Intervention de Jean Desessard

Réunion du 10 novembre 2014 à 14h30
Financement de la sécurité sociale pour 2015 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Jean DesessardJean Desessard :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les écologistes se félicitent d’un certain nombre de mesures positives de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Pour ce qui concerne le chapitre « Amélioration de l’accès aux soins », ils se réjouissent de mesures qui font écho aux quarante propositions du rapport remis par ma collègue Aline Archimbaud au Premier ministre en septembre 2013.

Nous saluons ainsi les dispositions visant à accorder, dès le 1er juillet 2015, le tiers payant intégral aux bénéficiaires de l’ACS, l’aide pour l’acquisition d’une complémentaire santé, et à supprimer les franchises médicales pour ces mêmes bénéficiaires.

Nous nous félicitons également de la prise en compte de la prévention dans les lignes budgétaires du Fonds d’intervention régional destinées aux actions initiées par les agences régionales de santé.

Nous saluons le fait que la tarification à l’activité prenne désormais en compte la qualité et la sécurité des soins, ainsi que le contexte dans lequel s’insère la structure hospitalière.

Certes, nous aurions pu prendre en compte également la précarité des publics en intégrant cette donnée aux critères de rémunération des soignants libéraux comme des structures de santé.

De même, des mesures de simplification sont nécessaires. Celles qui ont été présentées par Aline Archimbaud dans son rapport font l’unanimité parmi les associations, les travailleurs sociaux, les acteurs de l’assurance maladie et les professionnels de santé qu’elle a entendus durant plusieurs mois dans le cadre de sa mission.

En effet, dans son sixième rapport d’évaluation de la loi du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle, dite loi CMU, rendu public voilà quelques jours, le Fonds CMU fait un constat accablant sur l’aide pour l’acquisition d’une complémentaire santé, pour laquelle le non-recours atteint des records. Si, selon les estimations, entre 2, 7 à 3, 9 millions de personnes sont éligibles à cette aide, seulement 26 % à 38 % d’entre elles y ont effectivement recours.

Les articles 29 et 29 bis de ce texte, qui exonèrent les bénéficiaires de l’ACS de franchises médicales tout en les rendant éligibles au tiers payant intégral, ne concerneront donc en définitive que trop peu de personnes tant que nous ne nous attaquerons pas à la simplification des démarches pour accéder à cette aide.

Mes chers collègues, je vous invite – et vous incite – à tenter de compléter le formulaire de demande de l’ACS et de franchir toutes les étapes du parcours du combattant, du rassemblement des nombreuses pièces demandées à la signature d’un contrat avec un organisme de complémentaire santé en passant par l’obtention de l’attestation de la caisse primaire d’assurance maladie.

C’est en ce sens que notre groupe vous proposera un amendement de simplification. Celui-ci vise à rendre possible l’utilisation du revenu fiscal de référence – qui tient en une seule pièce – pour la constitution du dossier plutôt que de demander aux candidats de justifier de toutes leurs ressources, ce qui peut représenter jusqu’à cent pièces administratives pour une personne.

C’est une mesure qui simplifierait la vie de tout le monde, des usagers mais également des personnels des caisses d’assurance maladie qui perdent trop de temps à éplucher des dossiers d’une épaisseur considérable et qui souvent font le travail en double par rapport à d’autres administrations.

Le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, le SGMAP, explique par ailleurs qu’en s’attaquant aux obstacles qui constituent ce parcours du combattant de l’accès aux soins, on améliore l’état de santé global de la population tout en dégageant un gisement d’économies substantielles, qu’il appelle « le gisement moins de maladies ».

Attachés à la pérennité de notre système de protection sociale, nous vous proposons une mesure d’économie à la fois juste et durable.

Par ailleurs, notre groupe continue de vous proposer, projet de loi de financement après projet de loi de financement, des mesures de fiscalité comportementale sur le tabac, l’huile de palme, l’aspartame ou encore le mercure dentaire. Nous vous présenterons ces mesures en détail au cours du débat.

Venons-en au point essentiel du financement.

Nous assistons de manière tendancielle à une diminution des recettes de la sécurité sociale, particulièrement pour 2015.

Les mesures du pacte de compétitivité ont induit, sans contrepartie, des baisses de charges en faveur des entreprises. La conséquence est nette sur les recettes de la sécurité sociale : moins 5, 9 milliards d’euros en 2015, et même moins 6, 3 milliards d’euros si l’on inclut la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Cette somme est considérable, elle représente plus de la moitié du déficit prévu pour 2015.

Certes, le Gouvernement s’est engagé à compenser formellement cette perte de recettes. Mais il s’agit, monsieur le secrétaire d'État, d’un trompe-l’œil. En effet, clairement, c’est non pas avec des recettes nouvelles que l’État compense la perte de recettes pour la sécurité sociale, mais bel et bien avec les économies réalisées sur l’assurance maladie et la politique familiale. C’est d’ailleurs comme cela que le Gouvernement lui-même présente la situation lorsqu’il explique que le pacte de responsabilité sera financé en 2015 par 21 milliards d’euros d’économies, dont 9, 6 milliards d’euros sur la sécurité sociale.

Il est inquiétant de constater que le Gouvernement s’engage à des baisses de cotisations annuelles et ne les finance qu’avec une mesure par définition non reconductible l’année prochaine. Sur les quelque 6 milliards d’euros à compenser au titre du pacte en 2015, 1, 5 milliard d’euros seront par exemple trouvés par un prélèvement sur la trésorerie des caisses de congés payés, comme le prévoit l’article 14. On peut s’interroger sur l’impact financier d’une telle mesure sur ces caisses.

En outre, aux termes de l’article 22, qui concerne l’exit tax, l’État récupère d’une main ce qu’il accorde de l’autre en promettant des compensations. Ce dispositif visant à prévenir l’exil fiscal a en effet pour objet de transférer 445 millions d’euros de recettes de la sécurité sociale vers l’État, ce qui permet donc au Gouvernement de recouvrer une partie de la compensation.

Au-delà des pertes de recettes dues au pacte de responsabilité, on ne peut que s’inquiéter de la volonté du Gouvernement de revenir, sous la pression du MEDEF, sur l’amendement Bapt concernant la taxation des dividendes octroyés aux dirigeants. Sur l’initiative, donc, de Gérard Bapt, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les recettes et l’équilibre général, l’Assemblée nationale a en effet adopté un amendement visant à dissuader les dirigeants d’entreprise de se rémunérer en dividendes plutôt qu’en salaire, par une augmentation adéquate de la fiscalité. Les écologistes saluent cette mesure et voteront pour son maintien au sein de ce texte.

Nous regrettons que les possibilités de recours à l’emprunt des organismes de financement de la sécurité sociale soient accrues, aux termes de l’article 27. Après la fiscalisation, voici donc venu le temps de la financiarisation de notre modèle social, qui nous placera à terme dans une grande dépendance à l’égard des taux d’intérêt.

Dernier point, concernant la politique familiale, nous avons un article majeur à étudier, fruit d’un accord entre le groupe socialiste à l’Assemblée nationale et le Gouvernement : la modulation des allocations familiales selon le revenu.

Cette mesure remet en cause un principe fondamental de notre sécurité sociale, à savoir l’universalité des allocations familiales. (Les prestations doivent être les mêmes pour tous et la redistribution doit s’exercer selon le principe suivant : « on cotise selon ses moyens et l’on reçoit selon ses besoins ».

Pour ne pas être confondus avec ceux qui défendent une politique nataliste, les écologistes sont partisans d’une allocation dès le premier enfant. L’universalité pour tous les enfants, cela signifie un droit à l’éducation et à la prise en charge de chaque enfant.

L’instauration d’un seuil de modulation porte un coup fatal au principe d’universalité. Il a été décidé de réduire les allocations pour les ménages gagnant plus de 6 000 euros. Mais si demain il faut faire plus d’économies, on baissera ce seuil à 5 000 euros, et ainsi de suite ! Lorsqu’on touche à un tabou, où est la limite ? Un principe doit être respecté dans son intégralité, autrement il n’est pas absolu et n’est rien d’autre qu’une somme de parties.

On ne fera pas œuvre de justice sociale en s’attaquant à l’universalité des allocations familiales.

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