Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je serai le quatorzième orateur à vous faire part de mon credo en matière d’hyper-ruralité. Vous le comprendrez, je serai donc amené à répéter certains propos des intervenants précédents.
Je veux tout d’abord moi aussi remercier celles et ceux qui sont à l’initiative de ce débat, principalement le groupe RDSE, tant ce sujet est d’actualité et important, cela a été dit, pour notre pays.
Les territoires ruraux représentent 80 % de la surface du pays et sans doute plus de 60 % si nous évoquons la ruralité profonde, qui concerne 3, 5 millions d’habitants, lesquels ne bénéficient pas des effets de proximité des grandes villes en termes d’emplois, de résidences et de services. Mais ces territoires ne sont-ils pas des lieux de vacances, de repos, de découvertes de paysages, de sport, de gastronomie, pour les habitants des villes et des métropoles ?
Ils sont aussi des secteurs économiques non négligeables, avec une agriculture et des produits alimentaires bénéficiant d’AOC ou de labels, avec des PME, avec un artisanat d’objets de valeur dans le cadre de quelques niches très appréciées, mais aussi avec une industrie du bois, proche des ressources, qui crée des emplois et de la valeur ajoutée.
Souvent, ils sont aussi producteurs d’énergie hydraulique, éolienne et solaire. Les habitants de ces territoires sont des « clients », qui améliorent les chiffres d’affaires des GMS, les grandes et moyennes surfaces, des professions libérales et de santé, ainsi que des entreprises du bâtiment et des travaux publics, plus particulièrement présentes dans les villes.
Alors a-t-on assez de considération pour ces territoires ? A-t-on assez de reconnaissance pour ces acteurs, qui aménagent et entretiennent tous ces espaces, conservant un riche patrimoine, protégeant très souvent la réserve en eau des cités, et servant aussi de déversoir aux stations d’épuration et de dépôt des déchets ultimes ?
Ils ont un intérêt important pour la nation. Il est bien que le Sénat réserve aujourd’hui une heure et demie d’échanges sur ce sujet. Y a-t-il égalité entre ces territoires et les autres secteurs de la nation ? J’avais écrit : « Il est sûr que nous n’aurons pas tous le même avis, mais nos échanges ne pourront être que positifs. » Or je m’aperçois que, depuis que nous avons commencé – je suis donc le quatorzième orateur –, nous avons à peu près tous dit la même chose. Et j’espère que Mme la ministre, que nous écouterons avec intérêt, tiendra le même langage.
J’ai eu le plaisir, dans le cadre de la délégation sénatoriale à la prospective, avec Renée Nicoux, ancienne sénatrice de la Creuse, de rédiger un rapport sur l’avenir des campagnes. Au cours des nombreuses auditions que nous avons menées avec les élus et les acteurs de ces territoires, nous les avons souvent entendus dire que, s’il n’y avait pas rapidement une prise de conscience, on pourrait parler de campagnes oubliées. Certains ont même employé le mot « sacrifiées ».
Aujourd’hui, les habitants de ces territoires demandent les mêmes services que dans les villes. Ils veulent des crèches, des médiathèques, des piscines, un accès à la culture, le ramassage et le traitement des déchets. Ces services représentent un coût élevé par habitant. Dès lors, pourquoi – cela a été dit plusieurs fois à cette tribune – la DGF de ces collectivités est-elle fixée à la moitié – voire moins – de celle des villes ?
De nos jours, les décisions de décentralisation obligent ces collectivités à payer une part importante des infrastructures, notamment de nombreux kilomètres, par habitant, de voirie, de réseaux d’eau et d’assainissement, principalement en montagne. Je n’oublie pas non plus les services de déneigement !
Ces espaces disposent de bien peu de transports collectifs, ce qui oblige de nombreux ménages à posséder deux voitures. On assiste même à la fermeture de lignes ferroviaires. Quelle différence avec les centres urbains !
À l’ère du numérique, du télétravail, de la télémédecine, de la téléinformation, du e-commerce, de l’e-administration, que de différences avec les villes, où les opérateurs se sont mobilisés rapidement ! Pendant ce temps, nos campagnes attendent. Rien, alors que la 4G est là ! Nos collectivités doivent investir d’une façon significative, comme l’a dit tout à l’heure notre collègue du Doubs, Jean-François Longeot, pour apporter ces services très attendus.
Aujourd’hui, les territoires ruraux nourrissent des inquiétudes au sujet de la présence médicale et même pharmaceutique, les officines étant parfois bien lointaines. Les populations n’ont pas, c’est vrai, les mêmes chances de survie : en cas d’infarctus ou d’AVC, la distance des services de secours et des hôpitaux joue un rôle crucial.
Nous sommes conscients que ces distances ne diminueront pas ; aussi, essayons de faire en sorte que les dessertes vers les centres hospitaliers, les écoles, les lycées, les gares, les lieux de travail et de commerce, soient de qualité.
Le temps qui m’est imparti s’achève. Je viens de citer quelques exemples montrant que l’égalité des territoires n’est pas vraiment une réalité. Il est grand temps d’inscrire ces territoires dans un scénario d’accompagnement, voire de développement. Des solutions existent, mais il faudra de la volonté pour balayer les inégalités territoriales : des dotations équivalentes pour les communes et intercommunalités égales aux villes, des zones de revitalisation rurale, des ZRR, notamment avec le FPIC, le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, des plans d’excellence rurale plus nombreux, des dotations d’équipement des territoires ruraux significatives – DETR, crédits européens du deuxième pilier et programme LEADER –, davantage ciblées sur ces zones, un accompagnement financier pour les désenclavements routiers, des obligations aux opérateurs des nouvelles technologies pour investir aussi dans ces territoires aujourd’hui oubliés et mettre fin à une injustice territoriale.
Mais attention ! Le législateur ne doit pas fixer les mêmes seuils de population pour les collectivités territoriales. Je pense notamment aux intercommunalités, trop vastes, de 20 000 habitants, dans le cadre d’un dossier LEADER ou de l’implantation d’une pharmacie.
Madame la ministre, mes chers collègues, les acteurs des espaces ruraux, qui entretiennent un rapport affectif avec leurs territoires, sont innovants et combatifs. En dépit des handicaps – éloignement, montagne, faible densité de population –, ils affirment leur capacité de projection, se saisissent de nouvelles opportunités et inventent de nouveaux leviers de développement. En proie à une métropolisation triomphante, la France aura bientôt besoin de ces leviers pour sortir de l’ornière économique et de la dépression où elle s’enferme. Nos concitoyens des villes voudront venir se ressourcer dans ces espaces. Mais encore faut-il que ces espaces soient vivants et disposent de services, principalement en matière de santé.
Notre croissance future est en gestation dans le « creuset » de nos territoires les plus ruraux, qu’il faut protéger et accompagner. Au Gouvernement d’en décider, mais aussi à nous tous, mes chers collègues.