Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous débattons cet après-midi, sur l’initiative de M. Mézard, d’un sujet fondamental pour nos institutions : la durée du mandat du Président de la République. La question met en jeu l’exercice de la fonction éminente de notre République, ce qui est assez dire son importance.
Pour traiter d’un si beau sujet, je crois utile de faire quelques rappels sur l’histoire de nos institutions et sur les origines du septennat, dont le groupe RDSE propose le rétablissement sous une forme non renouvelable.
Le septennat présidentiel n’est pas le résultat d’une réflexion théorique mûrie ; en réalité, il est le fruit des hasards de l’histoire. En effet, c’est après l’échec des négociations entre monarchistes et républicains sur la durée du mandat présidentiel que la loi du 20 novembre 1873 a confié le pouvoir exécutif au maréchal de Mac Mahon pour une durée de sept ans. À vrai dire, il s’agissait d’une position de compromis visant à concilier les partisans du quinquennat et ceux du décennat, dans l’attente d’une réflexion institutionnelle apaisée.
Instauré dans un contexte tumultueux, celui du retour de la République, le septennat fut toutefois confirmé par les lois constitutionnelles de 1875, puis par les Constitutions de 1946 et de 1958.
La Constitution de 1958 a donné un sens nouveau au septennat présidentiel. En effet, sous les IIIe et IVe Républiques, le Président « n’a rien et […] n’est rien », pour reprendre les mots d’André Tardieu. La Ve République mit fin à cette impuissance en donnant de vastes prérogatives au Président de la République, garant de la continuité de l’État et de l’intérêt de la nation, « arbitre » placé au-dessus des partis politiques et représentant de la France à l’étranger.
Dans cette optique, le septennat avait une justification théorique : délier le Président de la République de la majorité parlementaire, ne faire reposer sa légitimité que sur le peuple, afin qu’il soit, comme l’affirmait le général de Gaulle, « l’homme de la nation, mis en place par elle-même pour répondre à son destin ».
C’est ce raisonnement, renforcé en 1962, dans les circonstances que l’on connaît, par l’élection au suffrage universel direct, qui conduisit la Ve République à donner au Président un mandat plus long que celui des députés.
J’ai parlé, à dessein, de « justification théorique » du septennat. En pratique, en effet, le Président de la République a rapidement cessé d’être l’arbitre impartial du jeu politique que le constituant de 1958 voulait qu’il fût.
Dès le début de la Ve République, le Président est apparu comme le chef de la majorité parlementaire. Je m’associe pleinement à Hugues Portelli, qui souligne, dans son rapport, que la conception du Président « arbitre […] n’a jamais été vraiment celle du général de Gaulle, qui est intervenu d’entrée dans les décisions de politique intérieure en donnant ses directives au Gouvernement, qui a interdit au Premier ministre de se faire qualifier de chef du Gouvernement ».
Cette évolution était d’ailleurs normale et prévisible : élu grâce au soutien d’un parti et sur la base d’un programme politique, le Président de la République pouvait-il abandonner ses convictions après son élection et se limiter à concilier les opinions des uns et des autres ? Il n’était ni possible ni souhaitable que le Président soit placé hors de la vie politique.
Ainsi, en dehors des périodes de cohabitation, tous les présidents successifs ont joué un rôle non négligeable dans la vie politique française, non seulement en contribuant à la définition et à la conduite de la politique de la nation, mais aussi en prenant part aux débats nationaux lancés par le Parlement, par la presse ou par les partis.
La figure d’un « Président-arbitre », qui serait sans lien avec la vie politique et le fonctionnement des institutions, ne rend donc pas fidèlement compte de ce qu’est le Président de la République depuis des décennies. Dès lors, l’idée que le Président serait détaché de la vie politique est une fiction et ne saurait justifier que le chef de l’État dispose d’un mandat plus long que celui des députés.
Ce constat ne date pas de l’an 2000, année de la révision constitutionnelle sur le quinquennat ; il est en réalité beaucoup plus ancien.
Dès 1973, Georges Pompidou avait tenté de raccourcir la durée du mandat présidentiel pour la ramener à cinq ans. Comme le soulignait à l’époque le sénateur Étienne Dailly, le quinquennat apparaissait comme « la conséquence logique de l’élection du Président de la République au suffrage universel ». Faute de suffrages suffisants pour atteindre la majorité des trois cinquièmes au Congrès, le projet de révision de 1973 a toutefois avorté ; ce n’est qu’en 2000 que le quinquennat fut approuvé par référendum par 73 % des Français.
Si j’ai pris le temps de faire ce rappel historique, c’est parce qu’il me semble encore pleinement valable. Le septennat n’est pas un sujet tabou et la proposition de loi constitutionnelle de Jacques Mézard a toute sa légitimité.