En examinant le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, nous nous acquittons d'une triple mission : approuver les comptes de 2013, dernier exercice clos, rectifier les prévisions et les objectifs de recettes de 2014, année en cours, définir les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses pour l'année à venir.
Le déséquilibre structurel de la sécurité sociale s'est accentué avec la crise, creusant le déficit des comptes sociaux. Pour corriger celui-ci, le Gouvernement a augmenté massivement la part des recettes, qui ont progressé de 11 milliards d'euros entre 2012 et 2013, dont 7,6 milliards au titre de recettes nouvelles. En revanche, peu de réformes mais des dépenses supplémentaires : allocation de rentrée scolaire pour 400 millions d'euros et complément familial pour 60 millions. Surtout, l'élargissement des conditions de départ en retraite anticipée avant 62 ans se traduit par une dépense supérieure à 830 millions d'euros en 2015 pour le seul régime général. Le dispositif mériterait d'être revu. Au total, le déficit des régimes obligatoires de base et du Fonds de solidarité vieillesse n'a diminué que de 3,1 milliards d'euros pour s'établir à 16 milliards en 2013.
Pour 2014, les recettes devaient progresser de 10 milliards d'euros dont la moitié au titre des recettes nouvelles. Celles-ci ont été rectifiées deux fois à la baisse, dans la loi rectificative puis par le présent projet de loi, pour un total de 3,4 milliards. La croissance reste atone et les recettes ne rentrent pas. Le déficit prévisionnel est de 15,4 milliards d'euros, soit 2,2 milliards de plus que prévu.
Pour 2015, le Gouvernement a amorcé un changement de cap : pas ou peu de recettes nouvelles, mais des compensations à trouver pour les réductions de cotisations et de taxes affectées du pacte de responsabilité ; des économies par rapport à la trajectoire tendancielle et, au final, une révision à la baisse de son objectif de réduction des déficits, fixé à 2 milliards environ. En avril dernier, le programme de stabilité annonçait 21 milliards d'économies sur trois ans sur les administrations de sécurité sociale, dont 9,6 milliards d'euros dès 2015, reposant en partie sur l'absence de revalorisation de certaines prestations. Quelques mois plus tard, l'inflation plus basse que prévu met à mal ces économies de non-revalorisation ; l'objectif de 9,6 milliards d'euros a pourtant été maintenu.
Les économies nouvelles se feront sur les régimes de sécurité sociale, à hauteur de 4,4 milliards d'euros. La mise en oeuvre de la stratégie nationale de santé dégagera 3,2 milliards d'euros d'économies, grâce à une diminution des dépenses sous Ondam, en deçà de l'évolution tendancielle estimée à + 3,9 % par an. La branche famille devait dégager 700 millions d'euros d'économies, dont il ne reste désormais que 530 millions (400 millions dans le PLFSS et 130 millions de mesures règlementaires). S'y ajouteront les 500 millions d'euros économisés sur la gestion des caisses, mais la modulation des allocations familiales pourrait exiger plusieurs centaines d'emplois supplémentaires.
Les mesures déjà adoptées devraient commencer à produire leurs effets, à hauteur de 4 milliards d'économies, soit 1 milliard au titre de la nouvelle convention d'assurance chômage du 14 mai 2014, 1,5 milliard pour la réforme des retraites, 900 millions d'euros dégagés par l'accord sur les retraites complémentaires de mars 2013, et 600 millions d'euros au titre des réformes intervenues sur la branche famille et sur la réévaluation du Fonds national d'action sociale. Enfin, 1,2 milliard d'économies nouvelles sont annoncés sur l'assurance-chômage et les régimes complémentaires alors qu'aucun nouvel accord n'est prévu à brève échéance. Les chiffrages fournis par l'Unedic et les complémentaires de santé suggèrent que le rendement effectif des mesures déjà prises devrait être revu à la baisse, la branche famille ne dégageant que 400 millions d'euros et les retraites, moins de la moitié de ce qui était prévu. Au total près de 3 milliards d'euros d'économies pourraient faire défaut sur le périmètre des administrations de sécurité sociale.
La structure des recettes est modifiée par les compensations que l'État versera au titre des allègements de cotisations et des abattements sur la C3S - soit 6,3 milliards d'euros de recettes en moins - sous la forme d'une rebudgétisation des aides personnalisées au logement, d'une affectation à la sécurité sociale du prélèvement de solidarité, ou encore d'une modification du fonctionnement des caisses de congés payés. Quant aux recettes de la CSG, la détermination des taux en fonction du revenu fiscal de référence, rendue nécessaire par la sortie de certains foyers de l'impôt sur le revenu, aurait dû provoquer une augmentation que le Gouvernement a choisi de neutraliser en élevant le seuil d'exonération en faveur des retraités et des chômeurs à bas revenus. Le Gouvernement poursuit également la réduction des niches sociales en encadrant les assiettes forfaitaires (formateurs occasionnels) et en supprimant certaines exonérations (élus des chambres consulaires). Enfin, il adopte des mesures de régulation sur le médicament pour répondre au défi budgétaire posé par le traitement de l'hépatite C.
En prélevant 1,5 milliard sur la trésorerie des caisses de congés payés, pour compenser les mesures d'allègement de cotisations en faveur des entreprises, le Gouvernement prend le risque de complexifier la gestion de ces congés, que les entreprises seront amenées à prendre en charge. Il est toutefois difficile de supprimer cette mesure, même si elle est non pérenne, car elle représente le quart de la compensation à la sécurité sociale des réductions de cotisations votées dans la loi de financement rectificative.
En 2016, le pacte de responsabilité prévoit une réduction de 1,8 point de la cotisation famille pour les salaires de 1,6 à 3,5 Smic pour un coût de 4,5 milliards et une augmentation de l'abattement sur la C3S. Cette nouvelle étape intervient alors que la compensation pérenne de la première partie du pacte n'est toujours pas assurée.
La croissance économique, de 0,4 % par an en 2012 et 2013, s'est essoufflée en 2014, sans aucun signe de reprise. Si l'objectif de 1 % prévu pour 2015 n'était pas atteint, les recettes seraient moindres en fin d'année. La prévision d'un solde déficitaire de 13,2 milliards d'euros reste aléatoire. La réduction du déficit pourrait être inférieure aux 2,2 milliards d'euros programmés. Quant à la dette sociale, elle dépasse les 160 milliards d'euros, sans que les gouvernements successifs jugent nécessaire d'augmenter la CRDS. Il faudrait l'amortir et elle ne cesse de croître. En la reportant à hauteur de 17 % sur la trésorerie de l'Acoss, on l'expose à la volatilité des taux à court terme, au risque de renforcer encore le déséquilibre structurel de la sécurité sociale.
Par rapport aux défis soulevés par l'état des finances sociales, le compte n'y est pas. Celui-ci nécessite d'accentuer l'effort budgétaire en consolidant les économies en dépenses et en révisant les prévisions de recettes. Rien ne s'oppose à l'adoption de la première partie du texte, relative aux comptes de l'année 2013, exercice clos et dûment certifié. Je vous propose également d'adopter les tableaux 2014 avec un amendement qui refuse au Gouvernement un blanc-seing pour financer par le FSV des mesures prises par décret. En revanche, nous ne pouvons adopter les équilibres généraux 2015 sans mesures d'économies supplémentaires.
Sur l'assurance maladie, le texte comporte beaucoup de mesures techniques, sans ouvrir sur le débat de fond qui devrait avoir lieu en début d'année prochaine avec l'examen du projet de loi relatif à la santé. Le contexte de crise limite les recettes en même temps qu'il amplifie les conséquences d'une couverture médicale diminuée pour nos concitoyens les plus fragiles. Des réformes structurelles fortes s'imposent. La Fédération hospitalière de France (FHF) estime que près de 30 % des actes pris en charge ne seraient pas pertinents - ce qui correspondrait à un surcoût inutile de 30 milliards d'euros pour l'assurance maladie. Le Gouvernement ne propose pourtant que de réduire ce gaspillage de 50 millions par une mesure législative et de 1,2 milliard par des dispositions règlementaires. Quel décalage !
La Cour des comptes préconise certaines mesures d'économies substantielles autant que consensuelles telles que le désengorgement des urgences hospitalières ou le recours aux médicaments génériques. La maîtrise des dépenses de personnel hospitalier n'implique pas qu'on minimise la souffrance qu'il endure. Un Ondam hospitalier à 2 % représente un effort considérable pour les établissements de soins dont les coûts évoluent spontanément autour de 2,47 %. La clef tient à une meilleure gestion du temps de travail. Il convient de faire confiance aux acteurs de terrain, mais la FHF dénonce le peu de soutien dont bénéficient les directeurs dans leurs négociations avec les personnels.
Enfin, il faut continuer à prendre en charge et à soutenir l'innovation dans le champ du médicament. L'exemple du Sovaldi nous y incite. Le dispositif que propose le Gouvernement se contente de contenir les dépenses liées au traitement de l'hépatite C. Il prévoit également une réforme du mécanisme général de régulation des dépenses du médicament. Il faudrait y ajouter une réforme du mécanisme d'évaluation du médicament, telle qu'elle nous a été proposée par la Haute Autorité de santé, ainsi que des adaptations de notre mécanisme de remboursement aux enjeux de l'innovation.
Plusieurs des mesures relatives aux hôpitaux rejoignent les propositions du rapport de la Mecss sur la tarification à l'activité, présenté par Jacky Le Menn et Alain Milon : statut des hôpitaux de proximité (article 37), prise en charge des actes innovants (article 41), contrats d'amélioration des pratiques (article 36). Je vous proposerai d'étendre le contrôle de la pertinence des soins (article 42) aux soins de ville et aux relations ville-hôpital. Quant à l'accès aux soins, le Gouvernement propose de simplifier le régime du paiement des soins aux détenus (article 32), ce qui constitue une mesure de bonne gestion. Il renforce les mécanismes incitatifs pour l'installation des praticiens en zones sous-denses (articles 38 et 39), persévérant ainsi dans l'empilement de mesures ponctuelles.