Intervention de Caroline Cayeux

Commission des affaires sociales — Réunion du 5 novembre 2014 : 2ème réunion
Loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 — Examen du rapport

Photo de Caroline CayeuxCaroline Cayeux, rapporteure :

L'universalité est une pierre angulaire de notre système de politique familiale depuis sa création en 1945. Ainsi, alors que la fiscalité remplit un rôle de redistribution verticale, les allocations familiales jouent un rôle de redistribution horizontale, en faveur des familles qui ont charge d'enfants. Un enfant né dans une famille aisée ne méritant pas moins de la part de la solidarité nationale qu'un enfant né dans une famille modeste, les concepteurs de notre politique familiale ont souhaité que les allocations familiales soient versées sans condition de ressources.

La remise en cause de ce principe fondamental est dangereuse et la méthode retenue regrettable. En réduisant considérablement les allocations des ménages aisés pour, on peut le craindre, les supprimer demain, le Gouvernement ouvre la porte à une remise en cause de l'universalité dans d'autres domaines. En effet, une fois cette brèche ouverte, pourquoi, en effet, appliquer le même raisonnement à l'assurance maladie, voire à l'enseignement public ?

La remise en cause de l'universalité menace en outre la pérennité de notre modèle de sécurité sociale et la cohésion sociale dans notre pays. L'universalité des allocations familiales entretient l'adhésion de ceux qui financent le système. Sans cette universalité, une remise en cause de la logique solidaire qui sous-tend notre modèle au profit de systèmes d'assurances privés semble inévitable à plus ou moins long terme.

Sur la forme, cette réforme témoigne de l'improvisation du Gouvernement. L'article 61 A, qui prévoit la modulation des allocations familiales en fonction du revenu du ménage, est issu d'une négociation entre le Gouvernement et sa majorité. Introduit par un amendement déposé en séance publique par nos collègues députés, il n'a pas fait l'objet des consultations obligatoires destinées à garantir la sécurité juridique du dispositif, et les acteurs concernés ont été mis devant le fait accompli sans concertation préalable. Il n'a pas non plus fait l'objet d'explications de la part de Mmes Touraine et Rossignol lors de leur audition par notre commission, le 14 octobre, puisque la décision n'a été prise que dans les jours suivants.

Cette méthode traduit un manque de préparation dommageable pour les familles. Un certain nombre de précisions sont ainsi renvoyées à des décrets. Si des informations ont filtré concernant les seuils et le mécanisme de lissage, les modalités des échanges d'information entre les CAF et les services fiscaux ne sont pas encore connues, pas plus que la manière dont seront pris en compte les changements de situation. Aucune distinction n'est prévue entre les familles biactives et celles où seul un des parents travaille. Enfin, l'alourdissement de la charge de travail des caisses d'allocations familiales, alors que la nécessité d'un effort de simplification a été inscrite dans la convention d'objectifs et de gestion signée en juillet 2013, n'a pas été anticipé.

La réforme présentée dans le cadre de la loi pour l'égalité réelle entre les hommes et les femmes visait à inciter les pères à prendre une part du congé parental afin de réduire l'éloignement des femmes du marché du travail. La mesure proposée ici porte la durée réservée au second parent à douze mois au lieu de six. Le Gouvernement s'en cache à peine, il souhaite réaliser des économies en pariant sur le fait que les pères ne prendront pas le congé qui leur est réservé et n'hésite pas à détourner la confiance accordée cet été par le Parlement, à des fins strictement comptables.

Nous partageons tous la volonté de voir la situation des femmes sur le marché du travail s'améliorer. Toutefois, la liberté de choix des familles en matière d'éducation est un principe qui doit être intangible. En outre, chercher à imposer aux familles un partage du congé parental alors que l'égalité salariale au sein du couple est encore rare, revient à nier les contraintes économiques réelles qui font que, dans plus de 95 % des cas, le congé parental est pris uniquement par la mère.

Enfin, les solutions d'accueil pour les jeunes enfants sont encore insuffisantes, et, en tout état de cause, plus coûteuses à la fois pour les finances publiques et pour les ménages. Cette mesure pénalisera lourdement les ménages modestes, tout en ayant un impact financier incertain pour la branche.

Les objectifs ambitieux de la convention d'objectifs et de gestion Etat-Cnaf pour l'accueil des jeunes enfants sont loin d'être atteints. En 2013, le taux de réalisation dépasse à peine 20 %, un retard difficile à rattraper en dépit de la volonté affichée par l'Etat et la Cnaf. Alors que les collectivités locales voient leurs capacités d'investissement contraintes par la baisse des dotations, on est en droit d'attendre de l'Etat plus que des promesses !

Enfin, la branche famille est structurellement excédentaire, ses recettes progressant spontanément plus rapidement que ses charges. Toutefois, les prestations prises en charge pour le compte de la branche vieillesse et du FSV représentent en 2014 environ 9,5 milliards d'euros, soit plus de trois fois le déficit. La branche famille participe déjà, et dans une large mesure, à l'effort de solidarité entre les caisses de Sécurité sociale.

Le volet famille du PLFSS pour 2015 témoigne d'une absence de vision globale, et sacrifie une fois de plus les familles sur l'autel d'un hypothétique redressement des comptes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion