Intervention de Axelle Lemaire

Commission des affaires économiques — Réunion du 12 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Audition de Mme Axelle Lemaire secrétaire d'état chargée du numérique

Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique :

L'action économique menée à Bercy vise les start up et les jeunes entreprises innovantes d'une part, le reste du tissu économique - grands groupes, très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME) - d'autre part.

S'agissant des start up, en premier lieu, j'ai annoncé cet après-midi le nom des métropoles s'étant vu attribuer la labellisation « French tech », qui favorise l'émergence d'écosystèmes au coeur de nos territoires. Jusqu'à présent, ces start up n'entraient pas dans le « radar » des décideurs publics, bien qu'elles soient agiles et innovantes. La French tech va permettre de les fédérer, de maintenir leur ancrage sur le territoire national, d'améliorer leur visibilité à l'international et de faire prendre conscience de « l'innovation ouverte » qu'elles permettent.

Plusieurs dispositifs vont être consolidés à leur profit : le statut de jeune entreprise innovante (JEI) ; le crédit d'impôt recherche (CIR), étendu au crédit d'impôt innovation (CII) ; le label « French tech » justement ... 215 millions d'euros d'investissement leur sont dédiés dans le projet de loi de finances pour 2015, à travers le programme d'investissements d'avenir (PIA) :

- 200 millions d'euros de fonds propres pour soutenir les accélérateurs, qui font l'objet d'un co-investissement de la Banque publique d'investissement (BPI) avec des fonds privés ;

- 15 millions d'euros consacrés à l'attractivité internationale du programme.

Le « French tech ticket », au sein de ce programme « attractivité », offre un visa, une bourse et un guichet administratif aux entrepreneurs étrangers talentueux pour mettre en oeuvre leurs idées sur notre territoire. La compétition internationale se joue aujourd'hui autant sur les dispositifs règlementaires, sociaux et fiscaux que sur l'attractivité des talents et des ressources humaines. C'est pourquoi il y aura un volet consacré à l'actionnariat salarié dans le projet de loi « croissance » préparé par mon collègue Emmanuel Macron à Bercy.

L'an II de la French tech, qui s'ouvre aujourd'hui, va être consacré à l'innovation ouverte chez les grands groupes. Je vais tenter de convaincre les patrons des entreprises du CAC 40 d'ouvrir leur structure aux start up, en finançant des projets, en ouvrant des débouchés commerciaux par la commande privée, en les incitant à placer des capitaux dans ces entreprises, en créant des incubateurs pour faire le lien avec les équipes de recherche et développement (R&D) ...

Nos entreprises doivent acquérir une maturité numérique supérieure ; ce niveau, actuellement insuffisant, explique notre incapacité à anticiper l'avènement du numérique. Aujourd'hui, celui-ci est partout, et pas seulement dans le secteur des technologies de l'information et de la communication. Mon rôle est de sensibiliser nos acteurs économiques, trop éloignés de ces problématiques, à leur importance fondamentale.

S'agissant des PME et des ETI, elles doivent pouvoir exporter plus facilement dans le domaine du numérique. Elles le font insuffisamment, moins en tout cas que leurs homologues allemands ou italiens. Il s'agit également d'accompagner leur passage au numérique, faute de quoi s'en occuperont les géants de l'Internet, qui y trouveront un moyen de capter les données que possèdent nos entreprises. C'est l'objet du programme « transition numérique de l'économie », géré par la direction générale des entreprises à Bercy.

Passons à présent à un volet plus industriel. Nous avons été aveuglés par l'impératif de libre-concurrence appliqué à nos propres acteurs, sans voir l'arrivée de grands acteurs mondiaux dont les stratégies divergeaient profondément. Les « over the top » (OTT), en gros les « GAFA » - Google, Apple, Facebook, Amazon - ont en effet une approche horizontale de captation des données dans toutes sortes de service en ligne.

Le temps est venu d'une contre-offensive en Europe. 78 % des entreprises cotées dans le secteur numérique sont américaines, 2 % seulement européennes, ce qui n'est absolument pas représentatif de la place de nos industries dans l'économie mondiale ! Il est urgent d'agir, en adoptant une stratégie industrielle comme nous en avons eu dans d'autres secteurs, par exemple l'aéronautique, visant à créer les conditions d'émergence d'acteurs économiques de cette envergure. Il nous faut aussi identifier les secteurs de croissance future, comme les objets connectés, le « big data », la cybersécurité, la e-santé, la e-éducation, les logiciels embarqués, les services « sans contact » ... À Berlin, il y a peu, j'ai invité nos partenaires allemands à travailler ensemble sur des standards opérationnels communs, par exemple dans l'« infonuagique », comme on appelle le « cloud computing » au Québec.

S'agissant du projet de loi numérique, le Premier ministre a lancé une consultation le 4 octobre dernier. Vous devriez, en tant que parlementaires, recevoir un courrier vous invitant à y participer et à organiser des rencontres dans vos circonscriptions autour des enjeux numériques. C'est la première fois que l'État, à cette échelle, lance un tel processus de dialogue avec l'ensemble de la société civile. Le projet de loi qui en découlera sera présenté au Parlement et examiné en première lecture, je l'espère, au premier semestre 2015. Il comportera trois volets : l'un économique, qui visera à libérer les possibilités d'innovation, à réviser le déploiement du très haut débit et à identifier les secteurs dont le cadre règlementaire doit évoluer ; l'autre juridique, qui aura trait aux données numériques ; et enfin le dernier à l'action publique, à travers l'« open data ».

Quelques mots à présent de la restructuration du secteur des télécoms. Le rapprochement entre SFR et Numericable va faire évoluer le marché dans son ensemble. D'autres opérations de ce type restent possibles. Nous souhaitons, au Gouvernement, que ces mouvements permettent de consolider le secteur de façon à ce qu'il puisse investir. C'est une priorité, avec celle de l'emploi. Nous avons besoin d'acteurs puissants au niveau européen, et encourageons dans ce but la mutualisation des infrastructures et le respect des engagements d'investissement dans le programme national très haut débit, notamment dans les zones publiques.

Aux États-Unis, loin d'être considéré comme déclinant, notre marché est perçu comme conquérant. J'en veux pour exemple l'opérateur Free, qui a tenté de racheter un opérateur américain, ce qui a eu une grande répercussion dans les esprits outre-Atlantique. Cela valide notre politique, qui a permis de faire émerger ce type d'acteurs, mais aussi d'avoir un marché dont les prix de détail sont deux à trois fois moins élevés qu'aux États-Unis et au Canada, pour des débits deux à trois fois supérieurs. Numericable serait aujourd'hui intéressé par une acquisition au Portugal. Les mouvements de concentration, le cas échéant, doivent avoir lieu à l'échelle européenne désormais.

J'aborde maintenant la problématique de la régulation. Aux États-Unis, la lutte contre les monopoles et les oligopoles existe de longue date ; Roosevelt est ainsi resté comme le « président de l'anti-trust ». En Europe, le cadre en a été créé avant l'avènement des « géants du Net ». Or, cette approche traditionnelle ne permet plus d'appréhender ces grands acteurs de l'Internet, tel Google, qui totalise 78 % de parts de marché dans les moteurs de recherche. La réponse se situe aujourd'hui dans une évolution des règles du droit européen de la concurrence. Notre pays se trouve parfois isolé dans ce combat, alors qu'il en est à l'avant-garde. J'ai demandé que le prochain Conseil européen traite de ce sujet. Toutefois, ce sera difficile, nous le savons bien. Le rapport annuel du Conseil d'État, qui porte sur les droits et libertés numériques, propose des évolutions intéressantes, telles que la reconnaissance du principe de loyauté des plateformes, ou l'application de la règlementation du pays de destination, comme ce sera le cas au 1er janvier prochain pour ce qui est de la perception de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Fort heureusement, ces considérations sont partagées par plusieurs de nos partenaires européens, et l'opinion publique les appuie. Par ailleurs, le sujet est à l'ordre du jour de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ainsi qu'à celui du prochain G20.

Enfin, je terminerai avec la problématique des données personnelles. Nous sommes en pointe dans ce domaine, vu notre longue tradition de protection des libertés individuelles. Se profile toutefois le risque d'une concurrence internationale accrue entrainant une forme de « dumping de la data », qui favorise le moins-disant dans la protection des données. Nos entreprises ne resteront compétitives, dans un tel contexte, que pour autant qu'elles protègent convenablement les données de leurs clients. La bataille se jouera à Bruxelles, où se négocie le projet de règlement européen sur les données personnelles. Le calendrier s'est accéléré ; un texte pourrait être adopté l'année prochaine. Nous y travaillons activement avec ma collègue Christiane Taubira et les commissaires européens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion