Nous avions pensé, au printemps dernier, qu'il était nécessaire de se pencher sur la situation financière des collectivités avant que les décisions soit prises et non après. C'est une façon de ne pas reproduire ce que nous avons connu ici, notamment à propos de la réforme de la taxe professionnelle. Pour cela, nous nous sommes entourés des conseils du cabinet Kloper qui n'hésite pas à dire les vérités... même lorsqu'elles sapent le moral des élus.
En guise de première étape aux travaux que nous menons sur les finances locales, il était en effet essentiel de pouvoir mettre à la disposition de nos collègues un constat chiffré et objectif de ce qui les attend.
Il ressort de ce constat qu'avant même que soit décidée la fameuse baisse des 11 milliards de la DGF (dotation globale de fonctionnement) entre 2015 et 2017, l'évolution des finances locales ne pouvait plus continuer ainsi. Comme disent les financiers, elle n'était pas soutenable.
Depuis quelques années, on observe « un effet de ciseau » entre des dépenses qui augmentent d'environ 3 % par an et des recettes qui ne progressent qu'entre 1,5 et 2 % par l'effet de la crise sur les bases fiscales et du gel de la majeure partie des dotations de l'Etat (qui affecte environ 50 milliards d'euros sur un total de 70) depuis 2011.
Afin de comparer ce qui est comparable, nous n'avons donc pas comparé la situation qui nous attend fin 2017 à celle des finances locales d'aujourd'hui, mais nous avons bien entendu considéré que, pour bien évaluer l'effet de la ponction de 11 milliards sur la DGF, il fallait comparer la situation dans trois ans avec ce qui se serait produit sans cette mesure, c'est à dire si tout avait continué au même rythme que ces dernières années, si les choses avaient évolué « au fil de l'eau ».
Comme je vous l'annonçais, du fait de l'effet ciseau entre dépenses et recettes, même ce scenario au fil de l'eau est inquiétant. Telle est la première conclusion de notre rapport.
Ce scénario est inquiétant pour chacun des indicateurs financiers que nous avons demandé au cabinet Klopfer d'évaluer. Il s'agit :
- d'une part, de l'épargne brute, c'est-à-dire, schématiquement, du solde de la section de fonctionnement, qui constitue la capacité d'autofinancement d'une collectivité. Généralement, quand l'épargne brute représente moins de 10 % des dépenses, la collectivité est en risque et les difficultés financières sont quasiment certaines lorsque ce taux est inférieur à 7 % ;
- d'autre part, de la capacité de désendettement qui chiffre la dette totale de la collectivité en nombre d'années d'épargne brute. On considère techniquement qu'une collectivité est en situation d'insolvabilité lorsque sa dette représente 15 années d'épargne brute, ce qui correspond à la durée de vie moyenne des équipements ;
- et enfin, nous avons examiné quels étaient pour les collectivités les risques de se retrouver en déficit de la section de fonctionnement, et même en « double déficit » lorsqu'il y a aussi impossibilité de rembourser l'annuité du capital de la dette avec des ressources propres, à savoir l'épargne brute, les éventuelles cessions et les dotations.
Le résultat de notre étude fait apparaître qu'au fil de l'eau, la situation se détériore de façon très sensible pour les villes de 10 000 à 50 000 habitants, les villes de plus de 50 000 habitants et pour les départements. En matière d'épargne brute (taux inférieur à 7 %) ou de capacité d'autofinancement (ratio supérieur à 15 ans), environ 10 %-15 % de ces collectivités connaissent déjà des difficultés, et elles seraient plus de 30 % en 2018 si on laissait l'évolution de ces dernières années se poursuivre.
Je conclurai par deux observations. Tout d'abord, ces résultats sont tributaires des hypothèses de recettes et de dépenses que nous avons retenues pour définir ce scénario au fil de l'eau. Nous avons notamment considéré que les dépenses de fonctionnement continuaient de croître au taux de l'inflation + 1 % en reprenant les prévisions d'inflation du projet de loi de programmation des finances publiques. En matière de prévision, on peut toujours discuter les hypothèses, mais je pense que celles qui ont été retenues - sur lesquelles le cabinet Klopfer reviendra tout à l'heure - sont particulièrement prudentes et loin d'être pessimistes. Ensuite, le scenario au fil de l'eau révèle quelque chose qui demeure clair quels que soient les scenarios et les hypothèses retenus : les catégories en moyenne les plus en difficulté sont bien les villes de plus de 10 000 habitants et les départements. Or, pour mémoire, ces villes représentent quasiment la moitié de la population française (49 % de la population DGF). Pour ces collectivités en particulier, il est clair que les choses ne peuvent plus continuer comme avant. En fait, nous nous sommes livrés à un exercice de prévision qui montre que la situation était d'ores et déjà intenable. C'est un constat mathématique, chacun étant ensuite libre d'en faire les interprétations politiques qu'il souhaite. Inutile de vous dire que les choses ne s'arrangent pas avec la baisse supplémentaire de la DGF de 11 milliards.