 2262 précise que « toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi ».

Cette dernière disposition empêche les communes de récupérer le chemin qu’elles avaient momentanément délaissé, le plus souvent par simple ignorance de son existence. Elles ne disposent d’aucun recours lorsque le délai de trente ans se trouve révolu.

En outre, l’article L. 161-10 du code rural prévoit que lorsqu’un chemin rural cesse d’être affecté à l’usage du public, la vente peut être décidée, après enquête, par le conseil municipal. La jurisprudence fait une lecture stricte de cet article, qui n’envisage que l’hypothèse d’une vente des chemins ruraux. Elle considère de surcroît que cette disposition exclue toute possibilité d’échanges.

Ainsi, le domaine privé ne bénéficie pas de l’imprescriptibilité, réservée au domaine public, et il peut donc faire l’objet d’une usucapion, le terme utilisé en droit civil pour évoquer la prescription acquisitive – nous sommes un certain nombre à avoir profité de l’examen de la proposition de loi de M. Tandonnet pour rafraîchir nos mémoires d’étudiants en droit civil

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