Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, « notre modèle social rassemble les Français, ils nous le disent : ils tiennent à ce modèle dont la force est de s’adresser à tous, depuis la naissance jusqu’à la fin de la vie, et dont l’objectif est de soutenir davantage ceux qui en ont le plus besoin ».
Vous aurez reconnu, madame la ministre, les paroles que vous avez prononcées devant l’Assemblée nationale ; vous les avez d’ailleurs reprises tout à l’heure à cette tribune. Je les cite d’autant plus facilement que je les approuve entièrement. Elles sont dans l’esprit du programme du Conseil national de la Résistance, au nom duquel Ambroise Croizat, ministre communiste, a mis en œuvre notre protection sociale.
Je vous approuve encore lorsque vous dites que, « quels que soient les succès de notre modèle social, nous devons sans cesse l’adapter, pour faire en sorte qu’il tienne mieux ses promesses de justice, qu’il réponde aux évolutions de notre société et, bien évidemment, qu’il soit soutenable financièrement ».
Oui, les élus du groupe communiste, républicain et citoyen pensent que notre modèle social a su rester moderne et que, en effet, il doit être soutenable financièrement.
Là où je ne peux plus vous suivre, c’est dans la voie que vous empruntez pour répondre à cet impératif de soutenabilité. Vous faites le choix résolu de la réforme, dites-vous. Mais en réalité, dans la foulée de vos prédécesseurs, vous persistez à baisser les dépenses sans prévoir de nouvelles recettes.
Avec ce texte, le Gouvernement persévère dans son objectif de réduction des déficits, concrétisé par des économies de 21 milliards d’euros, dont 9, 6 milliards d’euros sur le financement de la santé et la protection sociale.
En outre, ce texte concrétise une part du pacte de responsabilité et compense les 6, 3 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales patronales, alors même que ces mesures n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité.
Dans un contexte économique moribond et de croissance quasi nulle, les espoirs de générer davantage de recettes semblent s’envoler. Nous nous interrogeons sur la sincérité de vos prévisions budgétaires, qui paraissent irréalistes au regard de l’austérité que vous imposez au pays et eu égard aux récentes déclarations du ministre Michel Sapin devant la Commission européenne sur le budget de la France.
Continuer à diminuer les dépenses est pour mon groupe un non-sens et un aveuglement en considération des souffrances ressenties par nos concitoyens.
En outre, la compensation du pacte de responsabilité, qui exigera, rappelons-le, 50 milliards d’euros d’économies d’ici à 2017, est réalisée par des jeux d’écriture dans la mesure où aucune recette nouvelle n’est créée.
Cette compensation est en réalité un vaste phénomène de vases communicants entre le budget de l’État et celui de la sécurité sociale. Comme le soulignait notre ancien rapporteur général Yves Daudigny, c’est une tuyauterie complexe de transferts de financements. Quoi qu’il en soit, ces jeux d’écriture qui ne seront pas éternellement renouvelables. Tôt ou tard, vous devrez affronter la question de l’augmentation des recettes.
En l’espèce, le dogmatisme est du côté du Gouvernement. Il faut en effet être mû par une forte conviction théorique pour décider d’amplifier une politique menée depuis vingt ans de réduction du prétendu « coût du travail », alors que la pratique, les statistiques et les études empiriques montrent que celle-ci est inefficace en matière de création d’emplois et lourde de conséquences pour les comptes sociaux et publics.
Chaque année, ce sont en effet près de 30 milliards d’exonérations de cotisations sociales qui sont consenties aux employeurs, sans que ne soient jamais exigées d’eux des contreparties claires, précises et concrètes. Le fondement de ces mécanismes de réduction des cotisations sociales repose sur une approche libérale de l’économie, selon laquelle plus le prétendu coût du travail serait réduit, plus les employeurs auraient tendance à recruter.
Qui plus est, ces exonérations de cotisations sociales appauvrissent tout à la fois les comptes sociaux et les salariés, car l’effet « trappe à bas salaires », à savoir le tassement des salaires pour que les employeurs conservent le bénéfice des exonérations de cotisations sociales, est indéniable.
Très clairement, plutôt que de faire le choix de renforcer le pouvoir d’achat des salariés en augmentant les salaires, c’est-à-dire en opérant un nouveau partage des richesses entre capital et travail en faveur du travail, vous faites le choix de réduire les cotisations sociales, ce qui, mécaniquement, conduira à une hausse des taxes et impôts affectés pour compenser ces moindres recettes.
Ainsi, comme le rappelait Nicolas Sansu dans son rapport sur la proposition de loi relative à la modulation des contributions des entreprises, présentée par les parlementaires communistes, « la distorsion en faveur du capital a d’abord permis d’augmenter les dividendes versés aux actionnaires, renforçant la logique de domination de la finance sur l’économie réelle ».
Quant à ma collègue Michelle Demessine, elle dénonce dans son rapport La réalité de l’impact sur l’emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises, dont le Sénat n’a d’ailleurs pas adopté les conclusions, « la course sans fin à la baisse des salaires, qui alimente la déflation en Europe, alors que nous avons besoin de croissance et de soutien à la consommation ». Enfin, écrit-elle encore, « focalisés depuis vingt ans sur le coût du travail, les pouvoirs publics ont négligé d’autres enjeux : développement des entreprises, promotion de l’emploi et des qualifications ».
Autre point de désaccord, les compensations prévues pour pallier ces réductions de recettes se traduiront logiquement par un accroissement de la fiscalisation de notre système de protection sociale, et par une hausse soit de la CSG soit de la TVA, impôts majoritairement supportés par les ménages. Cela revient à reprendre sous forme de taxes et d’impôts affectés les exonérations de cotisations salariales consenties ! Au passage, on dissimule comment ce PLFSS organise un transfert du financement des entreprises vers les salariés eux-mêmes.
De plus, les pertes de recettes organisées au profit du patronat entraîneront mécaniquement une baisse des prestations sociales et une dégradation des services proposés à la population.
Vos décisions, madame la ministre, ne seront pas sans conséquences pour nos concitoyens, notamment pour les classes populaires. Vous exigez de leur part des efforts sans en demander en retour au patronat. Autrement dit, vous faites payer la crise à celles et ceux qui la subissent le plus.
Selon le Gouvernement, ce PLFSS facilitera l’accès aux soins, réorientera le système de santé vers la proximité et la qualité et favorisera la prévention. Dans le même temps, comme vient également de le dénoncer notre collègue Jean Desessard, vous fixez l’ONDAM à 2, 1 % – soit son taux le plus bas depuis sa création –, ce qui représente 3, 2 milliards d’euros d’économie pour 2015. Ce faisant, alors que vous connaissez parfaitement la situation de déficit de nombreux hôpitaux, vous accentuez les fermetures de services, les réductions de personnel et les inégalités d’accès aux soins.
De même, le virage ambulatoire que vous souhaitez prendre revêt plus une finalité d’économie que d’adaptation aux progrès de la prise en charge des patients pour certains actes. Prenez garde à la sortie de route, car ce virage nécessite préalablement de réorganiser les pratiques, de former les praticiens et de créer de nouveaux lieux d’accueil. Il faut donc rester prudent sur le montant des économies envisagées.
Il faut aussi se demander jusqu’où l’on peut réduire la durée d’hospitalisation des patients sans nuire à la qualité de la prise en charge. Là encore, les inégalités sociales et territoriales sont fortement marquées : le retour chez soi après une intervention en ambulatoire ne peut être envisagé de la même manière pour tous les patients. Il faut tenir compte du cadre de vie, de l’environnement familial ou de la situation géographique de chacun.
Au-delà de l’hôpital, les économies seront pour l’essentiel réalisées à hauteur de 1 milliard d’euros grâce à « la pertinence et le bon usage des soins ». Si nous partageons votre souci de mieux gérer le prix des médicaments et des dispositifs médicaux, et de favoriser la prescription de génériques, nous contestons le recours au concept de « pertinence » dans le domaine médical.
Selon nous, les soins sont pertinents dès qu’un professionnel de santé estime qu’ils sont nécessaires à l’établissement d’un diagnostic ou d’un traitement. Entrer dans une telle discussion entrouvre une porte au débat sur l’opportunité des soins en fonction des individus. La seule pertinence que nous acceptons, c’est celle d’une meilleure coordination et transmission des informations entre les praticiens de santé de ville et des hôpitaux, ainsi que d’une meilleure coordination pour prendre en charge les aspects administratifs des dossiers des patients.
Par ailleurs, nous sommes particulièrement préoccupés par le renforcement de l’autoritarisme des ARS, qui seront désormais les gendarmes des établissements de santé puisqu’elles détiendront le pouvoir de les sanctionner en cas de non-respect des objectifs contractuels. Cette conception des relations entre les organismes de l’État ne nous semble pas correspondre aux attentes d’un système de soins « pertinent ».
Concernant la branche famille, l’annonce par le Gouvernement de la modulation des allocations familiales en fonction des revenus est extrêmement grave à nos yeux. C’est la remise en cause de l’universalité de la protection sociale, pourtant pierre angulaire de notre système de politique familiale, issue du principe même de sécurité sociale héritée du Conseil national de la Résistance, fondée sur deux bases essentielles : la solidarité et l’universalité.
Ainsi, alors même que la fiscalité remplit un rôle de redistribution verticale, des ménages aisés vers les ménages modestes, et alors que de nombreuses prestations spécifiques visent à aider les familles qui se trouvent en situation de précarité financière, les allocations familiales jouent un rôle de redistribution horizontale en faveur des familles qui ont des enfants à charge, sans considération du milieu social dans lequel grandit un enfant ni des conditions de ressources.
Avec cette réforme, vous divisez les familles entre elles et confondez l’objectif de la politique familiale d’aide à l’enfant avec celui d’une politique sociale de redistribution des revenus.