L'année 2014 constitue assurément un tournant pour le paysage audiovisuel français.
L'arrivée de Netflix en France aura servi de déclic pour mettre sur la place publique des problématiques qui constituent autant de défis pour le secteur audiovisuel français. Quel avenir pour la télévision classique dite « linéaire » ? Quelle place pour les services « délinéarisés » (video on demand - VOD, subscription video on demand - SVOD) ? Quelles conséquences, enfin, pour le métier même d'éditeur de programmes qui consiste précisément à « recommander » des choix si les algorithmes se substituent au savoir-faire des chaînes de télévision ?
La révolution numérique qui s'accélère constitue un défi pour le service public de l'audiovisuel qui doit élaborer une réponse fidèle à ses valeurs tout en étant confronté à une réduction des moyens disponibles.
Avant aborder les problématiques propres à chacun des acteurs de l'audiovisuel public, je commencerai par évoquer l'évolution des moyens consacrés à l'audiovisuel public.
Le Gouvernement a annoncé en juillet dernier, lors du débat d'orientation budgétaire, son intention de supprimer à l'horizon 2017 l'ensemble des dotations budgétaires et de leur substituer la seule contribution à l'audiovisuel public (CAP). Dès 2015, l'augmentation de la contribution à l'audiovisuel public de 3 euros (dont 1 euro au titre de l'inflation) prévue par l'article 27 du projet de loi de finances permet de financer intégralement France Médias Monde et TV5 Monde ainsi que nous le verrons, dans un instant, avec le rapport de notre collègue Claudine Lepage.
Toutefois, cette hausse ne permet pas de répondre aux besoins de financement de l'ensemble de l'audiovisuel public comme l'illustrent le maintien d'une dotation de 160,4 millions d'euros pour France Télévisions et les incertitudes qui demeurent concernant le bouclage du budget 2015 de l'opérateur public.
Voilà pourquoi le débat sur la contribution à l'audiovisuel public est devenu une nécessité. Avant d'évoquer la question de son élargissement, il m'a semblé utile d'examiner son rendement actuel. Nous savons, en effet, que le produit de la contribution à l'audiovisuel public devrait être en 2015 de 3,67 milliards d'euros, soit une hausse de 3,3 % par rapport à 2014. Mais j'ai été étonné de constater à la fin du mois d'octobre que les questions sur le taux de recouvrement et la lutte contre la fraude n'avaient reçu aucune réponse du ministère de la culture et de la communication, celui-ci m'indiquant par écrit ne pas avoir recueilli d'éléments de la part de Bercy.
Plus étonnant encore, la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) m'a répondu, par écrit, que la direction générale des finances publiques ne réalisait pas de mesure du taux de fraude.
Que doit-on penser de cette situation ? Faut-il en conclure que la politique de lutte contre la fraude à la contribution à l'audiovisuel public n'est pas une priorité et que son rendement serait si défaillant qu'il y aurait urgence à nous refuser ces informations ? Quelle serait, dans ces conditions, la légitimité de la hausse de 3 euros demandée cette année et du débat sur l'élargissement de l'assiette ?
Avant d'augmenter ce prélèvement, il convient d'abord de s'assurer - au nom de l'équité fiscale - que tout le monde le paye bien. C'est pourquoi nous avons décidé avec Mme la présidente d'écrire le 30 octobre dernier au secrétaire d'État chargé du budget pour lui demander des explications. Or, au 18 novembre, nous n'avons toujours pas reçu la moindre réponse, ni même un accusé de réception, ce qui ne me semble pas être le meilleur moyen de mener un dialogue constructif avec le Parlement sur ce sujet.
Ce qu'il faut avoir à l'esprit, c'est que plus la fraude serait importante, moins un élargissement de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) serait pertinente puisque le contrôle de la possession d'une tablette ou d'un smartphone ne sera pas moins difficile que celui d'un poste de télévision, bien au contraire. Une telle situation devrait alors nous amener à examiner d'autres fondements à la CAP comme l'ont fait nos voisins allemands.
Jusqu'au 1er janvier 2013, la redevance en Allemagne était prélevée par récepteur mensuellement à hauteur de 5,76 euros pour la radio, 12,22 euros pour un téléviseur et, on le sait moins, 5,76 euros pour un ordinateur ou un smartphone depuis le 1er janvier 2007. Elle était aussi due pour une résidence secondaire ou de vacances.
La réforme de 2013 a prévu la substitution d'un système de contribution (« Beitrag ») à un système de redevance dont le produit baissait du fait de l'accroissement du nombre d'ordinateurs (moins taxés que les téléviseurs) et du développement de la fraude.
La nouvelle contribution repose sur le fait que les contenus de l'audiovisuel public sont maintenant accessibles à tous sur tous supports et qu'il n'y a plus lieu de taxer les supports. Le nouveau prélèvement - 17,98 euros par mois soit 215 euros par an - est donc payé forfaitairement par résidence (principale ou secondaire), indépendamment du nombre de personnes y résidant ou du nombre d'appareils de radiodiffusion disponibles.
Cette réforme allemande doit nous interpeller. Faut-il, en effet, élargir l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public sachant que nous ignorons à peu près tout des conditions de son recouvrement et que le risque de fraude ne fera que grandir ? Ou faut-il nous orienter vers un prélèvement forfaitaire par résidence qui aurait le mérite de la simplicité et de l'équité ? Je souhaite, pour ma part, qu'un vrai débat ait lieu avec le Gouvernement sur ce sujet car je ne trouve aucune raison convaincante de ne pas nous orienter, à notre tour, sur le chemin choisi par nos voisins allemands.
J'en viens maintenant à France Télévisions qui constitue l'autre grand sujet du moment. Les crédits prévus pour France Télévisions dans ce projet de budget pour 2015 s'élèvent à 2,48 milliards d'euros, soit une baisse de 0,5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2014. Ils comprennent une part prédominante de crédits issus de la contribution à l'audiovisuel publique - 2,32 milliards d'euros HT inscrits au programme 841 du compte de concours financier « Avances à l'audiovisuel public » - et une dotation budgétaire de 160,4 millions d'euros en provenance du programme 313 du budget général. Cette dotation est inférieure de 4,6 millions d'euros HT au montant inscrit au plan d'affaires de l'avenant 2013-2015 au contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2011-2015.
Mais cette baisse de dotation ne constitue pas le seul motif de la précarité de la situation budgétaire de France Télévisions. L'objectif de retour à l'équilibre en 2015 prévu par l'avenant au COM risque, en effet, de ne pas être tenu compte tenu des aléas qui pèsent sur la trajectoire des ressources et des charges de l'entreprise.
Trois difficultés rentrent, en effet, en ligne de compte :
- les incertitudes fortes qui continuent à peser sur l'évolution du marché publicitaire ;
- la réduction de la dotation budgétaire de 7 millions d'euros dans le cadre de la loi de finances rectificative a montré que le financement public de France Télévisions n'était pas pleinement assuré dans sa composante issue du budget de l'État ;
- la diminution de la trajectoire d'effectifs prévue par l'avenant au COM nécessite un plan de départs important.
Dans ces conditions, l'entreprise va devoir en 2015 finaliser le plan de départs volontaires ramenant l'effectif à 9 750 équivalents temps plein (ETP) fin 2015, poursuivre la politique de rationalisation induite par la fusion et rechercher avec l'État un nouveau schéma de financement.
Le groupe France Télévisions se trouve donc dans une situation compliquée à la veille de 2015 car les incertitudes identifiées fragilisent les dispositions du projet de loi concernant France Télévisions.
Face à cette situation, le président de France Télévisions a ouvert un débat sur le retour à la publicité de 20 heures à 21 heures et pendant la diffusion des grands événements sportifs afin de pouvoir augmenter les ressources publicitaires. Je ne vous cacherai pas ma circonspection face à cette perspective. Quel serait, en effet, le sens de maintenir la suppression de la publicité seulement après 21 heures ? Comment ne pas penser que, pour les mêmes motifs budgétaires, il nous sera proposé ultérieurement de rétablir la publicité entre 21 heures et 22 heures ? On le voit, la direction de France Télévisions est aujourd'hui réduite à trouver des expédients pour boucler son budget ce qui jette le flou sur le projet même de l'entreprise.
Or force est de constater que la réforme de 2013 sur les modalités de nomination du président de France Télévisions n'a pas arrangé la situation. Loin de moi l'idée de rouvrir le débat de l'année dernière et je prends acte du fait que la nomination par le Président de la République ne faisait pas l'unanimité entre nous, mais je crains aujourd'hui que la réforme adoptée n'ait, en fait, aggravé la situation.
Le budget de France Télévisions est négocié entre l'opérateur et son actionnaire, c'est-à-dire l'État. C'est donc à l'État de définir un projet, une vision, un modèle économique et de faire des choix. La désignation du futur président de France Télévisons par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) rend la situation extrêmement complexe puisque, comme le prévoit l'article 12 de la loi de du 15 novembre 2013 : « les candidatures sont présentées au CSA et évaluées par ce dernier sur la base d'un projet stratégique » et rien n'indique que ce projet sera celui de l'actionnaire.
Plus grave encore à mon sens, en confiant le pouvoir de nomination au régulateur, le Législateur a créé une situation de conflit d'intérêts qui affaiblit structurellement France Télévisions par rapport à ses concurrents. TF1, par exemple, n'hésite pas à contester en justice des décisions du CSA devant les tribunaux. Qui peut imaginer que le président de France Télévisions pourrait faire de même sachant que c'est le CSA qui a le pouvoir de le nommer et de le révoquer ?
On le voit, la situation de France Télévisions demande une vraie clarification qui passe par la définition d'un véritable projet. Une réflexion est nécessaire sur le périmètre de l'opérateur - et notamment sur la pertinence de France 4 et France Ô - mais aussi sur le modèle économique, ce qui nous ramène à la contribution audiovisuelle publique. Ces réflexions sont au coeur de la mission qui a été confiée par le Gouvernement à Marc Schwartz afin de définir une feuille de route pour l'actionnaire. Je proposerai à notre présidente que notre commission joue un rôle actif dans les prochains mois pour définir également sa propre vision de l'avenir du service public de l'audiovisuel et des réformes qui doivent être menées, ce qui pourra aussi concerner la gouvernance.
À cet égard, je propose que l'on étudie, pour l'avenir, la possibilité que les conseils d'administration des entreprises de l'audiovisuel public nomment eux-mêmes leurs présidents, ce qui constituerait, à mon sens, le vrai signe d'une normalisation de ce secteur.
La situation d'Arte est très différente de celle de France Télévisions. La clarté du projet de la chaîne culturelle franco-allemande coïncide avec des résultats de plus en plus satisfaisants.
Concernant les moyens, le projet de loi de finances prévoit de lui attribuer 261,8 millions d'euros HT soit une enveloppe en légère hausse de +0,5 % qui correspond à une quasi-stabilisation de la ressource publique, après une réduction exceptionnelle d'un million d'euros décidée par la loi de finances pour 2014.
Alors que le nombre de chaînes a augmenté sur la télévision numérique terrestre (TNT), la chaîne franco-allemande a accru son audience de 33 % en deux ans, passant de 1,5 % en 2011 à 2 % en 2013. La ligne éditoriale qui est devenue plus accessible sans rien céder sur le niveau de qualité constitue également une réussite qui doit être soulignée.
La situation d'Arte France reste cependant fragile financièrement. Malgré la hausse de la ressource publique, la chaîne devra prélever 7,5 millions d'euros sur son fonds de roulement. Arte compte à l'avenir retrouver des marges de manoeuvre avec l'arrêt de la diffusion en basse définition (SD) au printemps 2016 qui devrait lui permettre d'économiser 6,5 millions d'euros en année pleine et mise sur une augmentation de ses ressources propres qui comptent aujourd'hui pour 3 millions d'euros à travers, notamment, la commercialisation de programmes.
J'en viens maintenant à Radio France. Le montant de la ressource publique s'établit à 614,4 millions d'euros TTC (601,8 millions d'euros HT) soit un montant stable par rapport à 2014, mais en baisse significative par rapport à 2013. Depuis 2012, la contribution de Radio France au plan de retour à l'équilibre des finances publiques s'est élevée à 87,6 millions d'euros. Radio France s'est engagé dans un effort de contrôle de la masse salariale avec un objectif de stabilité des effectifs et a mis en place une nouvelle politique des achats et de contrôle des frais généraux.
Faute de marges de manoeuvre supplémentaires, Radio France ne devrait pas être en mesure en 2015 d'absorber la baisse attendue de ses ressources propres due, pour l'essentiel, aux moindres résultats du marché publicitaire ainsi que l'augmentation de ses charges incompressibles (hausse de la fiscalité locale, amortissements liés au chantier de réhabilitation, glissement sur la masse salariale...). La direction de la société prévoit ainsi un déficit de 15 à 20 millions d'euros. Pressée de trouver des solutions, la direction de Radio France en est à demander un élargissement de la publicité à travers une refonte de son cahier des charges permettant de diversifier les annonceurs. Je ne suis pas sûr que ce type d'expédients constitue, là encore, une solution durable et souhaitable.
Le nouveau président de Radio France, Mathieu Gallet, semble avoir pris la mesure des difficultés ainsi que l'urgence qu'il y a à adopter des mesures structurelles. Faut-il fusionner des antennes ? Faut-il ne garder qu'un seul orchestre au lieu des deux actuellement ? Faut-il engager un plan de départs volontaires ? Toutes ces questions ainsi que celle de la stratégie numérique de Radio France devront recevoir des réponses dans le nouveau COM qui devrait être adopté en décembre et soumis à notre examen au premier trimestre 2015.
Quelques éléments maintenant sur le chantier de rénovation dont le coût est passé de 333 millions d'euros à 584 millions d'euros. Cette « dérive » est liée au fait que le projet n'a pas été conçu, dès le départ, dans sa globalité et que les travaux ont été engagés tout en conservant l'activité dans le bâtiment. Mathieu Gallet m'a indiqué que l'incendie du 31 octobre dernier devrait reporter à 2018 la fin du chantier, alors que le coût des locations est estimé à 10 millions d'euros par an.
Un mot sur les crédits en faveur du Fonds de soutien à l'expression radiophonique qui s'élèveront à 29 millions d'euros en 2015. La réforme du Fonds prévue en 2015 devrait permettre de rendre plus exigeants les critères d'octroi des subventions et d'éviter l'effet de « saupoudrage ». Il convient d'être attentif à l'évolution de ce dispositif qui joue un rôle social et culturel important au niveau local.
J'en viens, enfin, à l'Institut national de l'audiovisuel (INA) qui constituait l'année dernière un sujet de préoccupation pour notre commission compte tenu de la forte baisse de la dotation qui était intervenue au travers d'un prélèvement de 19,8 millions d'euros sur le fonds de roulement. Le projet de loi de finances pour 2015 prévoit une dotation équivalente à celle de 2013, à hauteur de 90,9 millions d'euros.
L'INA est sans doute arrivé à un moment charnière de son histoire après l'achèvement du cycle engagé dans les années 1990 consacré au plan de sauvegarde du patrimoine et à l'ouverture des archives au public. La nouvelle présidente désignée en mai 2014, Agnès Saal, a compris qu'un nouveau projet était nécessaire pour motiver les équipes. Elle a également intégré la nécessité de développer un nouveau projet industriel privilégiant un accroissement des ressources propres. Agnès Saal est, en particulier, mobilisée pour proposer une démarche de sauvegarde à de nouveaux acteurs du monde culturel et de l'entreprise, en France comme à l'étranger. Elle a aussi une forte ambition dans le domaine numérique avec un projet d'offre de vidéo à la demande par abonnement.
Ces nouvelles priorités devraient figurer dans le prochain COM 2015-2019 que nous devrions être amenés à examiner au premier trimestre 2015. Ce COM présentera un nouveau projet immobilier qui devrait prévoir le maintien à Bry-sur-Marne avec la construction d'un nouveau bâtiment, les locaux de l'INA dans le 13e arrondissement à Paris devant, à terme, être abandonnés. Je crois, Mme la présidente, que notre commission pourrait utilement envisager un déplacement à l'INA, à nouveau, au premier trimestre 2015 dans le cadre de l'examen du COM pour examiner ce projet immobilier.
La situation de l'audiovisuel en 2015 est donc contrastée. Certes, à court terme, il peut sembler que les crédits ont été préservés mais, en fait, trop d'incertitudes demeurent notamment concernant France Télévisions et le flou qui entoure aujourd'hui la contribution à l'audiovisuel public n'est pas satisfaisant.
Je vous propose donc de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits consacrés à l'audiovisuel.