Intervention de Didier Robert

Commission des affaires sociales — Réunion du 19 novembre 2014 : 2ème réunion
Loi de finances pour 2015 — Mission « outre-mer » - examen du rapport pour avis

Photo de Didier RobertDidier Robert, rapporteur pour avis :

J'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui mon rapport pour avis sur les crédits de la mission « Outre-mer » pour 2015.

Si les rapporteurs se succèdent sur cette mission, la situation économique et sociale des outre-mer, elle, n'évolue malheureusement pas dans le bon sens. Tandis que le souvenir de l'explosion sociale de l'année 2009 tend à s'estomper dans l'hexagone, la persistance de la « vie chère », du chômage, des inégalités, des taux de pauvreté élevés est toujours une réalité dans les territoires ultramarins.

Le rapport présenté en juillet dernier par nos collègues Michel Vergoz et Eric Doligé, au nom de la délégation sénatoriale à l'outre-mer, a permis de rappeler que les économies ultramarines accusent aujourd'hui encore un net retard de développement par rapport à des territoires comparables de l'hexagone.

Face à cette situation, nous devrions semble-t-il - c'est en tous cas ce qu'indique le Gouvernement - nous estimer heureux que la mission « Outre-mer » soit l'une des rares dont les crédits ont été préservés, et seraient même en légère progression. Il est vrai que les crédits de paiement de la mission (qui s'élèvent à 2,06 milliards) devraient connaître en 2015 une hausse de 0,39 %. En prenant en compte l'inflation, il me paraît cependant plus juste d'évoquer une stabilité des crédits plutôt qu'une hausse proprement dite. Par ailleurs, rapportés à la population ultramarine, ces 6,73 millions d'euros supplémentaires ne représentent finalement que 2,46 euros par habitant !

Je pose, à ce stade, la question de la réelle prise en compte des réalités et des enjeux de chacun des territoires ultramarins par le Gouvernement, lorsque l'on sait par exemple que le chômage, pour ne retenir que ce seul indicateur, est deux à trois fois plus élevé outre-mer que dans l'hexagone. Il atteint ainsi le triste record de 59 % à La Réunion pour les jeunes de moins de 25 ans.

Les contraintes budgétaires et la nécessité de réaliser des économies à l'échelle nationale sont des dimensions qui doivent naturellement être partagées. Il me semble cependant que les retards accumulés dans chacun des territoires ultramarins auraient mérité la mise en oeuvre d'une politique plus ambitieuse, et surtout mieux ciblée.

S'agissant de la mission « Outre-mer », quatre sujets méritent de mon point de vue une présentation particulière.

En premier lieu, la compensation des exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane, de La Réunion ainsi que de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Avec 1,13 milliard d'euros, elle représente la moitié des dépenses de la mission. Je vous rappelle que cette dépense, que l'on pourrait qualifier de mécanique, a été recentrée l'an passé sur les bas salaires.

Il est à noter qu'elle se trouvera amputée à compter de l'année prochaine des crédits de l'aide à la rénovation hôtelière, qui représentait 3 millions d'euros en 2014 : c'est l'objet de l'article 57 du projet de loi de finances.

Si des critiques se font régulièrement jour contre les dispositifs d'exonération de cotisations bénéficiant spécifiquement aux outre-mer, et plus largement contre le dispositif de défiscalisation, je veux souligner et insister sur le fait que ces mécanismes sont absolument indispensables à la survie des économies ultramarines, et que ce sont là des leviers de croissance sans lesquels leurs résultats seraient encore plus catastrophiques qu'ils ne le sont à ce jour.

La compétitivité de ces territoires doit s'évaluer en effet par comparaison avec les pays et voisins régionaux, et non bien sûr par rapport aux standards nationaux ou européens. De ce point de vue, le coût de la main d'oeuvre ainsi que le niveau de la fiscalité des entreprises, constatés dans les pays de l'Océan Indien, du Pacifique ou des Caraïbes sont bien plus avantageux que ceux de nos territoires.

En second lieu, l'action retraçant les dépenses en matière d'aide à l'insertion et à la qualification professionnelle voit ses crédits de paiement augmenter légèrement, de l'ordre de 2 %. Cette progression devrait permettre d'atteindre en 2017 - et non en 2016 comme prévu initialement - l'objectif de 6 000 jeunes accueillis chaque année par le service militaire adapté (SMA).

Le SMA est un organisme de formation offrant aux jeunes ultramarins âgés de 18 à 26 ans, le plus souvent en situation d'échec scolaire ou en grande difficulté, la possibilité de bénéficier d'une formation de qualité.

S'il apparaît comme un outil d'affichage privilégié pour les gouvernements successifs, il ne saurait cependant constituer à lui seul l'alpha et l'oméga de la politique de formation professionnelle en outre-mer, en raison notamment du nombre modeste de jeunes concernés.

Ce sont en réalité les régions qui constituent, dans les territoires ultramarins, les principaux acteurs en matière de formation professionnelle et d'apprentissage, avec le soutien fort et constant des moyens mobilisés à travers le Fond social européen (FSE). Or, et comme l'ensemble des régions françaises, les collectivités ultramarines subissent fortement le désengagement marqué de l'Etat dans le financement de l'apprentissage, ce qui entraîne des conséquences beaucoup plus lourdes du fait de l'importance des effectifs concernés par cette politique générale.

J'en viens en troisième lieu aux crédits consacrés au logement, qui, après une hausse sensible de 8 % en 2014 et de 6 % en 2013, connaissent cette année une complète stagnation. Les crédits réservés à la résorption de l'habitat insalubre dans les Dom et à Saint-Pierre-et-Miquelon se voient quant à eux diminués de près de 15 % par rapport à 2014.

Alors qu'un plan pluriannuel pour le logement social outre-mer avait été annoncé en septembre 2014 par le Gouvernement, et tandis que la ministre affiche son « ambition pour l'habitat outre-mer », on peine à en trouver la traduction concrète et financière dans le budget qui nous est proposé.

J'ai interrogé la Dégéom sur ce point précis, qui m'a indiqué que la mise en oeuvre de ce plan ne mobilisera pas d'autres instruments budgétaires que ceux dont nous disposons déjà, à savoir la ligne budgétaire unique (LBU).

Surtout, de son aveu même, la réhabilitation du parc de logements anciens reposerait sur une éventuelle utilisation des « crédits restants » à la fin d'un exercice... Peut-on dans ces conditions véritablement parler d'une « ambition » pour le logement ?

La question est pourtant primordiale tant les besoins apparaissent immenses. L'écart entre le nombre de logements sociaux existants et la demande demeure en effet extrêmement important.

En Guyane, où 80 % de la population répond aux conditions de ressources exigées, on dénombrait ainsi près de 8 200 demandes pour un parc locatif social de 13 100 logements en 2012.

Selon le ministère des outre-mer, il faudrait construire plus de 20 000 logements chaque année pour répondre aux besoins de la population !

La situation est également critique du point de vue de la résorption de l'habitat insalubre. Plus de 150 000 ultramarins vivent dans 50 000 logements considérés comme insalubres. À titre d'exemple, 15 000 logements seraient concernés en Guadeloupe, tandis que 50 000 Mahorais vivent dans des cases en « non-dur ».

En dépit de cette situation alarmante, les réalisations de 2013 apparaissent très en deçà de celles de 2012. La construction de logements sociaux neufs est en diminution de 13 %, tandis que les opérations de réhabilitation connaissent une baisse de 37 %.

Je m'interroge en définitive sur la nécessité de faire porter la totalité de l'effort financier sur la construction de logements neufs, alors que tant de familles vivent dans des conditions indignes. En réalité, il faut poursuivre les efforts engagés sur le neuf tout en se donnant les moyens d'une politique coordonnée sur la réhabilitation de l'ancien.

Un dernier motif d'inquiétude provient de la diminution des crédits relatifs à l'aide à la continuité territoriale. Avec 41 millions prévus pour 2015, ils se voient en effet amputés de 10 millions par rapport à 2014, soit une baisse sèche de 20 %.

Cette action retrace principalement les crédits du fonds de continuité territoriale, qui recouvre plusieurs dispositifs : l'aide à la continuité territoriale (ACT), qui permet de financer une partie des titres de transports des résidents d'outre-mer entre leur territoire d'origine et l'hexagone ; le passeport mobilité études, qui permet aux étudiants du secondaire et de l'enseignement supérieur de suivre une formation dans l'hexagone ; enfin, le passeport mobilité formation professionnelle.

Ces aides sont gérées par l'agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom) pour les DOM, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Ces dispositifs constituent la traduction des principes d'égalité des droits, de solidarité nationale et d'unité de la République entre l'hexagone et des outre-mer caractérisés, par définition, par leur éloignement. Par nature, ils devraient donc être considérés comme universels et pouvoir bénéficier à tous dans les mêmes conditions.

Compte tenu de ces principes, la réforme proposée par le Gouvernement -qui porte exclusivement sur l'aide à la continuité territoriale, et qui consisterait à réviser à la baisse le montant des aides et à n'autoriser leur bénéfice qu'une fois tous les trois ans- ne me paraît pas acceptable.

Mon désaccord porte tout d'abord sur la méthode employée. Cette réforme importante a été décidée sans véritable concertation, au terme d'une simple réunion informelle au ministère, et qui tenait davantage de la présentation d'une idée déjà arrêtée que de la consultation des partenaires concernés.

En outre, à l'heure où nous devons voter les crédits de la mission et donc acter cette baisse de 10 millions, les contours de la réforme proposée sont encore flous. Le directeur de Ladom lui-même, qui sera pourtant directement chargé de sa mise en oeuvre, m'a d'ailleurs indiqué qu'il ne disposait d'aucune visibilité sur les modifications qui devraient être mises en place dès le 1er janvier prochain.

Désaccord sur le fond, ensuite.

Les crédits alloués par l'Etat sont déjà insuffisants aujourd'hui pour satisfaire la demande ; en Martinique, l'ensemble des crédits de l'année avaient ainsi d'ores et déjà été consommés au 15 juillet.

De ce fait, une part importante des aides (45 % pour l'année 2014, soit près de la moitié) est prise en charge par les collectivités territoriales ultramarines, qui partagent pleinement l'effort avec l'Etat.

En outre, les foyers les plus modestes sont parfois contraints de renoncer au bénéfice de l'ACT du fait de l'importance des restes à charge : ainsi, en Guyane, seulement 40 % des bons de continuité territoriale émis sont utilisés.

Face à cette situation, la Dégéom indique qu'il s'agirait de contenir une dépense qui serait, selon les termes employés, en « explosion » dès lors qu'elle est passée de 20 à 27 millions en trois ans pour la part supportée par l'Etat. Il me semble que pour des montants de cet ordre, et dans le contexte démographique et d'éloignement particulier des outre-mer, une augmentation de 7 millions devrait pouvoir être mesurée comme étant une augmentation relativement modeste.

Je le dis d'autant plus facilement que les montants alloués à la Corse au titre de la continuité territoriale atteignent 187 millions. Le traitement des territoires ultramarins est de ce point de vue véritablement inique.

Il l'est plus encore si l'on prend en compte le fait qu'il s'agit là d'une simple mesure de justice et d'égalité entre tous les Français, avec la possibilité pour chacun d'entre eux de pouvoir se déplacer le plus simplement possible sur l'ensemble du territoire national.

J'ai cependant conscience aussi que dans le contexte contraint des finances publiques, une augmentation notable des crédits de la continuité territoriale ne saurait être à l'ordre du jour.

Pour ces différentes raisons, je vous propose une solution a minima, qui consiste à simplement reconduire pour 2015 les crédits engagés par l'Etat au titre de la continuité territoriale à la hauteur de ceux qui avaient été prévus pour 2014. Ce ne peut être selon moi qu'une solution temporaire, en attendant peut-être la mise en place d'une véritable politique de continuité territoriale, qui devra nécessairement passer par une réelle évaluation du dispositif et la mise en oeuvre d'une démarche concertée et équilibrée d'un territoire à l'autre.

J'aimerais enfin souligner, comme l'ont fait plusieurs de mes collègues avant moi, que la confusion qui règne autour des dispositifs budgétaires dont bénéficie l'outre-mer rend leur évaluation très malaisée dans le cadre du débat parlementaire. Les crédits retracés dans la mission « Outre-mer » ne représentent en effet qu'une partie des politiques publiques conduites par l'Etat dans les territoires ultramarins, qui bénéficient par ailleurs de crédits transversaux portés par 83 programmes relevant de 25 missions.

Tels sont, monsieur le président, mes chers collègues, les principaux éléments que je souhaitais porter à votre connaissance au sujet de la mission « Outre-mer ».

Mes réserves, vous le constatez, sont nombreuses, et l'angélisme du Gouvernement dans la présentation des crédits de la mission outre-mer ne trompe personne. Si je comprends que ces crédits sont présentés dans un contexte budgétaire difficile, ils ne permettent cependant pas de prendre la juste mesure du rattrapage nécessaire dans les territoires ultramarins. Ils ne permettent pas davantage de poser les bases d'une politique ambitieuse et dynamique au service de l'emploi, et qui permettrait de parvenir à une véritable égalité des chances.

Sur le sujet particulier et sensible de la continuité territoriale, je vous propose un amendement qui permettrait de rétablir les crédits nécessaires au maintien du dispositif dans les mêmes conditions que dans la loi de finances initiale pour 2014. L'adoption de cet amendement serait un signe fort en direction des populations d'outre-mer, même si les autres grands sujets n'auront malheureusement pas été pris en compte avec suffisamment de réalisme et d'ambition.

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer », ainsi qu'à l'article 57 rattaché, sous condition du rétablissement des crédits relatifs à la continuité territoriale.

Je vous remercie.

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