Intervention de Alain Bertrand

Réunion du 18 novembre 2014 à 14h30
Débat sur le thème « ruralité et hyper-ruralité : restaurer l'égalité républicaine »

Photo de Alain BertrandAlain Bertrand :

Vous avez besoin, pour être enfin désenclavé, d’une route à deux fois deux voies ou de travaux d’amélioration sur une route nationale ? Oui, mais combien de véhicules passent par jour sur la route actuelle ? Environ 3 000, 4 000, 5 000 ? Malheureusement, ailleurs, c’est 30 000 ou 50 000 ! On réalisera donc les travaux ailleurs : circulez, il n’y a rien à voir !

Les pouvoirs publics, par la mise en place de critères normés, chiffrés, standardisés, ont constamment éloigné nos territoires ruraux de la République.

Attention, il ne s’agit pas ici d’opposer la France urbaine et la France rurale. J’observe d’ailleurs que nous, ruraux, sommes solidaires des grandes villes, soucieux des problématiques métropolitaines, qui emportent des conséquences importantes pour nos concitoyens. Nous ne nions pas le fait métropolitain, moteur essentiel de la croissance et de l’avenir, mais les dernières études chiffrées de Laurent Davezies, éminent scientifique, sur lesquelles je me suis appuyé pour élaborer mon rapport, montrent que le premier facteur d’attractivité d’une métropole, d’une capitale régionale ou d’une ville est la qualité de son hinterland, constitué des territoires ruraux et hyper-ruraux qui l’entourent. C’est un facteur essentiel.

Soyons clairs, la ruralité et l’hyper-ruralité ne font pas la mendicité. J’estime qu’elles ont des droits et qu’il nous appartient, à nous républicains de tous bords, de demander à ce qu’ils soient respectés, au nom du principe républicain d’égalité.

La métropole et les territoires ruraux ne s’opposent pas : ils font système, ils sont interdépendants !

Prenez un ingénieur toulousain – j’aurais pu aussi prendre l’exemple d’un chef d’entreprise lillois ou marseillais, ou encore celui d’un médecin lyonnais –, qui contribue largement à la croissance française en travaillant au quotidien dans une entreprise fleuron de l’aéronautique européen. Cet ingénieur, qui profite de l’économie mondialisée, va éviter le burn - out par la fréquentation régulière de la campagne, des montagnes ariégeoises, catalanes ou tarnaises. Sa vie d’urbain inclut d’autres espaces que la seule ville où il réside. Il aura donc créé de la richesse comptabilisée à Toulouse, mais, de fait, produite aussi dans l’hyper-ruralité ariégeoise, catalane ou tarnaise.

Ce que je souhaite rendre tangible, au travers de cet exemple, c’est le fait que les territoires hyper-ruraux, par leur potentiel de ressourcement et leurs aménités, qui s’ajoutent à ce qu’ils produisent par ailleurs dans les secteurs de l’agriculture, de la forêt, de l’énergie, de l’artisanat, participent directement aux résultats économiques et chiffrés des zones urbaines. La ruralité n’est pas un monde où il ne se passe rien : c’est un espace où l’on répond aux problématiques du développement de l’activité, de l’emploi, de la richesse…

Il convient de comprendre les ruraux, à tout le moins de les écouter ! Leur mode de vie n’est pas si différent de celui des urbains. Les préoccupations des uns et des autres sont désormais similaires : transports, bonne couverture téléphonique, internet, connectabilité, accès à un système de soins performant, à un enseignement de qualité pour leurs enfants… Les métropolitains et les ruraux ont les mêmes envies, les mêmes droits, les mêmes devoirs. Certes, les habitants des métropoles, des grandes villes, des agglomérations, des capitales régionales semblent pourtant avoir plus de droits que ceux des zones rurales et hyper-rurales. Pourtant, tous sont assujettis à la même TVA et au même impôt sur le revenu.

Enfin, le dernier défaut de notre système est de considérer la ruralité comme un ensemble uniforme. Or tout le monde constate que la ruralité est diverse. La ruralité de la proche banlieue albigeoise, lyonnaise, marseillaise ou lilloise n’est pas la même que celle des villages creusois, par exemple.

Mohamed Hilal, géographe à l’Institut national de la recherche agronomique, a, dans une étude qui fait foi, commandée par la DATAR, la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, distingué trois types de ruralités : les ruralités situées à proximité ou en périphérie des grandes villes, qui sont assez riches – les fameuses zones périurbaines –, et celles des zones riches de montagne, où l’on trouve les stations de ski, ou des littoraux riches ; la ruralité agricole et industrielle ou post-industrielle, en souffrance, qui regroupe les régions d’agriculture productive et les bassins miniers de l’Ouest, de l’Est et du Nord ; enfin, la ruralité constituée de zones à faible densité et à faibles revenus, avec peu de services.

Je n’écarte, pour ma part, aucune de ces ruralités. Toutes ont des qualités culturelles, patrimoniales, naturelles. Toutes connaissent des difficultés, mais qui relèvent de problématiques différentes. Je pense qu’une politique uniformisée ne permettra pas d’éviter leur déclin ; seule une politique différenciée, ciblée et adaptée aux singularités de chacune de ces trois catégories de territoires y parviendra.

L’hyper-ruralité, dont j’ai choisi de traiter, représente une partie de la troisième catégorie décrite par Mohammed Hilal. Elle souffre, en plus des autres handicaps, de l’éloignement : éloignement des individus entre eux, à cause de la faible densité, éloignement des services du quotidien –transports, enseignement, santé –, éloignement des bassins d’emploi – agglomération, métropole … –, éloignement des centres de décision.

L’hyper-ruralité, que l’on pourrait qualifier de ruralité de l’éloignement, se caractérise en outre par l’absence de centralités fortes. Elle représente 26 % du territoire, 250 bassins de vie, 3, 4 millions de Français, et concerne cinquante-neuf départements – certains entièrement, tels le Lot, le Cantal, la Creuse, la Corse-du-Sud, la Haute-Corse, la Lozère, les Hautes-Alpes –, des territoires de moyenne montagne faiblement équipés et peu riches, comme l’est des Pyrénées, les Alpes du Sud et le Massif central, ou encore des territoires de plaine situés aux confins de départements ruraux où l’influence des centralités, c’est-à-dire des villes-centres, est trop faible pour assurer leur développement.

La cartographie que nous avons réalisée avec l’aide des scientifiques est objective, et caractérise des zones hyper-rurales dont personne n’aurait pensé, de prime abord, qu’elles constituaient des territoires extrêmement fragiles. C’est le cas du bassin de vie de Casteljaloux, dans le Lot-et-Garonne, de celui de Banyuls-sur-Mer, dans les Pyrénées-Orientales, ou encore de celui de Suippes, dans la Marne.

Quand vous arrivez dans l’hyper-ruralité, par exemple au moment des vacances, vous en prenez tout de suite conscience : vos charmants enfants, à peine descendus de voiture, vous disent que l’on ne peut pas se connecter à internet ou à un réseau de téléphonie et qu’il faut repartir très vite, pour ne plus jamais revenir. Là, vous êtes dans l’hyper-ruralité ! §Si vous avez quatre téléphones portables, vous parviendrez peut-être à vous raccorder au réseau de l’un des opérateurs, qui ne remplissent d'ailleurs pas leurs obligations en matière de service universel, puisque l’État ne leur a pas imposé de couvrir les zones les plus faiblement peuplées et que, commercialement, ils n’y trouvent pas d’intérêt.

Dans l’hyper-ruralité, il n’y a pas non plus de distributeurs automatiques de billets et la station-service la plus proche est à vingt ou vingt-cinq kilomètres, voire à quarante, comme en Lozère !

Si vous envisagez de vous y rendre en train, vous apprenez qu’il faut huit ou dix heures pour effectuer le trajet, soit quatre fois plus de temps qu’en voiture : le développement durable, la croissance verte, la transition énergétique, tout cela va au talus ! Quand vous discutez avec l’autochtone, celui-ci vous explique que, il y a vingt ans, il fallait deux heures de train pour se rendre à la capitale régionale, contre plus de six heures aujourd’hui ! C’est ça, l’hyper-ruralité ! C’est aussi une population visiblement vieillissante, l’impossibilité de suivre des études supérieures, la grande difficulté à vivre et travailler au pays. Dans le bourg-centre, trois des quatre hôtels ont déjà fermé, le dernier n’est pas loin de mettre la clé sous la porte à son tour, et sur les cinq ou six commerces, un seul n’a pas baissé le rideau !

Si vous décidez malgré tout de rester dans l’hyper-ruralité, il vous faut savoir que l’accident vasculaire cérébral –personnellement, ne fumant pas, ne buvant pas et étant mince

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