Intervention de Yves Daudigny

Réunion du 10 novembre 2014 à 14h30
Financement de la sécurité sociale pour 2015 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 que nous examinons aujourd'hui s’inscrit clairement dans une perspective globale.

Je pourrais trouver, dans l’avant-propos du rapport consacré à l’assurance maladie, la confirmation de la justesse des orientations que vous avez données, madame la ministre, à votre politique sociale depuis 2012.

Il se confirme qu’il était en effet indispensable, pour lui redonner sens, d’inscrire le pilotage des finances sociales dans le cadre d’une politique de santé publique qui a été – vous le relevez, monsieur le rapporteur général, dans ce même avant-propos – laissée à l’abandon durant dix ans.

Ce cadre a été effectivement redéfini. C’est celui de la stratégie nationale de santé, qui fixe trois axes d’action majeurs pour l’avenir : une politique de prévention intégrant l’ensemble des déterminants de santé ; une offre de premier recours à la base d’un parcours simplifié et décloisonné ; une nouvelle démocratie sanitaire intégrant un pilotage national.

Le projet de loi portant adaptation de la société au vieillissement, tant attendu et d’ores et déjà adopté à l’Assemblée nationale, constitue l’un des volets de ce programme. Le projet de loi de santé publique présenté en conseil des ministres le 15 octobre dernier, et dont l’importance est soulignée dans le même avant-propos, poursuit la mise en œuvre de cette stratégie. Et il en va de même de ce projet de loi de financement pour 2015, pour une grande part de ses dispositions.

Mesures de prévention, de contrôle de la pertinence des soins, de maîtrise des dépenses de médicament et de promotion des génériques, d’amélioration du coût, de la qualité et de la sécurité des soins hospitaliers, engagement d’un « virage » ambulatoire : ce texte met en œuvre concrètement les axes de cette stratégie. L’ensemble de ces réformes sont l’expression cohérente de ces objectifs nettement fixés dans le long terme.

La mise en œuvre du pacte de responsabilité et de solidarité engagée par les projets de loi rectificatifs de l’été dernier et la poursuite du désendettement des comptes sociaux constituent les deux autres axes de ce projet.

En 2014, le contexte économique reste fragile, même si cela n’est pas propre à la France. Notre protection sociale, toujours majoritairement financée par les cotisations sur les revenus professionnels, reste fortement dépendante de l’évolution de la masse salariale. La trajectoire pluriannuelle de redressement fixée à l’horizon 2018 s’infléchit en conséquence. Cela n’altère pas la fermeté du choix de redressement des comptes sociaux et de retour à l’équilibre.

À cet égard, il est nécessaire de rappeler le chemin déjà parcouru. Grâce aux lois de finances et de financement de 2012, qui ont mis un coup d’arrêt à la dérive financière que nous avons connue, il est considérable.

Le déficit de l’ensemble des régimes obligatoires de base et du Fonds de solidarité vieillesse, qui s'élevait à près de 30 milliards d’euros en 2010, a été divisé par deux : il se monte à 15, 7 milliards d’euros fin 2014. L’effort est maintenu en 2015 pour ramener le solde négatif à 13 milliards d’euros, soit une amélioration de 2, 7 milliards par rapport à l’année précédente.

La décrue progressive des déficits du régime général se poursuit en 2014 – le déficit global est réduit de 12, 5 à 11, 6 milliards d’euros –, mais de manière toutefois inégale selon les branches.

Le déficit du régime de retraite est divisé par trois en deux ans, notamment grâce à l’évolution progressive de la durée d’assurance requise et des cotisations – la part déplafonnée salariés et employeurs augmente de 0, 15 point en 2014 et de 0, 05 point entre 2015 et 2017– mise en place par la réforme du 20 janvier 2014.

L’article 5 de ce projet confirme par ailleurs les deux mesures annoncées en faveur des petites retraites, avec le versement d’une prime de 40 euros et une seconde revalorisation du minimum vieillesse pour atteindre le plafond de 800 euros pour une personne seule et de 1 242 euros pour un couple.

Le solde de la branche famille s’améliore également par rapport à 2013 et la branche accidents du travail-maladies professionnelles reconduit son excédent. De même, les autres régimes obligatoires de base améliorent leurs comptes, avec un déficit ramené de 1, 8 milliard en 2012 à 100 millions en 2014.

Au contraire, la branche maladie et le FSV, le Fonds de solidarité vieillesse, voient leurs soldes se dégrader. Pour contenir leur évolution tendancielle, l’ONDAM est fixé pour 2015 à 2, 1 % et nécessite la programmation de 3, 2 milliards d’économies. Je tiens à le préciser, toutes les économies ont toujours été calculées par rapport aux évolutions tendancielles, cela ne date pas de 2012…

Vous le constatez chiffres en main : même s'ils peuvent apparaître encore insuffisants, les résultats sont là ! La caractéristique de cette politique de maîtrise des dépenses est d’être menée sans réduction de couverture sociale, sans déremboursement et sans augmentation de forfaits. Ce point doit être souligné avec force. Les dépenses de chaque branche augmentent à périmètre constant et les efforts sont répartis équitablement avec la volonté permanente d’améliorer la qualité des soins et de réduire les inégalités d’accès.

Les résultats sont de nouveau là, qui établissent que le reste à charge des ménages diminue, comme vous l'avez souligné, madame la ministre. C’est en outre confirmé par l’analyse de l’assurance maladie qui relève, dans son rapport sur l’évolution des charges et produits pour 2015 que, « comparée à d’autres pays de l’OCDE où un coup de frein brutal a suivi de fortes augmentations, la France se caractérise par une croissance globalement modérée depuis 2000 et par une trajectoire de ralentissement progressif qui a permis de préserver le fonctionnement du système de santé d’à-coups majeurs. L’ONDAM est respecté depuis 2010, avec une stabilité de la part des dépenses financée publiquement ». Compte tenu du contexte, le rythme de maîtrise des coûts adopté par le Gouvernement depuis 2012 est le bon. Mon cher collègue rapporteur général de la commission des affaires sociales, vous faites vôtre cet avis, que vous mentionnez dans votre rapport. Dans le même temps, pouvez-vous proposer une réduction supplémentaire de 1 milliard d’euros, qui s’ajouterait aux réductions déjà programmées ? Il y a là une contradiction.

Les hypothèses macroéconomiques retenues, qui sous-tendent ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, font l’objet de discussions. Permettez-moi de les rappeler : une croissance de 1 % du PIB et une augmentation de 2 % de la masse salariale. Elles sont pourtant plus prudentes que celles recueillant un consensus parmi les économistes et identiques à celles annoncées par le Fonds monétaire international, le FMI. L’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, est même légèrement plus optimiste. Certes, ces hypothèses supposeront un pilotage serré, cela a été dit. Toutefois, elles sont loin d’être infondées.

La question du transfert à la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, de la dette portée par l’ACOSS a été posée. Depuis 2007, en effet, la structure de son financement s’est diversifiée, puisqu’elle est désormais autorisée à émettre directement sur les marchés financiers des billets de trésorerie et, depuis 2009, des Euro commercial papers. Je rappellerai sur ce point ma position, qui est restée constante : dette et trésorerie ne doivent pas être confondues. Mais il nous faut également tenir compte d’un taux d’amortissement de 0, 137 %, soit des conditions historiquement favorables. C’est pourquoi l’article 19 prévoit de faire bénéficier le régime agricole de ces conditions de financement, en lui donnant accès aux prêts de l’ACOSS, ce qui lui permettra de réaliser une économie de 30 millions d’euros. Envisager un nouveau transfert, au-delà des 10 milliards d’euros annuels prévus par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, supposerait d’attribuer de nouvelles ressources, à proportion équivalente, à la CADES. Or tous les gouvernements se sont refusés à augmenter la CRDS. Pour l’instant, ce ne serait donc pas de bonne gestion. Enfin, pour mesurer la portée de la mesure prévue, je rappelle que si l’article 27 tend à établir le plafond de couverture du besoin de trésorerie pour 2015 à 36, 3 milliards d’euros, soit 1, 8 milliard d’euros de plus qu’en 2014, celui-ci avait été porté en 2010 à plus de 65 milliards d’euros.

S’agissant justement de gestion, vous aurez certainement relevé, mes chers collègues, que la Cour des comptes s’est trouvée en mesure de certifier, pour la première fois, la totalité des comptes des entités du régime général ! Cette gestion plus rigoureuse a été confirmée par le rapport pour avis de la commission des affaires sociales relatif au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019.

La compensation des mesures prévues par le pacte de responsabilité et de solidarité votée en projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative en juillet dernier fait l’objet de l’article 28 du projet de loi de finances pour 2015, qui vise à transférer à l’État la part des aides personnalisées au logement financée par la branche famille à hauteur de 4, 75 milliards d’euros, et de l’article 14 de ce PLFSS, qui tend à anticiper le versement au régime général des cotisations et contributions dues sur les indemnités versées par les caisses de congés payés à hauteur de 1, 52 milliard d’euros. Pour être précis, une majoration de 0, 02 % de la fraction de TVA nette affectée au régime général complète de 30 millions d’euros ce dispositif, qui est donc compensé, comme cela était prévu, à l’euro près.

Mes chers collègues, notre objectif commun est de faire en sorte que chacune et chacun continuent, à l’avenir, à bénéficier du haut niveau de protection sociale qui caractérise notre pays et qui permet, mieux que partout ailleurs, d’amortir les effets de la crise. Face à un lourd passif, les marges, personne ne le conteste, sont étroites, entre la nécessité de poursuivre le désendettement sans obérer la croissance et l’obligation d’engager des réformes structurantes de long terme, malgré nombre de corporatismes. Mais ces marges existent.

En commission des affaires sociales, de nombreuses mesures du texte ont été approuvées. Il n’y a en effet pas de raison de s’opposer – c’est vous qui le dites, monsieur le rapporteur général –, s’agissant de l’hôpital, aux dispositions de l’article 36 visant à améliorer la qualité et la sécurité des soins, ni à celles de l’article 37, qui tend à reconnaître le rôle des hôpitaux de proximité, de l’article 42, dont l’objet est de contrôler la pertinence des soins, ou des articles 11 et 41, qui introduisent des mesures favorables à l’innovation. La commission a également adopté l’article 32 portant simplification du financement des soins aux personnes détenues, comme elle pourra approuver les mesures de simplification et de rationalisation de la gestion aux articles 8, 12, 13, 15, 16, 17 et 18. De la même manière, l’article 33, relatif aux mesures de prévention, visant à fusionner les CDAG, les centres de dépistage anonymes et gratuits, et les CIDDIST, les centres d’information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles, ainsi que les articles 38, 39 et 40 relatifs aux missions du Fonds d’intervention régional, au contrat de praticien territorial et à l’exercice en zone touristique, pourront également recueillir son accord.

Ce texte comporte par ailleurs, et ce n’est pas le point le moins important, de nombreuses mesures de justice.

Tout d’abord, le financement progresse globalement. L’évolution de l’ONDAM est supérieure à l’évolution du PIB en valeur, ce qui dément tout constat d’austérité.

Ensuite, le tiers payant est étendu aux bénéficiaires de l’aide pour l’acquisition d’une complémentaire santé, tandis que les participations forfaitaires et les franchises sont supprimées.

Par ailleurs, l’établissement d’un calcul plus équitable de la CSG – cela a été expliqué – sur les revenus de remplacement constitue également une mesure de justice, tout comme l’extension du transfert de l’indemnité maternité au père en cas de décès de la mère et l’ouverture des indemnités journalières aux conjoints et aux aides familiaux des exploitants agricoles en cas d’accident ou de maladie professionnelle, ce dès le 1er janvier 2015.

Autre mesure de justice, comme le considère à juste titre la majorité des Français : la modulation des allocations familiales adoptée par l’Assemblée nationale.

Madame la rapporteur pour la famille, il est abusif d’affirmer que le principe d’universalité est l’une des pierres angulaires de la politique familiale depuis son origine. En 1945, les allocations n’étaient pas versées à tous, même si, j’en conviens, la loi du 22 août 1946 en a étendu le nombre des bénéficiaires. Toutefois, depuis lors, le premier enfant n’ouvre toujours pas droit aux allocations familiales. L’universalité n’exclut nullement une condition de ressources, comme c’est d’ailleurs le cas pour l’APA, l’Allocation personnalisée d’autonomie, ce que personne ne conteste, vous l’avez dit, madame la ministre.

C’est un peu moins d’égalité pour un peu plus d’équité. Annoncer qu’une réduction de 65 euros des allocations pour les couples avec deux enfants bénéficiant de revenus mensuels supérieurs à 6 000 euros détruira les familles est évidemment quelque peu excessif. C’est oublier que la logique profonde de la politique d’aide aux familles est d’abord une logique de solidarité, comme l’énonce d’ailleurs très clairement l’ordonnance du 4 octobre 1945, laquelle, dans sa rédaction, inclut la famille – nous reviendrons sur ce point.

Enfin, pour ma part, je n’oublie pas que, fin 2009, la majorité de cette assemblée a approuvé une ponction de 0, 28 point de CSG dans les ressources de la branche famille pour le transférer à la CADES, en compensant sans état d’âme ce manque à gagner par un « panier » que l’on a pu qualifier de « percé », dans la mesure où il n’était pas constitué de recettes pérennes. Cette décision, qui a réellement mis en danger le financement de la politique familiale, nous oblige aujourd’hui à combler un déficit injustifié.

Ce projet de loi comporte d’autres dispositions essentielles, particulièrement dans le secteur du médicament, alors que les exigences tarifaires de certains laboratoires – exigences, en l’espèce, de strict rendement financier, puisqu’il ne s’agit pas de rémunérer la recherche – concernant de nouvelles molécules destinées à un grand nombre de patients nous obligent à reconsidérer les cadres juridiques de la mise sur le marché. Il est indispensable et responsable de réagir immédiatement, sauf à prendre le risque soit d’obérer gravement les comptes de l’assurance maladie, soit de priver nombre de patients de l’accès à un traitement, ce qui n’est pas pensable.

C’est la raison pour laquelle nous soutiendrons les dispositions que vous proposez à l’article 3, madame la ministre, d’autant que la procédure prévue, tout comme celle de l’article 10 relatif à la clause de sauvegarde, privilégie constamment la négociation conventionnelle entre les laboratoires et le CEPS, le comité économique des produits de santé.

Je souhaite enfin évoquer le bilan établi par la Cour des comptes à la demande de notre commission des affaires sociales sur les relations conventionnelles entre l’assurance maladie et les professions libérales de santé dans un rapport publié en juin 2014 et annexé à celui que j’ai eu l’honneur de présenter le mois suivant. À l’occasion de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques, l’une des préconisations de la cour, visant à associer le Parlement à ces relations par la présentation des orientations prises en amont des négociations, ainsi que d’un bilan annuel des résultats des actions conventionnelles, a été proposée et adoptée. Elle contribuera à renforcer l’information des membres des commissions chargées des affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat, ce dont je me félicite.

Il est en effet normal, et même d’ordre constitutionnel, me semble-t-il, que le Parlement soit informé régulièrement et exerce son contrôle sur les procédures conventionnelles, compte tenu de leurs conséquences sur les finances sociales.

Un mot encore – ce ne sera pas le plus agréable pour vous, monsieur le secrétaire d’État –, pour rappeler le vote unanime de la Haute Assemblée en faveur de l’emploi à domicile.

L’amendement adopté à l’Assemblée nationale constitue un progrès, dont le périmètre reste toutefois restreint. Nous vous proposerons d’y revenir ; j’espère que vous saurez nous entendre.

Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, ce projet est nécessaire et responsable dans le contexte que nous connaissons en France et en Europe. Il est équilibré pour ce qui concerne la répartition des efforts. Il introduit de nouvelles mesures de justice. Il est ambitieux pour l’avenir.

J’en veux pour preuve les amendements présentés par la majorité sénatoriale, qui ne visent, si l’on excepte la suppression de trois mesures de justice, ni à apporter des modifications majeures ni à changer de direction.

Pour ces raisons, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous pouvez compter sur le soutien du groupe socialiste au cours des jours à venir. §

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