Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, mesdames, messieurs les ministres, notre pays, face à la mondialisation, doit se réformer, pour relever les défis de la compétitivité et de la solidarité, renforcer son économie et moderniser sa puissance publique.
Réformer notre pays, c’est bien la mission que m’a confiée le Président de la République. Mais on ne réforme jamais seul. Réformer implique de dialoguer, d’expliquer, pour que les objectifs soient partagés par tous, ou en tout cas par le plus grand nombre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il était important pour moi, alors que reprennent aujourd’hui vos travaux sur la réforme territoriale, de m’exprimer dans cet hémicycle. Je vous remercie donc, monsieur le président Gérard Larcher, de votre invitation. Elle me permet de vous exposer le sens de la réforme et sa cohérence.
Souvenons-nous qu’il y a plus de trente ans le Président François Mitterrand affirmait : « La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire ; elle a aujourd'hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire. » Ces mots n’ont rien perdu de leur force ni de leur pertinence.
La décentralisation, ce n’est pas qu’une démarche administrative, ce n’est pas uniquement un dispositif institutionnel. C’est un souffle, un élan, pour l’unité de la République, sa cohésion et l’efficacité de son action.
Pour être plus forte, la République a besoin de renforcer ses territoires.
Dès mon premier discours de politique générale et ici, devant vous, j’ai fait de la réforme territoriale une priorité. Une priorité pour notre pays, pour répondre à ses attentes, aux défis qui se présentent à lui. Le 3 juin dernier, dans une tribune publiée par la presse quotidienne régionale, le Président de la République en a fixé les ambitions.
La France d’aujourd’hui, c’est un pays qui, en trente ans, a gagné dix millions d’habitants. Ce dynamisme démographique est une force que nous devons prendre en compte dans l’organisation, dans l’aménagement de notre territoire. Les trois quarts de la population se concentrent sur 20 % de l’espace : le fait métropolitain n’est pas un fantasme de géographe, c’est la réalité quotidienne de dizaines de millions de Français.
La France d’aujourd’hui, c’est un pays dont les frontières anciennes entre villes et campagnes s’estompent chaque jour davantage. Ainsi, 95 % de nos concitoyens vivent dans des territoires que l’on dit « sous influence urbaine ». Mais ces aires urbaines se diversifient, se complexifient.
La France d’aujourd’hui, ce sont également de nouvelles inégalités territoriales et aussi des fractures, parfois anciennes, qui se sont aggravées.
Je parcours, comme vous, notre pays. J’en connais la beauté et la diversité. J’en perçois aussi les angoisses, les détresses. J’ai parlé à ces habitants des zones aux marges des grandes villes qui s’inquiètent devant la disparition des services publics : la poste, les classes des écoles qui ferment, la brigade de gendarmerie menacée. J’ai aussi échangé, comme vous, avec ces jeunes qui doivent quitter leur village, la petite ville où ils sont nés, où ils ont leurs attaches, parce qu’ils se disent, ou parce qu’on leur dit, que leur avenir n’est plus là. J’ai rencontré, comme vous, ces ouvriers, ces employés qui voient leur usine fermer, parce que l’outil de production est restructuré, délocalisé. J’ai enfin dialogué avec ces agriculteurs, qui, malgré leurs efforts quotidiens, doutent de la pérennité de leur exploitation.
Tous ces témoignages, parmi bien d’autres, viennent souligner ce risque croissant d’une dualité du territoire national.
Dualité, avec, d’un côté, les grandes villes, les métropoles, insérées dans la mondialisation, qui connaissent un vrai dynamisme économique. Il ne faut pas le nier, et même plutôt s’en féliciter, pour en saisir toutes les opportunités, qui doivent profiter à tous. Le législateur en a d’ailleurs tiré les conséquences en 2013, en consacrant le rôle des métropoles, en affirmant aussi la solidarité qui doit exister entre elles et leurs périphéries.
La dualité, c’est, à l’opposé des métropoles, des territoires qui se sentent à l’écart et subissent de plein fouet les effets de la mondialisation, les conséquences de la crise économique et sociale. Ces territoires sont fragilisés. Ils pensent être oubliés, abandonnés par la puissance publique. Ils ont le sentiment que le lien qui les unit à la République s’effrite jour après jour.
Ce qui est remis en cause, c’est la promesse républicaine : offrir les mêmes opportunités que l’on vive au cœur d’une métropole, en banlieue, dans une commune périurbaine, en montagne ou dans les outre-mer.
Ces fractures territoriales, ce sont aussi des fractures scolaires. Elles se sont accrues ces quinze dernières années. Les difficultés scolaires se concentrent dans certains établissements, dans les quartiers défavorisés et dans les territoires ruraux. Nous avons donc décidé, depuis cette rentrée, de relancer l’éducation prioritaire.
Je salue l’expérimentation en cours dans les départements du Cantal et des Hautes-Pyrénées. Les élus locaux et les services de l’éducation nationale innovent pour réorganiser le maillage scolaire. Avec les moyens dégagés, ils développent des dispositifs pédagogiques comme l’accueil des moins de trois ans ou le dispositif « plus de maîtres que de classes ». C’est là un bel exemple d’intelligence collective et de pragmatisme.
Mesdames, messieurs les sénateurs, toutes ces fractures, vous les connaissez aussi bien que moi. Mais apporter des réponses adaptées nécessite une analyse fine, approfondie. C’est le premier objectif des Assises des ruralités engagées avec la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, Sylvia Pinel. Il n’y aurait en effet rien de pire que des réponses identiques à des situations si diverses.
La réforme de l’État territorial, qui est tout aussi fondamentale et complémentaire, engagée par le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, poursuit aussi cet objectif : un État plus réactif, qui s’adapte aux besoins des territoires et aux attentes des élus locaux. Nous devons réaffirmer la présence et le rôle de l’État, notamment dans les départements, là où les citoyens en ont le plus besoin.
Dans un monde qui bouge si vite, l’immobilisme, le statu quo, l’absence de courage seraient pour notre pays des choix lourds de conséquences : des territoires sans moyens pour construire leur avenir, des élus locaux démunis face aux attentes de nos concitoyens.
Pierre Mauroy, qui a joué un rôle si important en matière de décentralisation, avait vu juste : « Aucune organisation politique ne peut s’abstraire des conditions de son époque. » Et le cadre dans lequel la France évolue a été profondément bouleversé : accélération de la mondialisation, élargissement de l’Union européenne, mobilité croissante des Français. De nouveaux équilibres, mais aussi de nouveaux déséquilibres se dégagent.
Soyons lucides : notre organisation territoriale actuelle peine à faire face à tout cela. Elle doit donc évoluer.
Le premier objectif de cette réforme, c’est de renforcer tous les territoires. Il s’agit de doter les plus dynamiques des compétences nécessaires pour poursuivre leur développement économique, tout en veillant à ce que les territoires fragilisés ne soient ni abandonnés à leur sort ni privés de chances de développement.
Le second objectif, c’est de redonner du sens à une action publique devenue souvent illisible. Les doublons concernent aussi l’action de l’État et des collectivités locales. Oui, la clarification est l’objectif, monsieur le président Retailleau ! Clarté, efficacité, baisse de la dépense publique, proximité : voilà ce que nos concitoyens attendent de leurs institutions.