Intervention de Catherine Procaccia

Commission des affaires sociales — Réunion du 28 octobre 2014 : 3ème réunion
Simplification de la vie des entreprises — Examen du rapport pour avis

Photo de Catherine ProcacciaCatherine Procaccia, rapporteur pour avis :

L'annonce par le Président de la République au début de l'année 2013 de la nécessité d'un « choc de simplification », dans le prolongement du pacte de compétitivité qui venait d'être présenté au Parlement, a semblé faire découvrir à certains ce qui, pour la majorité d'entre nous ici et pour les entreprises, semble être une évidence : l'accumulation des normes et leur instabilité est un frein au développement de l'activité et de l'emploi.

Ce constat n'est pas nouveau et ne fait plus débat : rares malheureusement sont les semaines sans qu'une comparaison internationale sur ce point ne soit défavorable à la France. Ainsi, dans le dernier classement réalisé par le Forum économique mondial, notre pays se situe au 121ème rang sur 144 pays en ce qui concerne le poids de la réglementation.

Les gouvernements qui se sont succédé ont chacun fait part de leur intention de corriger cette situation, sans succès réel jusqu'à présent. Le Parlement a dès l'origine été en pointe sur ce sujet, avec sous la précédente législature les quatre propositions de loi de simplification du droit de notre collègue député Jean-Luc Warsmann dont notre commission s'était déjà, à l'époque, saisie pour avis. J'étais déjà rapporteur pour avis de notre commission sur le dernier de ces textes.

Le Parlement est aussi en pointe pour inventer de nouvelles normes sans pour autant en supprimer d'anciennes. Et je ne parle pas de l'administration dont la créativité en ce domaine est exceptionnelle.

Il faut donc saluer la volonté actuelle de poursuivre ce mouvement dont le peu de résultats perceptibles souligne l'insuffisance. Des initiatives ont été prises récemment, avec par exemple la création par un décret du 8 janvier dernier du conseil de la simplification pour les entreprises, placé auprès du Premier ministre. Co-présidé par le député Laurent Grandguillaume et l'entrepreneur Guillaume Poitrinal, il a émis une première série de cinquante recommandations, dont certaines sont traduites dans le présent projet de loi, et sera chargé d'en assurer l'évaluation. On peut toutefois douter de la nécessité de créer une instance consultative supplémentaire alors qu'il existe des organisations représentatives des employeurs, qui m'ont d'ailleurs fait part de leur regret de ne pas avoir été sollicitées sur ce sujet.

A l'opposé de cette volonté politique affichée, on assiste depuis dix-huit mois à un empilement de normes nouvelles qui pèsent lourdement sur l'activité des entreprises et dont la logique même échappe parfois à l'entendement.

Pour ne parler que de ce qui relève du champ de compétence de notre commission, je pense en premier lieu au plancher de vingt-quatre heures hebdomadaires pour le travail à temps partiel. Pourquoi vingt-quatre heures alors que la durée légale de travail demeure à trente-cinq heures ? Pourquoi une règle uniforme quel que soit le secteur économique ? Pourquoi un dialogue social de branche apaisé ne peut-il pas s'établir dans des domaines, comme le commerce ou les services, pour lesquels une dérogation est indispensable ?

A ce jour, un dialogue social constructif sur ce sujet a eu lieu dans trente-sept branches. C'est insuffisant, puisque ces accords ne couvrent que 38 % des salariés à temps partiel en France. Qui plus est, cette réglementation est source d'insécurité juridique, en particulier concernant les dérogations individuelles qui peuvent être demandées par les salariés.

Le compte personnel de prévention de la pénibilité constitue un second signal contradictoire de la part du Gouvernement concernant sa volonté de simplifier la vie des entreprises. J'aurais aimé trouver des réponses aux difficultés qu'il suscite dans ce projet de loi plutôt que d'apprendre que des décrets ont été publiés le 10 octobre dernier sans concertation préalable.

Renvoyé au fond à la commission des lois, le projet de loi comporte quarante-huit articles traitant de thèmes aussi divers que le droit de l'environnement, le droit des sociétés ou le droit du travail. Quatre commissions se sont donc saisies pour avis sur les articles relevant de leurs compétences.

Déposé à l'Assemblée nationale le 25 juin, ce texte y a été adopté le 22 juillet, après avoir été examiné par une commission spéciale. La procédure accélérée ayant été engagée, une commission mixte paritaire se réunira après son examen par le Sénat, pour une adoption définitive souhaitée avant la fin de l'année.

Huit articles entrent dans le champ de notre commission et portent principalement sur le droit du travail. Trois d'entre eux ont été ajoutés par amendement du Gouvernement à l'Assemblée nationale pour répondre à des urgences juridiques. D'autres sont d'importance moindre et visent à assurer la lisibilité de notre droit.

L'article 1er habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures visant à favoriser le développement des dispositifs de titres simplifiés de déclaration des cotisations de sécurité sociale. Il s'agirait, selon les informations que j'ai recueillies lors de mes auditions, d'étendre le champ d'application du titre emploi-service entreprise (TESE) aux entreprises comptant jusqu'à vingt salariés, alors qu'il est aujourd'hui réservé aux entreprises d'au plus neuf salariés. Cet outil, similaire au chèque emploi-service universel (Cesu) des particuliers employeurs, permet de réaliser en ligne les formalités liées à l'embauche d'un salarié, les déclarations aux organismes de protection sociale et le règlement des cotisations dues.

L'article 2 contient une seconde habilitation à agir par ordonnance afin d'harmoniser les notions de jour utilisées dans le code du travail. Ce n'est pas la première fois qu'une telle tentative est faite, mais j'espère qu'elle aboutira sur la base de la notion la plus simple et la plus compréhensible, pas simplement par les juristes mais aussi par les salariés et les employeurs : celle de jour calendaire. Le jour ouvrable prête de plus en plus à confusion, tandis que la définition du jour franc est trop méconnue.

Il a été convenu, lors de la dernière grande conférence sociale, de l'urgence de relancer l'apprentissage qui est en perte de vitesse en raison des effets délétères de la politique menée par le Gouvernement dans ce domaine. La création d'une aide à l'embauche d'un apprenti de mille euros pour les entreprises de moins de cinquante salariés avait été annoncée, soumise à des conditions restrictives : ne pas avoir employé d'apprenti dans l'année précédant la signature du contrat d'apprentissage et être couvert par un accord de branche étendu portant sur le développement de l'alternance.

C'est le dispositif qui figure à l'article 2 bis, issu d'un amendement du Gouvernement adopté par l'Assemblée nationale au mois de juillet. La situation a évolué depuis lors, avec notamment la tenue à l'Elysée le 19 septembre dernier des assises de l'apprentissage. A cette occasion, le Président de la République a annoncé un assouplissement des critères d'attribution de l'aide, qui sera destinée aux entreprises de moins de deux-cent cinquante salariés et pour laquelle un accord de branche ne sera pas obligatoire en 2015. Je souscris pleinement à ces nouvelles orientations.

La version présente dans le projet de loi est donc obsolète. C'est en partie pour cette raison que le Gouvernement m'a fait part de son intention de la retirer du texte pour la réintroduire par amendement dans le projet de loi de finances pour 2015, actuellement en discussion à l'Assemblée nationale. Je n'y suis pas opposée, mais il me semble qu'il appartient au Gouvernement de déposer un amendement de suppression et de confirmer à notre assemblée les nouveaux contours de cette aide. Il ne resterait donc à cet article qu'une disposition annexe, qui prévoit que l'Etat fournisse à Pôle emploi la liste des entreprises qui s'acquittent du malus apprentissage car elles ne respectent pas le quota d'alternants qu'elles doivent avoir dans leur effectif, afin de les accompagner.

L'article 2 ter traite du portage salarial. Ceux d'entre vous qui siégeaient déjà ici en 2008 se souviennent que c'est à l'occasion de la loi de modernisation du marché du travail que cette forme triangulaire d'emploi est entrée dans le code du travail. A cette occasion, la loi a confié à la branche du travail temporaire la mission de conclure un accord professionnel sur l'encadrement du portage et les conditions de son exercice. Cet accord a finalement été signé le 24 juin 2010 par toutes les organisations syndicales, à l'exception de Force ouvrière (FO), puis tardivement étendu par un arrêté du 24 mai 2013.

Dans le cadre d'un recours contre cet arrêté, FO a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil constitutionnel. Celui-ci a estimé, dans une décision du 11 avril dernier, que le législateur avait fait preuve d'incompétence négative en confiant aux partenaires sociaux le soin de définir des règles qui relevaient du domaine de la loi. Il a toutefois laissé jusqu'au 1er janvier 2015 pour corriger cette situation.

Il y a donc urgence à agir et un cadre consensuel, l'accord de 2010, sur lequel bâtir cette réglementation. Cet article 2 ter habilite donc le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires pour que le 1er janvier prochain le portage salarial ne se retrouve pas dépourvu de base juridique.

L'article 2 quater vise aussi à répondre à une situation préoccupante d'insécurité juridique, issue celle-ci de la réforme du temps partiel. Si, depuis le 1er juillet dernier, la règle des vingt-quatre heures est pleinement applicable pour toute nouvelle embauche, un salarié peut obtenir, sur demande écrite et motivée, une durée de travail inférieure pour faire face à des contraintes personnelles ou cumuler plusieurs activités. Que se passe-t-il si ces contraintes disparaissent et qu'il souhaite augmenter sa durée de travail au-delà du seuil légal ? L'employeur est-il forcé d'accéder à sa demande ? La loi est aujourd'hui silencieuse sur ce point, malgré plusieurs questions posées au ministre à ce sujet.

Il en va de même pour les contrats en cours à la date de la réforme, pour lesquels la durée de vingt-quatre heures est en principe applicable à partir du 1er janvier 2016. Qu'en sera-t-il à cette date ? Tous les salariés à temps partiel devront-ils passer à vingt-quatre heures ?

Alerté sur ce point depuis le vote de la loi de sécurisation de l'emploi, le Gouvernement s'est enfin décidé de réagir et devrait mettre en place une procédure unique pour répondre à ces deux cas de figure. Tout salarié se trouvant dans les situations que je viens de citer devrait bénéficier d'une priorité de passage à une durée de travail supérieure, lorsqu'un poste compatible avec ses qualifications se libère, et non d'une augmentation automatique de sa durée de travail, qui serait tout simplement impossible à mettre en oeuvre dans l'immense majorité des entreprises. L'article 2 quater habilite donc le Gouvernement à sécuriser juridiquement ce dispositif, et je l'interrogerai en séance publique pour qu'il nous confirme cet engagement.

Les articles 23 et 24 concernent principalement les relations entre les hôpitaux publics et les régimes obligatoires d'assurance maladie. On peut donc s'interroger sur leur place dans ce texte. Ce sont néanmoins des mesures techniques tendant, pour l'article 23, à réduire le nombre de documents nécessaires dans le cadre du passage à la facturation dématérialisée et, pour l'article 24, à prévoir que lorsqu'une caisse primaire rejette la facture d'un hôpital celui-ci ne puisse la faire saisir, ce qui aurait notamment pour effet de bloquer le compte de la caisse. En elles-mêmes ces mesures ne posent guère de difficultés.

Elles s'inscrivent cependant dans le cadre de la facturation individuelle et au fil de l'eau prévue par le programme Fides (facturation individuelle des établissements de santéì aÌ l'assurance maladie obligatoire) dont la Fédération hospitalière de France (FHF) souhaite le retrait. La FHF en a notamment appelé au Président de la République, qui se serait montré réceptif à l'argument des coûts générés par Fides pour les hôpitaux publics. Ces considérations nous éloignent de la vie des entreprises et trouveraient mieux leur place dans le cadre du PLFSS. Néanmoins je relève que ce type de facturation est prévu depuis la loi de financement pour 2004, que sa mise en oeuvre a été plusieurs fois repoussée et qu'une expérimentation étendue a débuté en 2010. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 a finalement fixé le début de la généralisation de Fides à mars 2016.

Notre commission a à plusieurs reprises marqué son attachement à ce que les hôpitaux publics individualisent et transmettent les factures le plus rapidement possible et je ne pense pas qu'il soit aujourd'hui opportun de revenir sur ce principe.

Enfin, l'article 31 supprime une disposition relative aux institutions de gestion de retraite supplémentaire devenue obsolète.

Plusieurs reproches peuvent être faits à ce projet de loi. Sur la forme, il n'est jamais très agréable pour le législateur d'être dessaisi de sa fonction principale au profit de l'administration par le biais des ordonnances : je sais que ce point de vue dépasse les clivages politiques. Les habilitations sont rédigées, pour la plupart d'entre elles, dans un langage vague et imprécis qui laisse à penser que le Gouvernement ne sait pas lui-même quelle orientation précise il souhaite leur donner. Mon expérience m'ayant appris à me méfier des assurances données à l'oral par les cabinets ministériels, c'est au ministre qu'il appartiendra d'apporter en séance publique les précisions nécessaires.

Sur le fond, les mesures proposées me semblent quelque peu hétéroclites et ne parviendront pas, à elles seules, à remplir l'objectif ambitieux que se fixe le projet de loi. Il traduit la schizophrénie de l'actuelle majorité, entre la volonté que je veux croire sincère de certains de ses membres de restaurer la compétitivité de notre pays et la myopie de certains autres envers les très fortes difficultés que connaissent nos entreprises aujourd'hui, en particulier les TPE et PME, à cause des initiatives menées depuis le printemps 2012.

Pour autant, peut-on s'opposer à un texte qui apporte des réponses à des difficultés ponctuelles rencontrées par les entreprises et qui comporte des mesures qui doivent être adoptées dans les plus brefs délais ? Telle n'est pas ma philosophie. C'est pourquoi je vous invite à adopter ces articles, modifiés par les amendements que je vais vous proposer et qui ne remettent pas en cause l'équilibre du projet de loi.

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