Intervention de Jean-Pierre Leleux

Réunion du 18 novembre 2014 à 14h30
Débat sur le thème « ruralité et hyper-ruralité : restaurer l'égalité républicaine »

Photo de Jean-Pierre LeleuxJean-Pierre Leleux :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, jamais autant que ces derniers mois je n’avais entendu évoquer avec une telle acuité le sujet de la ruralité en France et du déséquilibre croissant entre territoires ruraux et territoires urbains.

Jamais je n’avais entendu autant de cris d’alerte, d’alarme, des maires et des élus ruraux devant ce qu’ils perçoivent comme la dissolution de leurs collectivités dans une organisation territoriale qui leur fait de moins en moins de place.

Comme la moitié d’entre vous, mes chers collègues, candidats de droite ou de gauche à l’élection sénatoriale, je suis allé, ces dernières semaines, à leur rencontre, aux confins de nos territoires. Vous avez entendu comme moi les cris d’alerte, parfois de révolte, lancés par ces élus, si nombreux mais si fragiles, qui nous demandaient instamment de relayer leurs préoccupations à Paris, et plus particulièrement ici, au Sénat, l’assemblée des territoires, le représentant institutionnel des collectivités locales.

C’est dire combien ce débat, proposé par le groupe du RDSE, me paraît opportun pour tenter de trouver des pistes de réponse et d’apaisement à ces préoccupations venant « d’en bas », qui sont globalement de deux natures.

Elles tiennent, d’abord, au fait que la voix, la représentation des petites communes dans les instances décisionnaires s’affaiblit, voire s’éteint, au fil des décisions législatives successives en matière d’organisation territoriale.

Je pense à l’application de plus en plus stricte de la doctrine du Conseil constitutionnel, qui tend à ne prendre en compte que les critères démographiques pour la représentation proportionnelle dans les assemblées délibérantes.

C’est ô combien vrai en ce qui concerne les futurs conseils départementaux, car la taille moyenne démographique des cantons ne permettra plus, bientôt, de représentation rurale en leur sein.

C’est aussi vrai pour les intercommunalités, malgré l’adoption récente et utile par notre assemblée de la proposition de loi sur la représentation des communes dans les conseils communautaires.

C’est également vrai ici, au Sénat, où, on le sait, à chaque élection, on accroît le poids des grands électeurs supplémentaires désignés par les conseils municipaux dans les grandes communes. À cela s’ajoute une pratique politique qui conduit, lors des élections à la proportionnelle, à ne placer en position éligible sur les listes que des candidats urbains, susceptibles de recueillir un plus grand nombre de suffrages.

Les préoccupations des élus ruraux tiennent ensuite au découragement qui s’amplifie parmi les élus, le plus souvent bénévoles, des petites communes devant les difficultés grandissantes pour boucler leur budget, dans un contexte de crise budgétaire générale.

La baisse drastique des dotations de l’État aux collectivités locales entraîne en cascade l’affaiblissement des solidarités départementale et régionale, elles-mêmes fragilisées par les charges croissantes pesant sur les collectivités. Je pense à la réforme des rythmes scolaires et à l’application de normes parfois exorbitantes.

Ajoutons à cela le retard pris dans le développement d’équipements modernes en milieu rural, comme la couverture en très haut débit, retard technique qui accroît le fossé, déjà psychologiquement profond, entre territoires urbains et territoires ruraux.

Pourtant, cela a été dit et répété, il ne faut pas opposer le monde rural et le monde urbain. Ces deux mondes, imbriqués l’un dans l’autre, doivent au contraire ressentir et organiser leur complémentarité, être convaincus de la nécessité d’avoir des échanges harmonieux.

Notre pays a, en effet, une forte tradition rurale. La complémentarité entre le rural et l’urbain fait partie de la culture française et nous ne devons pas prendre le risque, dans le souci d’une rationalisation et d’une optimisation par trop technocratiques, de rompre cet équilibre.

J’en appelle aux témoignages de deux anciens Présidents de la République, l’un de gauche, l’autre de droite, pour ne pas faire de jaloux !

Qui ne se souvient de la superbe affiche louant, en 1981, la « force tranquille », et créée par le communicant Jacques Séguéla ? On y voyait un visage, un slogan et un paysage, celui d’un village, choisi volontairement en plein cœur de la France. Le candidat François Mitterrand voulait ainsi montrer que la France, c’était aussi la ruralité profonde.

Qui ne se souvient du discours prononcé par Nicolas Sarkozy le 11 octobre 2011, à l’occasion d’un déplacement dans la Creuse ? Devant les élus locaux, il déclara alors : « La ruralité, c'est l'avenir de la France, à une condition, c'est que cet avenir conjugue vos traditions et la modernité. […] Le développement de la France passe autant par le développement de nos campagnes que par le développement de nos villes. […] La question […] n’est pas celle de l’assistanat. […] La question, cest celle du développement économique. »

Le temps semble venu de passer des paroles aux actes et de concrétiser quelques idées-forces.

Tout d’abord, la représentation des territoires ne doit pas avoir pour seul critère celui de la démographie. En effet, cette interprétation stricte de l’égalité des citoyens porte désormais en elle les germes d’une autre injustice, d’une nouvelle inégalité.

En outre, trois axes de développement doivent être pris en compte par la communauté nationale.

Premièrement, l’agriculture et le pastoralisme de proximité doivent être de nouveau développés en monde rural, l’opinion publique étant désormais prête à la consommation de proximité.

Deuxièmement, la couverture numérique en très haut débit doit progresser de manière simultanée dans les territoires urbains et dans les territoires ruraux, une péréquation s’imposant en ce domaine.

Troisièmement, le tourisme culturel doit être soutenu, via la mise en valeur des immenses richesses patrimoniales des territoires ruraux. Ce thème me paraît porteur pour les années à venir, compte tenu de l’engouement des populations pour cette forme de tourisme.

Chacun de ces trois axes – on en a cité d’autres : le désenclavement, les transports, l’accessibilité – mérite d’être pris à bras-le-corps par notre communauté nationale tout entière, dans une perspective de reconquête d’un équilibre fragilisé et, pour les élus ruraux, de fierté retrouvée. §

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