Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 18 novembre 2014 à 14h30
Durée du mandat du président de la république — Discussion d'une proposition de loi constitutionnelle

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Pour empêcher toute cohabitation, il aurait fallu supprimer l’article 12 de la Constitution, au lieu d’instaurer le quinquennat.

L’un des véritables problèmes de nos institutions est aujourd'hui la censure et la dissolution. Il faudra bien, un jour, avoir ce débat, car il est urgent !

Effectué au nom de l’impératif de modernisation des institutions, le remplacement du septennat par le quinquennat ainsi que l’inversion du calendrier électoral ont altéré, et même dénaturé, la nature constitutionnelle originelle du Président de la République. L’alignement de la durée de la fonction présidentielle sur celle de la fonction parlementaire a mis fin au privilège du Président de la République, transformant finalement ce dernier en « superélu », chef de la majorité en lieu et place du Premier ministre. Ce que nous avons vécu au cours de ces dernières années et de ces derniers mois en est la parfaite illustration.

En 1993, les conclusions du comité Vedel avaient clairement souligné les contradictions inhérentes au quinquennat présidentiel : « Ainsi, la réduction de l’exécutif à la seule personne du Président ferait en réalité de celui-ci le véritable Premier ministre. Or il est singulier de vouloir tout à la fois réduire dans le temps les pouvoirs dévolus au chef de l’État et, dans cette durée, les renforcer et les étendre plus encore. » Le doyen Vedel était un excellent constitutionnaliste, monsieur le rapporteur ! Lui aussi était parfaitement sage dans ses propos.

Entre un Président de la République chef de la majorité et un Président de la République arbitre des institutions et, par nature, irresponsable, il faut choisir !

Dès lors, comment s’étonner de l’abaissement de la fonction, qui est le corollaire du désenchantement des citoyens vis-à-vis de leurs institutions ?

L’hyperprésidentialisation, dont d’aucuns, présents sur ces travées, ont pu faire le procès sous le précédent quinquennat – le titulaire de la fonction présidentielle change, mais le problème demeure ! –, est synonyme non pas d’un renforcement de l’autorité du Président de la République, mais de la polarisation de la vie politique autour d’une personnalité, d’un homme médiatiquement surexposé et responsable individuellement des malheurs collectifs de la France.

L’abaissement de la fonction, au sens où l’entend notre rapporteur, serait donc salvateur pour cette figure centrale de la Ve République, puisque cela lui permettrait, au contraire, de retrouver une stature et une autorité nationales. Nous n’avons manifestement pas la même vision.

L’argument de la modernité, avancé en d’autres circonstances et en d’autres lieux, a également été celui des défenseurs du quinquennat, qui ont fait valoir l’accélération de l’histoire, ainsi que l’importance du temps médiatique. Pourtant, la modernité ne peut-elle pas s’accommoder du temps de la réflexion, qui est nécessaire pour engager des réformes législatives efficaces et ne pas légiférer par retouches et petits arrangements ? Or telle est la situation que nous connaissons, quelles que soient les majorités en place.

Enfin, le rôle du chef de l’État dans la politique internationale, notamment son rôle de représentation, doit entrer en ligne de compte.

Le temps est un facteur essentiel des relations internationales. Compte tenu de l’importance des relations personnelles entre les chefs d’État et du fait que de nombreuses décisions, même économiques, sont prises lors des sommets, le temps doit conférer au chef de l’État non seulement une expérience, mais aussi une autorité morale et un pouvoir d’influence qui lui permettent de négocier et d’appuyer ses revendications.

L’exemple du rôle du couple franco-allemand – Adenauer-de Gaulle, Schmidt-Giscard d’Estaing, Kohl-Mitterrand – dans la relance de la construction européenne est, à ce titre, révélateur de la puissance de la durée.

Le titulaire de la fonction présidentielle étant placé dans la position de candidat à sa succession – l’actualité en est la démonstration –, le quinquennat nuit à la qualité du débat politique, tandis qu’il consacre un nouvel affaiblissement du Parlement.

Le quinquennat a induit dans la situation temporelle de la vie politique un système négatif. Pour preuve, s’il en était besoin, la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui : deux années à peine après l’élection de l’actuel Président de la République, les candidats à sa succession, dans l’opposition comme dans la majorité, se sont déjà déclarés les uns après les autres. Nous y voyons là une américanisation de la vie politique, avec la campagne des primaires, trois années avant l’élection ! D’ailleurs, il est souvent reproché au président des États-Unis en exercice de ne plus être, au cours des deux dernières années de son mandat, que le candidat à sa propre succession.

La théorie économique du cycle électoral a bien illustré ces problématiques. Appliquée à la fonction présidentielle, cette théorie montre que le titulaire de la fonction présidentielle, loin de pouvoir arbitrer le destin national conformément à la lettre et l’esprit de la Constitution de 1958, se voit obligé d’entrer dans la mêlée politique, dans la perspective très proche de sa réélection. La conséquence essentielle de cette nouvelle temporalité est de privilégier le court terme, médiatique, au long terme, faisant ainsi passer l’intérêt partisan avant l’intérêt général.

Enfin, l’adoption du quinquennat a eu pour dommage plus que collatéral la restriction des pouvoirs de la majorité parlementaire, tenue aujourd'hui plus que jamais au rôle de chambre d’enregistrement des directives du pouvoir exécutif. Nous en payons tous les jours le prix fort !

Après trois quinquennats, le Président de la République ne peut plus aspirer à incarner le pouvoir d’État. Le temps présidentiel s’est finalement aligné sur le temps médiatique, sans que les bienfaits attendus de cette accélération du temps politique se réalisent. Le maintien du quinquennat ne pourra se faire qu’au détriment de l’intérêt national.

Notre proposition de loi constitutionnelle prévoit donc de revenir à la durée initiale du mandat présidentiel, à savoir le septennat, pour un strict équilibre des institutions – nous ne vous proposons pas de supprimer l’élection du Président de la République au suffrage universel, car, dans les circonstances actuelles, il nous faudrait alors franchir un pas difficile ! –, …

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