Pour 2015, le projet de loi de finances fixe les crédits de la mission « Santé » à 1,2 milliard d'euros, en hausse de 3 % à périmètre constant par rapport à la loi de finances initiale pour 2014. Cette évolution résulte de deux tendances contraires :
- les crédits du programme 204 relatif à la « prévention, à la sécurité sanitaire et à l'offre de soins », qui retrace en particulier les subventions pour charges de service public versées à certains opérateurs sanitaires de l'Etat, diminuent de 5,8 % ;
- à l'inverse, les crédits du programme 183 relatif à la « protection maladie », qui assure essentiellement le financement de l'aide médicale de l'Etat (AME), progressent de 13,7 %. Cette croissance soutenue explique, à elle seule, la hausse générale des crédits de la mission ; j'y reviendrai.
Permettez-moi de préciser que la mission « Santé » ne retrace ainsi qu'une partie limitée des dépenses publiques en matière sanitaire. L'essentiel des dépenses engagées dans ce domaine relève en effet des lois de financement de la sécurité sociale. La mission ne comporte en outre pas de dépenses de personnels et ne concerne que certains établissements publics du champ sanitaire dont la tutelle est au moins partiellement assurée par le ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Cette précision étant faite, je souhaiterais faire porter mon intervention sur deux points saillants qui caractérisent l'évolution des crédits de la mission. Il s'agit, d'une part, des contraintes budgétaires croissantes qui pèsent sur les agences sanitaires à un moment où celles-ci doivent assurer des missions toujours plus nombreuses, et d'autre part, de la croissance non maîtrisée des crédits de l'AME.
Le programme 204 finance, à titre principal ou complémentaire, huit opérateurs de l'Etat qui participent à la mise en oeuvre des politiques nationales de prévention et de sécurité sanitaire. Depuis maintenant plusieurs exercices, ces agences sanitaires sont appelées à réaliser des efforts d'efficience et de productivité croissants. En conséquence :
- le PLF pour 2015 propose de ramener le montant total des subventions pour charges de service public qui leur sont allouées de 315 millions d'euros cette année à 301 millions d'euros en 2015, soit une baisse de 4,4 %, largement supérieure au taux de réduction d'au moins 2 % fixé par la lettre de cadrage du Premier ministre en date du 7 mai 2014 ;
- parallèlement, la diminution des plafonds d'autorisations d'emplois atteindra environ 2 % l'année prochaine, tous opérateurs confondus. Le plafond d'ETPT autorisés passe ainsi de 2 579 en 2014 à 2 527 en 2015, soit une suppression de 52 emplois.
Il est tout à fait légitime et logique que les opérateurs de l'Etat, y compris les agences sanitaires, prennent leur part dans les mesures de redressement des finances publiques. La poursuite des efforts de rationalisation suscite cependant aujourd'hui des inquiétudes d'autant plus fortes qu'elles s'ajoutent à l'attribution de nouvelles missions et aux incertitudes liées aux dispositions du projet de loi relatif à la santé que nous examinerons l'année prochaine.
La situation de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) est particulièrement éloquente. Comme vous le savez, cette jeune agence - elle s'est substituée à l'Afssaps le 1er mai 2012 - a pour mission principale de garantir la sécurité des produits de santé tout au long de leur cycle de vie. Elle bénéficie à ce titre d'une large délégation de puissance publique qui lui permet de prendre, au nom de l'Etat, plus de 80 000 décisions par an. Depuis 2012, son budget est couvert principalement par une subvention de l'Etat qui a été réduite de plus de 9 % au cours des trois dernières années.
En 2015, la subvention allouée à l'ANSM s'élève à un peu plus de 119 millions d'euros, ce qui correspond à une baisse de 3,2 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances pour 2014. Son plafond d'emplois est quant à lui fixé à 989 ETPT, soit une diminution de 20 ETPT par rapport à 2014.
Ces fortes contraintes budgétaires ne doivent pas conduire à remettre en cause la capacité de l'agence à réaliser les missions que le législateur lui a assignées. Sa force de réactivité pour prévenir et faire face aux urgences sanitaires liées aux produits de santé doit être préservée. Or l'ANSM est progressivement appelée à exercer de nouvelles missions : outre la montée en puissance de son département de pharmaco-épidémiologie, elle devra assurer des missions aussi diverses et fondamentales que la mise en oeuvre du nouveau règlement européen relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain, l'application de la future réglementation européenne visant à renforcer la sécurité des dispositifs médicaux, mais aussi l'application des mesures de la prochaine loi de santé, au titre notamment de la sécurisation de la chaîne d'approvisionnement en médicaments (article 36) ou encore de la création d'un accès ouvert aux données de santé (article 47).
Lors de son audition, la direction de l'ANSM a fait part des tensions grandissantes engendrées par cet « effet ciseau ». Les autres opérateurs que j'ai auditionnés - en particulier l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), l'Institut national du cancer (Inca) ou encore l'Agence de la biomédecine (ABM) sont confrontés à des difficultés similaires. Tous ont souligné la nécessité de garder une taille critique suffisante pour maintenir une expertise de qualité. Ils ont également insisté sur les avantages que présenterait l'adoption d'une programmation pluriannuelle de leurs moyens.
De ce point de vue, il nous faudra être particulièrement attentifs à l'article 42 du projet de loi relatif à la santé qui entend habiliter le Gouvernement à agir par ordonnances pour réformer le système d'agences sanitaires. La fusion de l'InVS, de l'INPES et de l'EPRUS est d'ores et déjà programmée.
Des mesures visant à une mutualisation des fonctions support des différentes agences sont par ailleurs annoncées. Mais le projet de loi et son étude d'impact restent relativement sibyllins sur les intentions exactes du Gouvernement en ce qui concerne l'articulation des missions des différents opérateurs et les moyens qui leur seront attribués.
J'en viens au programme 183 dont la quasi-totalité des crédits, je l'ai dit, sont relatifs à l'AME.
Comme vous le savez, l'AME de droit commun, entrée en vigueur le 1er janvier 2000, permet la prise en charge des soins des personnes étrangères en situation irrégulière résidant en France de façon ininterrompue depuis plus de trois mois et disposant de ressources inférieures à un plafond identique à celui fixé pour le bénéfice de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) . Financé par l'Etat, le dispositif est géré par l'assurance maladie.
Selon le projet annuel de performances (PAP) de la mission « Santé », le nombre de bénéficiaires de l'AME de droit commun s'élevait à un peu plus de 282 400 fin 2013, contre environ 215 700 fin 2009 ; il a ainsi progressé de 30 % en l'espace de quatre ans. La part des dépenses d'hospitalisation des bénéficiaires de l'AME est de 70 % contre un peu plus de 50 % pour l'ensemble des assurés sociaux.
Les dépenses liées à l'AME de droit commun se caractérisent par une augmentation continue et très soutenue - leur rythme d'augmentation est supérieur à celui des dépenses d'assurance maladie - et surtout par une absence totale de fiabilité des prévisions budgétaires. En pratique en effet, l'AME fait l'objet de sous-budgétisations récurrentes. En 2013, les dépenses exécutées se sont élevées à 744 millions contre une prévision de 588 millions d'euros en loi de finances initiale.
Pour 2015, les crédits ouverts au titre de l'AME de droit commun s'élèveraient à 632,6 millions d'euros - soit 82,4 millions d'euros de moins qu'en 2013 et 84,4 millions d'euros de moins que la prévision actualisée pour 2014 - alors que la dépense tendancielle est de 717 millions d'euros. Comme chaque année, le Gouvernement sera ainsi conduit à ouvrir des crédits supplémentaires dans le collectif budgétaire de fin d'exercice. Parallèlement, les restes à charge de l'Etat vis-à-vis de l'assurance maladie se cumulent : ils atteignaient 52 millions d'euros fin 2013.
La nécessité de renforcer davantage la maîtrise du dispositif de l'AME apparaît donc évidente. La révision du dispositif ne doit bien sûr remettre en cause ni la nécessité de protéger les personnes concernées en leur permettant l'accès aux soins préventifs et curatifs qui leur sont nécessaires, ni la capacité à éviter que des affections non soignées ne s'étendent au sein de la population.
Plusieurs ajustements ont déjà été entrepris. Je pense notamment à l'alignement progressif - et qui sera total à compter du 1er janvier 2015 - des modalités de tarification spécifiques à l'AME sur les tarifs nationaux appliqués pour les prestations en médecine, chirurgie et obstétrique (MCO).
Dans le même esprit, l'article 59 sexies du PLF pour 2015 aligne les délais de facturation des séjours des bénéficiaires de l'AME en établissement de santé sur ceux du droit commun. Selon les prévisions du Gouvernement, cette mesure se traduira par une économie pérenne de seulement 0,8 million d'euros à compter de 2016, après 7,2 millions d'euros en 2015.
Le dispositif prévu va donc dans le bon sens mais il est largement insuffisant et doit faire l'objet de mesures complémentaires. Je vous proposerai ainsi un amendement qui entend envoyer un signal responsable, par l'institution d'une contribution forfaitaire comparable à la participation plafonnée de droit commun à laquelle sont aujourd'hui soumis les assurés lorsqu'ils recourent à des soins médicaux.
Pour conclure et compte tenu de l'ensemble de ces considérations, les orientations budgétaires définies par le Gouvernement pour la mission « Santé » me paraissent appeler une position plus que réservée. Je vous propose donc de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de cette mission.