En décembre 2012, notre commission a approuvé les conclusions du rapport que Ronan Kerdraon et moi-même avions rédigé au terme d'une mission consacrée au fonctionnement et aux dysfonctionnements des mutuelles étudiantes. Notre constat était simple : les difficultés du système français de couverture des risques maladie et maternité des étudiants, unique en Europe, obèrent sa pérennité et appellent des urgentes rationalisations. Or, depuis deux ans, rien n'a changé si ce n'est que les médias se sont emparés du sujet, en particulier des difficultés de La Mutuelle des étudiants (LMDE).
Créées par une loi, les mutuelles ne peuvent évoluer que par voie législative. Ma proposition de loi, co-signée par près de 75 sénateurs issus de groupes politiques différents, peut être le support pour sauver l'existence d'un statut social étudiant.
En septembre 2013, la Cour des comptes s'est interrogée sur l'opportunité de maintenir une sécurité sociale spécifique. Le 3 décembre suivant, le débat au Sénat, en présence de Geneviève Fioraso, alors ministre de l'enseignement supérieur, a fait émerger un consensus sur la nécessité d'une évolution, même si les solutions divergeaient. Les acteurs du secteur eux-mêmes remettent désormais en cause l'existence d'un système propre aux étudiants. En outre, la situation d'urgence dans laquelle se trouve la LMDE exige une décision politique et législative extrêmement rapide pour assurer la couverture sociale des étudiants en 2015 et préserver les emplois dans le secteur.
Ma proposition de loi, issue d'une longue réflexion, précède les évènements de ces cinq derniers mois auxquels elle apporte une réponse claire. Elle vise à simplifier le système de façon drastique afin d'améliorer la lisibilité et la qualité du service, tout en suscitant des économies de gestion.
Si les étudiants sont officiellement rattachés au régime général, le service des prestations de base maladie et maternité est délégué à des mutuelles depuis 1948 : une mutuelle nationale, la LMDE, née en 2000 à la suite de la disparition de la Mutuelle nationale des étudiants de France (Mnef), et depuis 1972, des mutuelles régionales, aujourd'hui regroupées au sein du réseau EmeVia.
La Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) leur verse une remise de gestion de 50 euros par étudiant (en 2014) au titre de la gestion et des coûts de fonctionnement. En diminution depuis trois ans, le montant de ces remises est historiquement supérieur à celui versé aux autres mutuelles déléguées - il est par exemple de 45 euros pour les mutuelles de fonctionnaires. Les 1 700 000 jeunes rattachés au régime étudiant paient une cotisation forfaitaire à chaque rentrée universitaire, 213 euros cette année. Ce système est atypique puisqu'il met en concurrence deux acteurs pour assurer la couverture obligatoire du risque maladie. La concurrence entraîne des frais de publicité et un démarchage parfois très agressif !
La LMDE et les mutuelles régionales proposent aussi des garanties complémentaires maladie, ce qui crée une confusion dans l'esprit des étudiants entre régime obligatoire et régime complémentaire et une distorsion dans le traitement des affiliés-assurés complémentaires.
Enfin, comme le statut d'étudiant est par nature transitoire - un jeune reste en moyenne trois ans dans l'enseignement supérieur - la demande d'affiliation doit être renouvelée chaque année, d'où une lourdeur de gestion unique en France.
A ces spécificités s'ajoutent d'autres complexités. Par exemple, l'âge de basculement vers le régime étudiant varie selon la situation des parents : lorsque ceux-ci sont affiliés au régime général, l'affiliation au régime étudiant correspond à l'entrée dans l'enseignement supérieur, avec une exemption de cotisation jusqu'à l'âge de 20 ans ; lorsque les parents exercent une profession libérale ou indépendante, le basculement s'opère à 20 ans. Ceux dont les parents travaillent à la SNCF demeurent affiliés jusqu'à 28 ans au régime de leurs parents en tant qu'ayants droit autonomes. Bref, un quart des étudiants ne relève pas du régime étudiant.
Le pire concerne les étudiants qui exercent une activité salariée régulière et les apprentis de l'enseignement supérieur : théoriquement dispensés de l'affiliation au régime étudiant, ils sont nombreux à devoir cotiser aux deux régimes, si leur travail commence après la rentrée universitaire !
Enfin, la mutation inter-régimes, c'est-à-dire le passage du régime d'origine vers le régime étudiant, constitue un processus lourd et très formaliste. Les mutuelles ne peuvent commencer à procéder à l'affiliation des étudiants qu'à la date du 1er octobre alors que les cours débutent en septembre, ce qui crée un pic d'activité pour les mutuelles sur quelques semaines. Geneviève Fioraso s'était engagée devant le Sénat à décaler cette date pour la rentrée 2014. Cela n'a pas été fait. Certains des étudiants affiliés en octobre attendent encore leur nouvelle carte vitale. En effet, l'actualisation de l'ancienne carte vitale n'est pas automatique. Autre absurdité, les échanges entre le régime d'origine du jeune et les mutuelles ainsi qu'entre ces dernières et les établissements d'enseignement supérieur ne sont pas toujours informatisés...
Comme nous l'avions souligné en 2012, la complexité du système l'empêche de répondre à l'un de ses objectifs : aider les jeunes à se prendre en main et à devenir autonomes.
Cette complexité n'est pas le fait des seules mutuelles étudiantes, contraintes de gérer un régime atypique et formaliste du fait d'une réglementation tatillonne. Malgré leur professionnalisme, les deux plus importantes mutuelles étudiantes n'ont ni la taille critique ni les moyens informatiques nécessaires pour assurer une qualité de service équivalente à celle du régime général. En résultent des coûts de gestion élevés et des dysfonctionnements fréquents (délais de remboursement excessifs, accueil physique et téléphonique déficient) dénoncés par UFC-Que choisir ainsi que par la Cour des comptes.
Le temps presse. Les mutuelles régionales continuent d'assurer leur mission, certes avec une qualité inégale selon les territoires. En revanche, la LMDE est dans une situation critique. De mes entretiens avec les représentants de l'Union nationale des syndicats autonomes (Unsa) au sein de la LMDE, l'administratrice provisoire nommée en juillet par l'autorité de contrôle prudentiel (ACP), le président de la Mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN) et le directeur général de la Cnam, je retire la conviction que la LMDE sera dans l'incapacité d'assurer la rentrée universitaire 2015 si aucune solution n'est trouvée dans les trois mois.
Ce que je propose est simple : maintenir l'affiliation des étudiants au régime de leurs parents durant toute la durée de leurs études supérieures, à titre d'affiliés à part entière et non de simples ayants droit, comme c'est le cas dans de nombreux pays d'Europe. C'est une solution tellement simple, tellement logique, que l'administration française n'y a pas pensé !
Le texte crée une égalité de traitement entre les étudiants et les jeunes situés hors de l'enseignement supérieur ou l'ayant quitté. Les étudiants continueront de verser - à l'exception des boursiers - une cotisation forfaitaire. La fragilité structurelle du régime étudiant, c'est-à-dire la mutation inter-régimes, disparaîtra, et avec elle les retards de remboursements et la lourdeur des procédures administratives. Autre avantage, cette solution entraînera des économies évaluées par la Cnam à 69 millions d'euros.
Consciente que ma proposition de loi est quelque peu radicale, je vous proposerai un amendement visant à décaler son entrée en vigueur de trois ans. Durant cette période, les mutuelles étudiantes pourraient être adossées au régime général. Cette solution transitoire, évoquée par le directeur général de la Cnam lors de son audition sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2015, laisserait aux mutuelles régionales le temps de se préparer à la disparition de la délégation de gestion.
Les mutuelles étudiantes emploient près de 1 800 salariés dont la plupart travaillent à la gestion du régime obligatoire. Je présenterai un autre amendement, souhaité par les représentants des salariés de la LMDE, pour indiquer explicitement que la proposition de loi constitue une modification de la situation juridique de l'employeur au sens de l'article L. 1224-1 du code du travail, rendant automatique le transfert de l'ensemble des contrats de travail vers le nouvel employeur.
Trois objections principales au maintien des étudiants dans le régime de leurs parents ont été formulées au cours des auditions.
La proposition de loi apporterait une réponse structurelle à des difficultés d'ordre conjoncturel propres à la LMDE. Je ne partage pas cette analyse. Le système est désormais d'une complexité démesurée, quelle que soit la mutuelle gestionnaire. S'il a pu avoir une légitimité à une époque où le nombre des étudiants demeurait limité, il n'est pas adapté à la massification de l'enseignement supérieur. Refuser de simplifier le système reviendrait à renoncer à améliorer la qualité de service alors que bon nombre d'étudiants sont en situation de précarité.
Autre objection, la proposition de loi remettrait en cause l'autonomie des jeunes. Cela n'est pas le cas : dans le régime de leurs parents, ils seront des affiliés à part entière et recevront leurs remboursements en leur nom propre et à leur adresse. Leur droit à l'intimité, au secret, ne sera en aucun cas remis en question.
Enfin, la proposition de loi aurait pour conséquence de supprimer toute possibilité pour les mutuelles étudiantes de continuer à remplir leurs missions de prévention. En réalité, rien n'empêchera les mutuelles étudiantes qui continueraient d'exercer une activité d'assurance complémentaire d'intervenir au titre de la prévention. Ceci étant, les réglementations assurantielles dites « Solvabilité 2 » prévoient l'augmentation des fonds propres des compagnies d'assurances, jusqu'à 95 % de leurs engagements, si bien que les petites mutuelles seront obligées de s'adosser à des grands groupes. Et l'accord national interprofessionnel (ANI) rend obligatoire la complémentaire maladie pour tous les salariés en 2016. Le monde des complémentaires maladie va donc connaître des transformations.
Il ne serait pas responsable de maintenir en l'état un système qui fonctionne mal au seul motif qu'il constitue le support d'actions de prévention, certes essentielles mais qui ne constituait pas le coeur de la mission des mutuelles étudiantes, à savoir le remboursement maladie. D'autres canaux peuvent être utilisés pour intervenir auprès des étudiants qui, certes, sont confrontés à des risques spécifiques mais ne le sont pas davantage que les autres jeunes. Je pense aux services de prévention universitaire, les Sumpps, qui deviendront des centres de santé et renforceront leur action. Concentrons les efforts sur le développement de ces structures, facilitons les interactions avec les organisations étudiantes, confortons le pilotage des ARS. Et si des actions spécifiques sont nécessaires, les régimes de base qui gèreront les étudiants pourront financer les associations d'étudiants concernées. La prévention sera d'autant plus efficace qu'elle ne reposera pas sur un seul acteur.
En vous proposant de maintenir l'affiliation des étudiants au régime de leurs parents, je n'entends pas nier toute spécificité à cette période de transition qu'est la vie étudiante. J'entends avant tout améliorer la situation de 1,7 million de jeunes et simplifier un système devenu obsolète. Au-delà de l'attachement historique que chacun est en droit d'avoir pour le régime de sécurité sociale étudiante, je suis convaincue qu'un tel objectif peut emporter l'adhésion du plus grand nombre et, en premier lieu, des jeunes concernés.