Intervention de Francis Delattre

Réunion du 10 novembre 2014 à 14h30
Financement de la sécurité sociale pour 2015 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Francis DelattreFrancis Delattre :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le domaine des dépenses sociales, 93 % des Français estiment qu’il est urgent que des réformes soient entreprises, selon une étude réalisée par l’IFOP pour le journal L’Opinion. Ils sont 65 % à juger qu’il est nécessaire de faire des économies budgétaires, quitte à moderniser, voire, à privatiser des services à utilité réduite.

Les Français sont prêts pour des réformes. Ce texte devrait donc être une bonne occasion d’en engager. Il est important de noter qu’il ne sera pas possible de faire des économies, sauf à repenser l’organisation de notre modèle social que, paraît-il, le monde entier nous envie – mais avec 5 millions de chômeurs, on peut en douter…

La maîtrise comptable n’est plus suffisante. Le constat est clair : aucune des branches n’est à l’équilibre, ce qui risque à terme d’avoir des répercussions sur la qualité des soins, bien sûr, mais également sur la natalité et sur les niveaux des retraites.

Vous affirmez que ce texte permet « d’assurer la pérennité du système en maîtrisant les dépenses », tout en « transformant notre système de santé ». En réalité, l’objectif est de mettre un peu plus sous tutelle le secteur libéral et de privilégier le pôle public pour arriver, à terme, à un système de santé totalement contrôlé et étatisé, ce qui entraînera un certain nombre d’effets pervers que nous connaissons bien.

De même, le Gouvernement prétendait redresser durablement l’assurance vieillesse en 2013. Aujourd’hui, votre loi est déjà dépassée, madame la ministre. Ce texte finalise en réalité vos renoncements, le plus important étant le renoncement à maîtriser le déficit de la sécurité sociale. Les objectifs prévus dans la loi de finances de la sécurité sociale pour 2014 ne sont déjà pas respectés. Qu’en sera-t-il en 2015 ?

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 s’inscrit dans la perspective définie par le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, examiné par le Sénat la semaine dernière. La programmation pluriannuelle fixe l’objectif du retour du déficit effectif en deçà de 3 % du produit intérieur brut, le PIB. Pour ce faire, le Gouvernement envisage de réaliser 21 milliards d’euros d’économies dans le champ des administrations de sécurité sociale entre 2015 et 2017, sur un effort total de 50 milliards d’euros.

L’importance de la contribution des administrations de sécurité sociale se justifie, d’une part, par le poids de leurs dépenses dans les dépenses publiques totales – 43 % – et, d’autre part, par le niveau incontestablement élevé des dépenses sociales en France. Celles-ci excèdent de 6, 7 points de PIB la moyenne des dépenses sociales enregistrées dans la zone euro en 2013.

Les dépenses sociales représentent donc l’essentiel de la différence entre le niveau de la dépense publique en France et le niveau moyen constaté dans la zone euro.

Toutefois, le plan d’économies du Gouvernement sur les administrations de sécurité sociale nous semble, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, très fragile.

Tout d’abord, il est envisagé de réaliser 10 milliards d’euros d’économies, sur les 21 milliards d’euros prévus, dans le champ des dépenses d’assurance maladie, sans qu’aucune méthodologie ne soit réellement évoquée. Le projet de loi de programmation des finances publiques se borne à fixer le taux d’évolution de l’objectif national d’assurance maladie à 2 % en moyenne entre 2015 et 2017. Or, dans son avis d’octobre dernier, le Comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie a souligné que ces objectifs ne seraient pas tenables si des réformes de structure n’étaient pas engagées rapidement. Comme d’autres collègues, il me semble que nous ne parviendrons pas à réduire durablement l’accroissement tendanciel des dépenses de santé sans réformes structurelles sérieuses.

Ensuite, les 11 milliards d’euros d’économies restants seraient réalisées sur les autres dépenses de protection sociale : 2, 9 milliards d’euros d’économies résulteraient de décisions déjà prises en 2013 en matière de retraites et de politique familiale, 2 milliards d’euros d’économies seraient réalisées sur les régimes de retraite complémentaires AGIRC-ARRCO, ou encore 2 milliards d’euros d’économies proviendraient de la réforme de l’assurance chômage. Or chacun connaît ici l’état des discussions en cours sur cette réforme. Monsieur le secrétaire d’État, nous n’avons pas entendu parler d’une nouvelle convention…

Le flou persistant entourant les 9, 6 milliards d’euros d’économies prévues en 2015 est particulièrement frappant et altère la crédibilité du plan. Le 21 octobre dernier, devant l’Assemblée nationale, M. le secrétaire d’État a communiqué certaines précisions – les mêmes que celles qu’il vient de nous donner largement dans son propos liminaire. Les 9, 6 milliards d’euros se répartiraient entre 4 milliards d’euros de mesures déjà engagées, mais sans effet véritablement quantifié à ce jour, et 5, 6 milliards d’euros de mesures nouvelles.

De plus, les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale supporteraient la majorité des économies, soit environ 6, 7 milliards d’euros, contre seulement 2, 9 milliards d’euros pour les autres administrations de sécurité sociale, telles que l’assurance chômage et les régimes de retraite complémentaires. Le présent projet de loi de financement intégrerait, quant à lui, environ 4, 6 milliards d’euros d’économies au titre de l’exercice 2015.

En y regardant de plus près, ce plan d’économies suscite quelques interrogations.

D’abord, les 600 millions d’euros d’économies censées provenir de la réforme de la politique familiale engagée fin 2013 ne correspondent pas aux prévisions transmises il y a un an et confirmées, monsieur le secrétaire d’État, en septembre 2014. Les mesures adoptées à la fin de l’année 2013 ne devraient en effet entraîner que 290 millions d’euros d’économies. Nous sommes donc loin des 600 millions d’euros annoncés, sauf à anticiper un prélèvement sur le Fonds national d’action sociale de la Caisse nationale d’allocations familiales.

Parmi les mesures déjà engagées, 450 millions d’euros d’économies dans le champ des autres administrations de sécurité sociale ne sont pas détaillées. M. le secrétaire d’État chargé du budget a seulement indiqué que ces économies devraient provenir de la « consolidation de la situation financière des régimes complémentaires » en 2014. Quels sont les régimes complémentaires concernés, monsieur le secrétaire d’État ? Quelles mesures ont-ils mises en œuvre ? Nous aimerions avoir quelques explications, car nous n’en avons reçu aucune jusqu’à présent.

Enfin, parmi les mesures nouvelles, un ensemble de 500 millions d’euros n’est pas non plus documenté. Il correspondrait en partie aux effets du décalage de l’adoption du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement et de mesures sur les aides au logement. Pour quels montants précis ? Là encore, des incertitudes demeurent et nous sommes dans le flou.

Au total, sur les 9, 6 milliards d’euros prévus, au moins de 1, 5 milliard à 2 milliards d’euros d’économies semblent très hypothétiques. Reposant en partie sur des effets d’arrondis et sur l’anticipation de la moindre consommation de certains fonds d’action sanitaire et sociale, le plan d’économies du Gouvernement sur la protection sociale est de toute évidence très fragile.

Après ces quelques éléments de réflexion, j’en viens, mes chers collègues, à l’avis de la commission des finances sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015.

Le projet de loi repose sur des hypothèses macroéconomiques manifestement optimistes. Ainsi, le taux de croissance du PIB est-il évalué à 1 %, alors que la Commission européenne le situe à 0, 7 % et d’autres organismes à 0, 5 %. Même à 0, 5 %, monsieur le secrétaire d’État, signez tout de suite ! Quant au taux de croissance de la masse salariale, il est estimé à 2 %. Faute d’inflation, c’est peu probable.

Ce texte marque l’abandon de l’objectif de retour à l’équilibre des comptes de la sécurité sociale à l’horizon de 2017. Après la stagnation des déficits aux alentours de 15, 4 milliards d’euros en 2014, le déficit de l’ensemble des régimes obligatoires de base et du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, ne devrait diminuer que de 1, 1 milliard d’euros en 2015. Compte tenu du net ralentissement de la réduction des déficits, un déficit de l’ordre de 6 milliards d’euros devrait persister en 2017.

Ce projet de loi porte aussi les prémices de la généralisation du tiers payant, annoncée par la ministre des affaires sociales et de la santé, à l’horizon de 2017. La généralisation du tiers payant à l’ensemble des assurés comporte des difficultés techniques, mais aussi des risques financiers majeurs concernant le recouvrement de la participation de 1 euro par acte et des franchises. Elle pourrait en outre entraîner une multiplication du nombre d’actes.

Afin de marquer son désaccord avec l’objectif de généralisation du tiers payant fixé par le Gouvernement, la commission des finances a adopté un amendement visant à supprimer l’article 29 du présent projet de loi, qui marque en réalité la première étape de cette généralisation.

Le texte qui nous est transmis par l’Assemblée nationale est encore plus critiquable que le projet de loi initial. Il comporte en particulier deux mesures avec lesquelles la commission des finances est en désaccord. Nous vous ferons même une proposition concernant la première d’entre elles : la soumission aux cotisations sociales des dividendes versés par des sociétés anonymes, les SA, ou des sociétés par actions simplifiées, les SAS, à leurs dirigeants.

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