Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en janvier dernier, nous avions débattu de la politique du Gouvernement en matière d’égalité des territoires. Très clairement, nous nous étions demandé quels étaient son action et ses objectifs, alors que les fractures territoriales allaient – et vont toujours – en s’aggravant.
À cette occasion, j’avais rappelé, madame la ministre, que le Gouvernement, déclarant aimer la ruralité, ne donnait, hélas ! que trop peu de preuves d’amour au monde rural. A-t-il fait, depuis lors, sa révolution copernicienne en la matière ?
Il est bien d’avoir enfin créé le Commissariat général à l’égalité des territoires. Est-ce une avancée ? Sans doute ! Mais j’aurais voulu qu’il rendît un avis, éclairé parce qu’étayé, sur l’impact du projet de loi relatif à la délimitation des régions !
Notre collègue Alain Bertrand vous a remis en juillet dernier un rapport très intéressant intitulé Pour le développement et la mise en capacité des territoires hyper-ruraux, qui introduit le débat de ce jour. Je veux en cet instant remercier le groupe RDSE de son initiative.
Votre ministère du logement, de l’égalité des territoires s’est enrichi d’un mot : ruralité. Des mots, encore des mots, toujours des mots serais-je tenté de dire, comme dans la chanson…
Vous avez déclaré récemment : « Les Assises de la ruralité contribueront à alimenter notre réflexion et à mettre en place une feuille de route. » Avouez qu’à mi-mandat du quinquennat du président Hollande, cela se passe de commentaires et dénote une certaine impréparation, ainsi que l’absence de cap et de vision dont souffre votre politique.
Au-delà de la mise en scène, le scénario est hélas ! assez pauvre et les indicateurs sont inquiétants : risques sociaux et de décrochage, difficultés d’accès au numérique, au haut débit, à la téléphonie mobile, démographie médicale trop souvent en tension dans nos campagnes, dégradation de l’offre de services publics et privés. La fracture ne cesse de se creuser et, à ce jour, vous ne proposez rien de concret.
Néanmoins, dans ce débat, je veux éviter de céder au fatalisme, à la stigmatisation ou à une forme de sacrifice de nos campagnes. Je ne me résoudrai jamais à m’en tenir à une approche résignée de la ruralité, qui la voudrait condamnée au vide et au vert, à une forme de lent épuisement, et dont le salut ne serait assuré que sous perfusion publique.
Je refuse tout autant la vision caricaturale ou déformée par des regards « urbanocentrés » ou « bourgeois bohèmes » d’une « gentille campagne », participant d’un folklore français qui nous serait si singulier.
Privilégions plutôt une approche positive, offensive, voire optimiste. Cessons la caricature, parce que le fait urbain ne résoudra pas tout d’un coup de baguette magique.
Ne fragmentons pas les territoires pour les mettre en tension entre eux, voire les opposer. Car la véritable fracture n’oppose pas tant les urbains aux ruraux que les territoires les plus dynamiques et innovants – où les qualifications sont les plus fortes et qui bénéficient de la mondialisation – à la France des fragilités sociales.
Or, quand il s’agit de restaurer l’égalité républicaine et l’égalité des chances, je ne crois pas à la théorie de la « main invisible ».
Dans La France périphérique, Christophe Guilluy souligne que « le concept de métropolisation repose [pourtant] sur cette logique : on considère qu’in fine tous les territoires bénéficieront du dynamisme métropolitain » comme l’intérêt privé des individus conduirait, mécaniquement, à des effets bénéfiques pour la société tout entière.
La mondialisation bénéficie d’abord aux métropoles et a pour conséquence, d’une certaine manière, le décrochage de nombreux espaces périurbains, ruraux et hyper-ruraux. La décentralisation telle qu’elle a été menée jusqu’à présent n’a pas permis de contredire ces tendances et d’éviter le creusement des inégalités. Elle a, de fait, bénéficié aux capitales régionales et aux grandes villes, car les collectivités territoriales se sont développées en reproduisant à leur échelle le modèle globalisant et centralisateur de l’État, sans arrimer ni le reste du territoire ni leur arrière-pays.
Pourtant, les ruralités ne sont pas un monde à part devant bénéficier de procédures de compensation ; elles doivent au contraire s’inscrire dans une dynamique de développement partagé avec les métropoles, les villes et les bourgs.
Quand il s’agit de restaurer l’égalité républicaine et l’égalité des chances, je crois pour ma part à la coopération, à la fédération des énergies et des territoires.
Aussi, j’appelle de mes vœux une nouvelle forme de décentralisation dans laquelle les territoires réapprendraient à collaborer et à se donner ensemble un destin commun, un destin qui retisse un lien fort et complice entre deux France qui, aujourd’hui, tendent à s’éloigner.
Alors que nous allons bientôt débattre de la nouvelle orientation territoriale de la République, il est indispensable que nous veillions à encourager ces dynamiques.
Des outils existent : les schémas de cohérence territoriale, les SCOT, représentent un outil particulièrement utile et pertinent mis à la disposition des élus. À condition qu’ils recouvrent des périmètres suffisamment larges leur permettant de prendre une certaine hauteur, au-delà des prés carrés de chacun, ils sont la bonne échelle de réflexion prospective que l’on appelle bottom-up.
J’ai là, madame la ministre, un courrier adressé à votre prédécesseur, resté sans réponse. Je devine que, lorsque je vous l’aurai remis, vous aurez à cœur d’y répondre favorablement. §Il va dans ce sens.
Mais des outils, il faudra en imaginer bien d’autres pour parvenir à cette « coagulation » de tous ces territoires.
Après le rabot démographique, impitoyable loi du chiffre dénoncée par certains de mes collègues ayant servi de seul argument pour dessiner les nouveaux cantons de nos départements, l’évolution autoritaire de la carte intercommunale, annoncée par le Gouvernement, ne saurait être l’alpha et l’oméga de ces coopérations. Bien au contraire.
Il existe, bien sûr, des intercommunalités rurales – et urbaines, d’ailleurs – trop petites, mais l’application du seuil minimal, magique, des 20 000 habitants n’est pas la seule solution. Mais quand, à la loi du chiffre, vous ajoutez la baisse drastique des dotations aux collectivités, vous donnez à nos territoires le coup de grâce.
Nous devrons être particulièrement vigilants pour ne pas infliger une double peine à l’hyper-ruralité, celle d’être fondue dans des intercommunalités trop faibles par leurs compétences et où les repères risquent de s’effacer faute de juste représentation des plus petites communes. Je pense à ce propos aux plaidoiries sur la grande ruralité du président de l’intercommunalité du Piémont vosgien ; elles trouvent ici en cet instant un écho justifié.
Quand il s’agit de restaurer l’égalité républicaine et l’égalité des chances, je crois en une France qui a envie d’agir et en celles et ceux qui continuent de vouloir entreprendre afin de participer au sursaut indispensable au redressement de notre pays. Madame la ministre, entendez leur voix !
Aujourd’hui, vos choix politiques tout autant que vos non-choix brident cette belle ambition. Je le regrette.