Intervention de Hugues Portelli

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 12 novembre 2014 : 1ère réunion
Rétablir à sept ans la durée du mandat du président de la république et à le rendre non renouvelable — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Hugues PortelliHugues Portelli, rapporteur :

Cette proposition de loi constitutionnelle de nos collègues du groupe RDSE, comme celle qu'ont récemment déposée des députés issus d'un groupe politique différent, rétablit le septennat sous une forme non renouvelable. J'ai vu son auteur en audition. Nous rouvrons ainsi un débat pendant depuis 1958. En effet, dans sa rédaction initiale, la Constitution prévoyait un septennat renouvelable pour un Président de la République élu par un collège électoral qui était celui du Sénat. Cette disposition a été modifiée en 1962, par un référendum, controversé, sur la base de l'article 11 de la Constitution, le Général de Gaulle proposant que le Président soit élu au suffrage universel direct. En 2000, la durée du mandat présidentiel a été réduite à cinq ans, par référendum, en application de l'article 89 de la Constitution. Enfin, depuis la réforme constitutionnelle de 2008, le Président de la République ne peut être réélu qu'une seule fois consécutive.

L'article 5 de la Constitution, inchangé depuis 1958, définit le Président de la République comme un arbitre doté de fonctions importantes en situation de crise (droit de dissolution de l'article 12 et pleins pouvoirs de l'article 16). Le Président de la République est également le chef des armées ; il négocie et ratifie les traités en politique étrangère. Cette conception d'un chef d'État n'était pas celle du Général de Gaulle. Dès le début de son premier mandat, il est intervenu dans le domaine de la politique intérieure, a surveillé l'ordre du jour du conseil des ministres et refusé au Premier ministre le titre de chef du Gouvernement, imité en cela par Georges Pompidou. Avant la révision de 1962, il n'a pas hésité à recourir au référendum à deux reprises pour vérifier qu'il conservait le soutien populaire dans l'exercice de son mandat. La révision de 1962 a concrétisé cette pratique.

Pour le Général de Gaulle, le septennat trouvait un correctif dans l'utilisation du référendum pour s'assurer de la confiance des Français, en cours de mandat. Par conséquent, lorsque le 27 avril 1969, 53 % des électeurs ont voté contre le projet de réforme du Sénat, il a démissionné. En revanche, ses successeurs se sont bien gardés de faire leur cette interprétation de la responsabilité du chef de l'État. Jamais ils n'ont utilisé l'article 11 à des fins constitutionnelles. Ils n'ont pas non plus engagé leur responsabilité. Même quand Jacques Chirac a échoué lors de la dissolution de 1997 ou lors du référendum de 2005, il s'est gardé d'en tirer des conséquences politiques, optant pour une pratique du septennat où le Président de la République s'accommode des situations politiques qui surgissent, sans remettre en cause sa responsabilité.

À trois reprises, la présidence a subi une cohabitation - l'invention du terme, sinon du concept, revient à Édouard Balladur -, période durant laquelle les pouvoirs du Président sont réduits aux acquêts de la Constitution, c'est-à-dire aux dispositions de l'article 5. Le Premier ministre gouverne en s'appuyant sur la majorité de l'Assemblée nationale.

En 2000, une révision, à l'initiative de plusieurs auteurs dont le Premier ministre de l'époque, réduit la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans dans le but de limiter la possibilité d'une cohabitation. Cette révision a paradoxalement été initiée par celui qui a le plus bénéficié des prérogatives du Premier ministre en temps de cohabitation, Lionel Jospin. La loi organique de 2001 a mené la logique à son terme, en inversant le calendrier électoral, de sorte que les élections des députés sont désormais conditionnées par celle du Président. François Mitterrand avait dissous à deux reprises l'Assemblée nationale pour obtenir une majorité compacte au lendemain de son élection. La loi organique de 2001 répond à la difficulté rencontrée par Jacques Chirac d'organiser une dissolution juste avant la fin de son mandat.

Lors de l'institution du quinquennat en 2000, Jacques Chirac était hostile à toute limitation du nombre des mandats consécutifs, c'était le « quinquennat sec ». La révision de 2008 a fait de l'élection présidentielle la seule élection où le nombre des mandats consécutifs est limité - suivant en cela le modèle américain.

La proposition de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd'hui a deux objets, l'un affiché, l'autre latent. D'une part, elle rend la fonction présidentielle moins conjoncturelle, axée sur le long terme. De Gaulle a été le premier à manier le long terme dans les domaines essentiels (défense, politique étrangère, planification, aménagement du territoire), avec des responsables politiques et administratifs qui sont restés en place longtemps. Dans d'autres secteurs, sa gestion des affaires a été plus chaotique : à l'éducation nationale et aux universités, talon d'Achille de sa politique, les ministres se sont succédé à une cadence rapide.

La vision à long terme des présidents dans le cadre du septennat s'est toutefois constamment heurtée à la crainte de voir leur autorité ruinée par la perte des élections législatives. Cela a été le cas pour de Gaulle en 1967, pour Pompidou en 1973, avec déjà le projet du quinquennat, pour Valéry Giscard d'Estaing en 1978, avec le discours de Verdun-sur-le-Doubs, pour Chirac et Mitterrand, à trois reprises. Tous avaient une vision à long terme, mais un pilotage à court terme de l'action politique.

Le non-renouvellement du mandat présidentiel introduirait une scansion définitive qui interdirait tout rebondissement. Tandis que le Général de Gaulle, réélu, a été confronté à l'échec et a préféré partir, François Mitterrand et Jacques Chirac ont été réélus après une cohabitation : le Premier ministre avec lequel ils ont cohabité est devenu leur adversaire à l'élection présidentielle. Plutôt que de tirer parti de leur fonction de Premier ministre, chacun - Jacques Chirac en 1988, Édouard Balladur en 1995 et Lionel Jospin en 2002 - a préféré essayer de devenir Président de la République, sans tirer les conclusions de ces échecs : c'est le Premier ministre de cohabitation qui est le candidat du bilan, le Président retrouvant la capacité de se forger un nouveau statut politique : François Mitterrand avait été simultanément chef de l'État et chef de l'opposition, situation assez confortable...

L'objet latent de la proposition de loi constitutionnelle, que son auteur ne cherche pas à cacher, est l'abaissement de la fonction présidentielle. Toutes les révisions proposées par des personnalités de tradition radicale depuis 1958, à commencer par Gaston Monnerville, sont marquées par la nostalgie du régime parlementaire et veulent donner au Président de la République un rôle secondaire. Faute de pouvoir abolir son élection au suffrage universel direct - seule élection qui suscite un engouement dans la population - la proposition crée un septennat condamné à se terminer en cohabitation et non renouvelable. Y voir un retour à la version originelle de la Constitution de 1958 reviendrait à oublier que les auteurs de celle-ci ont imposé le tournant de 1962 et la pratique présidentialiste qui a suivi.

Dans la mise en oeuvre de la IIIème République, à l'inverse, la pratique ultra-parlementaire s'est imposée à partir de 1879, avec la fameuse « constitution Grévy ». Alexandre Millerand, Président de la République après la victoire du cartel des gauches...

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