Intervention de Marisol Touraine

Réunion du 10 novembre 2014 à 14h30
Financement de la sécurité sociale pour 2015 — Discussion d'un projet de loi

Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale est un moment important, parce qu’il est l’occasion de rappeler que les Français sont attachés à leur modèle de protection sociale. Ils nous le disent : ils tiennent à ce modèle, dont la force est de s’adresser à tous, de la naissance à la fin de la vie. Ils savent que la sécurité sociale sera là pour eux, face à la maladie, au terme de leur carrière professionnelle, ou encore pour les aider dans l’éducation de leurs enfants.

Les Français sont attachés à ce que les principes qui fondent notre système de sécurité sociale soient garantis et que son fonctionnement soit assuré, et c’est pour protéger ce qui est au cœur du consensus républicain que nous faisons le choix résolu de la réforme.

En effet, nous ne pouvons accepter ni la régression ni le statu quo, qui seraient l’un et l’autre dangereux pour notre modèle social. Au contraire, nous devons sans cesse chercher à ce que celui-ci tienne mieux ses promesses de justice, qu’il s’adapte aux évolutions de notre société tout en étant soutenable financièrement.

Depuis deux ans, nous nous employons à réformer, à ramener notre système de protection sociale à l’équilibre. Ces efforts portent leurs fruits puisque, malgré la conjoncture économique, nous stabilisons en 2014 le déficit du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV. Nous améliorons le déficit de 800 millions d’euros pour le régime général et pour l’ensemble des régimes obligatoires de base. Entre 2011 et 2014, ce déficit du régime général aura été réduit d’un tiers.

Pour que ces efforts ne soient pas vains, il faut préserver les ressources de la protection sociale. C’est pourquoi, conformément à l’engagement pris au cours de l’examen de la loi de financement rectificative, l’intégralité des pertes de recettes engendrées par les exonérations prévues dans le pacte de responsabilité et de solidarité est compensée.

Nous revendiquons le choix de la réforme, mais de la réforme juste. Contrairement à ce qu’elle était pour la majorité précédente, pour nous, la réforme n’équivaut pas au recul social. Réformer, ce n’est pas remettre en cause les droits sociaux, ce n’est pas dérembourser, c’est transformer et aller de l’avant, faire des choix qui s’inscrivent dans le progrès, pour plus d’efficacité et de justice.

Le choix de la réforme juste, nous l’avons fait en matière de retraites dans le cadre de la loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites votée en janvier dernier. Cette réforme est efficace, puisqu’elle permet d’envisager le retour à l’équilibre de la Caisse nationale d’assurance vieillesse en 2017. Elle est juste, puisqu’elle consacre des droits nouveaux, comme la prise en compte de la pénibilité, dont je regrette que le Sénat ait jugé utile de la supprimer. Elle nous permet de renforcer les solidarités, avec la revalorisation à 800 euros, intervenue au 1er octobre dernier, de l’allocation de solidarité aux personnes âgées et avec le versement d’une prime exceptionnelle de 40 euros aux retraités qui perçoivent moins de 1 200 euros de pension globale.

En matière d’assurance maladie, nous engageons des réformes en profondeur tout en renforçant les droits. Tel est le sens du plan d’économies que j’ai présenté dès avril dernier et du projet de loi relatif à la santé qui a été présenté le 15 octobre en conseil des ministres.

En effet, efficacité et justice ne sont pas dissociables, en matière d’assurance maladie comme ailleurs : nous allons chercher les économies non pas dans l’abaissement de la qualité des soins ou dans la dégradation des conditions de prise en charge, mais dans les réformes structurantes dont notre système de santé a besoin. C’est en le transformant qu’il répondra mieux aux besoins de nos concitoyens et aux attentes des professionnels de santé, et qu’il permettra à tous de continuer à avoir accès à des soins de qualité et à l’innovation, tout en assurant la maîtrise de nos dépenses.

Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale met ainsi en œuvre à la fois les orientations de la stratégie nationale de santé et celles du plan d’économies, selon quatre orientations.

La première est l’amélioration de la pertinence des soins pour éviter les actes inutiles.

C’est un enjeu d’économies comme de santé publique. Ce projet de loi comporte des mesures en ce sens, visant notamment à donner aux agences régionales de santé toute une série d’outils pour agir sur le comportement des établissements qui auront été ciblés en raison de problèmes significatifs de non-pertinence dans leurs pratiques et prescriptions.

La deuxième orientation est l’amélioration de l’efficience de la dépense hospitalière.

Avec les groupements hospitaliers de territoire, le projet de loi relatif à la santé fournira des outils nouveaux aux hôpitaux pour qu’ils puissent mutualiser leurs achats et leurs fonctions supports. Nous nous engageons dans la transformation de l’organisation territoriale des soins hospitaliers pour permettre aux hôpitaux de mieux répondre à ces exigences. Nous définissons donc un mode de financement adapté aux hôpitaux de proximité, qui doit leur permettre de jouer leur rôle de coordination entre ville, hôpital et secteur médico-social.

La troisième orientation consiste en la mise en place du virage ambulatoire de notre système de soins pour améliorer la qualité de la prise en charge de proximité tout en maîtrisant les dépenses.

Le renforcement des soins primaires de premier recours se traduit dans le choix de fixer, pour la deuxième année consécutive, un taux de progression de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie – l’ONDAM – « soins de ville » à 2, 2 %, soit un taux plus élevé que l’ONDAM des établissements de santé, qui progressera de 2 %. J’ai demandé aux directeurs généraux des agences régionales de santé d’être mobilisés pour organiser et favoriser ce virage ambulatoire dans les territoires. À ce titre, 19 millions d’euros d’aides sont prévus dans le Fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés pour accompagner ces derniers dans leurs projets de développement de la chirurgie ambulatoire.

Avec le soutien du Gouvernement, l’Assemblée nationale a adopté un amendement visant à créer un cadre d’expérimentation pour les hôtels hospitaliers, afin d’accompagner à la fois les établissements et les patients lors du moment sensible qu’est la sortie d’hôpital.

Parce que le virage ambulatoire suppose des soins en ville structurés, nous poursuivons la démarche engagée avec le pacte territoire-santé, qui prévoit des mesures incitatives à l’installation des médecins en zones sous-denses. En 2013, nous avons créé une prise en charge du congé maternité pour les médecins généralistes qui s’engagent à s’installer de manière durable dans ces zones. Ce dispositif incitatif donnant de bons résultats, nous allons l’étendre à d’autres médecins, spécialistes cette fois. Nous créons également une aide pour tenir compte des difficultés spécifiques de l’activité des médecins en zones isolées, notamment en montagne.

J’en viens enfin à la quatrième orientation de la stratégie nationale de santé et du plan d’économies : l’action sur les prix des médicaments et le développement des génériques.

Nous ferons baisser les prix des médicaments qui ne présentent pas d’amélioration du service médical rendu pour les patients, tout en continuant à soutenir l’innovation. Les médecins, en ville comme à l’hôpital, seront incités à prescrire des génériques. Je présenterai prochainement un plan d’action sur les génériques qui détaillera les actions que j’entends mener dans ce domaine.

Par ailleurs, de manière spécifique, face à la progression exponentielle des dépenses de traitement de l’hépatite C, nous proposons d’adopter des mesures très fortes de refonte de la régulation des dépenses de produits de santé.

Je veux avant tout rappeler que ces traitements représentent une excellente nouvelle en matière de santé publique, car ils apportent à un grand nombre de malades une amélioration réelle de leur état de santé. §

Notre système de santé garantit un large accès des patients à l’innovation thérapeutique, et nous en sommes fiers.Nous devons préserver cette situation. Aussi, pour répondre à l’enjeu spécifique du traitement de l’hépatite C, je propose la création dès 2014 d’un mécanisme de régulation pour les seuls médicaments destinés au traitement de cette affection. Ce mécanisme permettra de faire supporter aux laboratoires concernés un éventuel dépassement de l’enveloppe affectée à ces traitements.

Les économies que nous réalisons nous permettront d’investir dans le renforcement de la qualité de notre système de soins.

Nous investirons ainsi 34 millions d’euros, dès 2015, dans l’incitation financière à l’amélioration de la qualité des soins dans les établissements de santé. Nous vous proposons également de faciliter la prise en charge des actes innovants et des actes issus d’expérimentations.

En outre, 15 millions d’euros iront au déploiement des équipements d’imagerie médicale, afin de réduire les délais d’attente. De même, nous financerons le déploiement de la télémédecine.

Ces économies permettent également de poursuivre l’effort en direction des personnes âgées et handicapées. Avec Ségolène Neuville, nous continuons à soutenir les créations de places dans les établissements et services pour personnes handicapées et nous investissons dans la création d’unités de consultation en ville. Cela garantit aux personnes handicapées l’accès aux soins courants dans un cadre adapté, avec des locaux mis en accessibilité et des professionnels formés.

Laurence Rossignol et moi nous attachons à soutenir le renforcement du niveau d’encadrement en soins des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, avec 100 millions d’euros consacrés à leur médicalisation. Nous investirons 20 millions d’euros dans les parcours des personnes âgées en risque de perte d’autonomie – une expérimentation que j’ai lancée voilà quelques semaines en région Centre, dans le département d’Indre-et-Loire.

Vous débattrez, au premier semestre de 2015, du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, que l’Assemblée nationale a examiné en première lecture il y a deux mois. Il s’agit d’une réforme de progrès, qui améliorera concrètement la vie quotidienne de très nombreuses personnes et de leurs familles. La contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, la CASA, destinée à financer cette réforme, sera bien affectée à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA. La part de ces ressources non consommée en 2015 servira à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées, en finançant un plan pluriannuel d’aide à l’investissement sur la période 2015-2017.

Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ne se limite pas à la structuration des économies qui sont annoncées ; il contribue aussi à ces priorités de la stratégie nationale de santé que sont l’accès aux soins et la prévention.

L’investissement en faveur de la prévention est soutenu : les crédits de prévention du régime général progresseront entre 2015 et 2017. Nous aidons les centres de vaccination à développer leur activité de vaccination gratuite. Nous réformons le dispositif de dépistage du VIH et des infections sexuellement transmissibles, en posant les bases d’un dispositif unique de dépistage, plus performant et plus accessible aux publics qui en ont le plus besoin.

Nous renforcerons l’accès aux soins par la mise en place du tiers payant. Il s’agit d’une réforme qui changera, à terme, le quotidien de tous les Français, et dont le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale engage la première étape dès 2015 pour les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé.

L’accès aux soins est notre priorité et, je le dis avec force, je ne crois pas à l’idée erronée d’une « responsabilisation » des patients, qui revient à considérer que les malades se soignent par plaisir. Dans le contexte financier contraint que nous connaissons, nous refusons tout transfert de charges vers les patients : ni déremboursement, ni forfait, ni franchise. Les résultats sont là : la part des dépenses de soins à la charge des ménages a reculé de 2011 à 2013, passant de 9, 2 % des dépenses de soins à 8, 8 %, alors que le chemin inverse avait été parcouru au cours du quinquennat précédent.

Avec ce projet de loi, nous poursuivons la reconquête de la prise en charge par l’assurance maladie. J’ai ainsi déposé, à l’Assemblée nationale, un amendement qui vise à supprimer les franchises médicales pour les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé, soit plus d’un million de personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Nous mettons fin, de cette manière, à l’un des éléments les plus iniques de l’héritage des dix années au pouvoir de la majorité précédente, qui consistait à faire payer des personnes pauvres pour accéder aux soins. C’est une mesure exemplaire de la réforme juste, qui prouve que nous savons, dans un contexte inédit de contraintes et d’économies, réaliser une véritable reconquête sociale.

Mesdames, messieurs les sénateurs de la nouvelle majorité sénatoriale, j’ai pris connaissance avec grand intérêt de vos amendements et contre-propositions d’économies sur l’assurance maladie. Pour vous, le Gouvernement n’en fait pas assez en matière d’économies de santé, puisque vous proposez de réaliser 1 milliard d’euros d’économies supplémentaires, au-delà des objectifs que nous nous fixons. Le comité d’alerte de l’ONDAM a pourtant considéré que les objectifs du programme d’économies proposé par le Gouvernement étaient plus exigeants que ceux qui avaient été présentés au cours des dernières années et que leur réalisation nécessiterait un pilotage serré.

Vous prétendez faire davantage en matière de substitution de génériques : c’est fort intéressant et fort louable, mais la seule mesure que vous proposez dans ce domaine consiste à supprimer un amendement de l’Assemblée nationale qui permet d’étendre les possibilités de substitution aux sprays, ce qui prouve bien le manque de cohérence de vos propositions.

Vous voulez renforcer les conditions de prise en charge des médicaments par l’assurance maladie, mais vous proposez la suppression du mécanisme permettant de limiter les dépenses au titre du traitement de l’hépatite C, le Sovaldi, qui est une garantie d’accès à l’innovation et de prise en charge des patients.

Vous prétendez faire davantage en matière de pertinence des prescriptions, mais vos seules propositions consistent à faire ce qui existe déjà, à savoir étendre les actions de pertinence aux soins de ville. De même, vous voulez supprimer ou vider de sa portée l’article 44, qui tend à inciter les établissements de santé à être plus vigilants quant à la pertinence de la prescription.

En résumé, vous avancez des économies de posture, dont nous aurons sans aucun doute l’occasion de débattre au cours des jours prochains, et vous reculez au contraire lorsqu’il s’agit de prendre de véritables mesures qui heurtent des intérêts particuliers. Ce n’est que lorsqu’il s’agit de réduire les droits sociaux que vous êtes prêts à proposer des mesures d’économies. C’est ainsi que, après avoir supprimé le compte de prévention de la pénibilité, vous souhaitez reporter à 64 ans l’âge légal de la retraite.

En privilégiant la réduction des droits, l’opposition montre qu’elle n’est pas prête à faire des choix structurants tels que ceux que nous défendons, animés d’une volonté d’agir avec à la fois efficacité et justice.

C’est ce même double objectif qui nous guide dans la réforme de la politique familiale.

Parce que la famille est le premier cercle de socialisation et de solidarité, il est nécessaire que la cellule familiale joue son rôle pour que les enfants progressent vers l’autonomie et deviennent des adultes investis dans la société. Si les familles sont fortes et soutenues, alors leurs enfants peuvent être égaux dans leurs destinées, vivre ensemble et se respecter. Voilà pourquoi la politique familiale est l’un des socles du pacte républicain auquel nous sommes attachés.

Mais la politique familiale doit être adaptée pour répondre aux évolutions de la société et promouvoir une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie familiale. C’est pour cette raison que nous avons lancé un plan ambitieux permettant l’accueil des enfants de moins de 3 ans, avec la création de 100 000 places de crèche supplémentaires au cours des années à venir – 40 000 l’ont déjà été –, la création de postes d’assistante maternelle ou l’ouverture de 75 000 places d’accueil à l’école pour les enfants de moins de 3 ans. En effet, on ne peut pas réduire la politique familiale à des prestations.

Pour ce qui est des prestations, en faisant le choix de la modulation des allocations familiales, le Gouvernement a fait celui d’une réforme forte en matière de justice et de responsabilité.

Cette proposition a donné lieu à l’expression de nombreuses contrevérités au cours des dernières semaines.

L’universalité, ce n’est pas l’uniformité ; cela ne l’a jamais été. Par exemple, si l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, est une prestation universelle, son montant varie. La solidarité nationale, en termes d’universalité, est assurée, puisque toutes les familles qui ont droit aujourd’hui à des allocations familiales continueront à en toucher, même si, dans certains cas, leur montant sera diminué.

La modulation des allocations familiales ne remet pas davantage en cause les fondements de la sécurité sociale et la politique familiale n’est pas comparable à l’assurance maladie. C’est une réforme de justice, que les Français soutiennent car ils savent qu’elle ne demandera un effort qu’aux 11 % des familles les plus aisées et ne concernera pas les classes moyennes. En effet, seules les familles qui, avec deux enfants, ont un revenu supérieur à 6 000 euros par mois seront concernées. En deçà de 6 000 euros par mois de revenu net, les familles continueront à toucher le même montant d’allocations. Au-delà de 6 000 euros, les allocations familiales seront réduites de moitié et, au-delà de 8 000 euros, leur montant sera divisé par quatre.

Les Français sont attachés à leur modèle social, mesdames, messieurs les sénateurs, et rien ne met plus en danger la protection sociale que l’immobilisme. C’est pourquoi le Gouvernement engage des réformes structurantes pour notre protection sociale, laquelle doit permettre de mieux protéger et de mieux accompagner les familles et l’ensemble de nos concitoyens.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale dont nous entamons la discussion est un texte qui renforce la solidarité, dans un contexte où nous devons mieux répondre aux exigences d’une société qui évolue. Il s’agit, là encore, de faire preuve à la fois d’efficacité et de justice, les deux principes qui guident l’action du Gouvernement en matière sociale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion