Intervention de Delphine Bataille

Réunion du 18 novembre 2014 à 14h30
Débat sur le thème « ruralité et hyper-ruralité : restaurer l'égalité républicaine »

Photo de Delphine BatailleDelphine Bataille :

Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, selon le rapport d’Alain Bertrand, dont je salue le travail, il s’agit aujourd’hui de distinguer l’hyper-ruralité de la ruralité, en veillant à ne pas opposer les territoires les uns aux autres et, surtout, en réaffirmant l’égalité républicaine.

C’est donc la question de l’hyper-ruralité qui est plus spécifiquement traitée ici. Toutefois, bien que les territoires ruraux recouvrent des réalités différentes, ils sont, pour l’essentiel, confrontés à des problématiques similaires, de façon plus ou moins aiguë.

De surcroît, il arrive souvent que plusieurs types de ruralité coexistent dans un même département. Ainsi, le Nord, qui se caractérise par une très forte densité de population avec ses 2, 6 millions d’habitants, comporte des espaces très ruraux, non identifiés dans le rapport, correspondant principalement à une partie de l’Avesnois, du Cambrésis et de la Flandre intérieure. Or ces espaces, qui regroupent seulement 400 000 habitants de ce grand département, occupent la moitié de sa surface géographique.

Si les spécificités de ces territoires ne sont donc pas uniformes, le diagnostic dressé par notre collègue peut s’appliquer à leurs espaces ruraux. En effet, ceux-ci font face aux mêmes difficultés, liées au vieillissement de la population, à l’enclavement, à la faiblesse des ressources financières, à une pénurie d’équipements et de services, au manque de perspectives, à la difficulté de faire aboutir telle ou telle initiative publique ou privée, à l’éloignement géographique et à l’isolement.

L’état des lieux est accablant et nourrit un sentiment d’abandon largement répandu parmi les populations et les élus de ces territoires.

Cette France des plans sociaux, de l’abstention et du comportement antirépublicain est aussi celle de nouvelles initiatives politiques plus constructives, autour de la relocalisation des activités, par exemple. Le retour au village donne le sentiment d’être à l’abri, une contre-société émerge dans la France périphérique et, plus généralement, dans les milieux populaires.

Ce ré-enracinement social et culturel et l’attachement aux valeurs traditionnelles de ces populations sont sans doute liés à leur angoisse face à la mondialisation économique, à leurs réserves sur le projet de société qu’on leur propose et à leur demande croissante d’autorité.

Ce sont ces mêmes milieux ruraux qui ont été le plus touchés par le désengagement de l’État et la révision générale des politiques publiques opérés sous la présidence de Nicolas Sarkozy, et l’action publique y a encore accentué les inégalités.

Aujourd’hui encore, les ruraux subissent une organisation des territoires de plus en plus structurée autour de métropoles en forte croissance, avec une hypercentralisation des services essentiels. La création de richesses se concentre de plus en plus au sein d’un réseau métropolitain dynamique, et cette spécialisation du territoire a chassé les classes populaires –ouvriers et employés –, encore majoritaires dans la population active, hors des métropoles.

Cette situation renforce bien entendu le sentiment des ruraux de vivre dans une France périphérique, reléguée. Pourtant, la complémentarité entre villes et campagnes est indéniable. Nos territoires ruraux sont également porteurs d’avenir et constituent un véritable atout pour notre pays, surtout lorsqu’ils ont une forte capacité à se structurer autour de projets innovants et de leurs ressources stratégiques.

Contrairement à l’Allemagne, qui n’a pas de territoire stable depuis plusieurs siècles, la France reste profondément marquée par ses terroirs, et la transition vers une civilisation urbaine doit se faire avec beaucoup de précautions.

Aujourd’hui, l’État doit relever d’urgence les défis spécifiques de la ruralité et renforcer sa présence dans des territoires ruraux aux attentes fortes. Il faut donc une politique volontariste et des réponses réalistes, comme celles que préconise Alain Bertrand au travers de sa proposition d’un pacte pour les territoires hyper-ruraux.

Je partage cette vision et tiens à souligner des avancées récentes dans le territoire rural où je vis, qui se traduisent par l’aboutissement de deux projets structurants : la reconversion de l’ancienne base aérienne 103, fermée par un gouvernement de droite, et, surtout, l’incontournable canal Seine-Nord-Europe, dont la réalisation aura une incidence positive sur l’emploi et l’économie dans les bassins de vie concernés, aussi ruraux soient-ils.

Sur le plan national, madame la ministre, je salue votre engagement, qui a permis l’organisation des assises des ruralités, dont l’une des étapes s’est déroulée dans la région Nord-Pas-de-Calais, et la démarche conjointe de l’État et des conseils généraux en vue de l’élaboration de schémas départementaux d’accessibilité des services au public.

L’intervention de l’État régulateur reste fondamentale pour permettre un rééquilibrage et éviter les disparités et les inégalités entre territoires riches et territoires pauvres. Parce que les territoires défavorisés ne méritent pas l’abandon auquel ils semblent promis au regard des contraintes budgétaires et de l’orientation de certaines politiques publiques, ils ont, plus que jamais, besoin d’accompagnement et de soutien de la part de l’État face aux difficultés liées aux mutations économiques et sociales.

Ces risques étant en partie prévenus grâce aux politiques volontaristes développées par les départements, notamment en matière de solidarité, je veux souligner les annonces du Gouvernement en faveur du maintien des conseils généraux, qui assurent au quotidien des missions de proximité et tiennent un rôle essentiel en matière d’aménagement du territoire. Le projet initial – je tiens à le rappeler – avait en effet été ressenti comme un nouvel affaiblissement du monde rural…

Parallèlement à ces avancées, il faut continuer à entendre les élus et les populations qui vivent dans ces territoires fragiles, notamment pour ce qui concerne l’accès aux soins, la priorité à l’éducation, la couverture numérique ou les transports, dimensions devenues essentielles pour la vitalité de ces espaces.

La République doit être présente partout, et pour tous. La France qui se transforme sous nos yeux reste une France des territoires, une France telle que Fernand Braudel l’avait décrite dans son ouvrage L’identité de la France.

Les réponses du Gouvernement doivent traduire une volonté forte de l’État de combattre les inégalités, de redonner du souffle à nos territoires et de l’espoir à leurs habitants. §

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