Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, rassurons, pour commencer, Henri Tandonnet et apportons-lui des preuves : son assiduité aux travaux du Sénat lui aura certainement permis de voir comment notre collègue Évelyne Didier, à travers une proposition de loi, est parvenue, contre toute attente, à faire bouger les lignes en matière de partage des responsabilités et de prises en charge financières de la gestion des ouvrages d’art.
S’il y a aujourd’hui 750 000 kilomètres de chemins ruraux, comme l’a indiqué M. le secrétaire d’État, je peux vous dire que 200 000 kilomètres ont disparu durant les trente dernières années. C’est dire, mon cher collègue, que nous ne discutons pas la pertinence du débat que vous nous proposez. Croyez-le, nous avons la volonté d’aboutir à une solution. Je tenais d’entrée de jeu à vous en donner l’assurance la plus formelle.
Cela étant, aussi légitime que soit l’objectif, l’emprunt de l’ensemble des caractéristiques de la domanialité publique pour protéger les chemins ruraux pose un problème de construction juridique. Le risque constitutionnel est réel : plusieurs articles de la Constitution garantissent le caractère inviolable et sacré de la propriété privée.
La jurisprudence du Conseil d’État qui interdit le recours à l’échange, des dispositions du code rural assez complexes, voire parfois contradictoires en matière d’aliénation – je pense aux modalités d’enquête publique, aux conditions d’intervention des associations syndicales, notre collègue Le Scouarnec en a parlé, ou aux conditions dans lesquelles intervient la mise en demeure d’acquérir au profit des riverains – montrent que votre proposition de loi est pertinente. Pour une fois, nous n’allons pas simplement nous gargariser de la ruralité ou de l’hyper-ruralité, nous allons pouvoir faire progresser concrètement une question significative pour les élus locaux.
Chacun ici vous remercie, monsieur Tandonnet, d’avoir identifié le problème. Tel est le sens qu’il faut donner au positionnement, tous bords politiques confondus, de la commission des lois. Il est d’ailleurs tout à fait remarquable que M. Détraigne, qui a été nommé rapporteur la veille de la remise de son rapport, comme il l’a lui-même indiqué, ait pu élaborer un rapport complètement dans le cœur du sujet.
Pour pouvoir légiférer, il nous semble vraiment nécessaire d’approfondir la démarche. Je suis, pour ma part, déterminé à le faire. S’il vous faut une raison supplémentaire d’attendre, je dirais aussi qu’il y a, aux franges de ce débat, la question de la compétence. Nous sommes d’ailleurs en plein dans l’actualité puisque, dans quelques jours, le Premier ministre viendra dans cette enceinte en vue d’une déclaration du Gouvernement sur la réforme territoriale. Vous le savez très bien, monsieur le secrétaire d’État, l’Isère en étant un brillant exemple, il y a une compétence départementale en matière de plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée. Notre collègue Michel Mercier y a très explicitement fait allusion dans le cadre des travaux en commission.
Toutes ces problématiques doivent être examinées. Reste qu’il y a un point qui ne soulève aucune discussion : il est éminemment nécessaire, dans l’intérêt général, de parvenir, tout en améliorant la transparence du dispositif, à limiter et encadrer les conditions dans lesquelles la prescription acquisitive – l’usucapion, pour ceux qui aiment le droit romain – peut intervenir dans ce domaine. Je suis donc favorable à ce que nous poursuivions le travail, mais il me semble vraiment indispensable de respecter la summa divisio que constitue la distinction entre domaine public et domaine privé.