Il n'y a pas à manifester de joie ou d'effusion particulière devant le budget qui nous est proposé, lorsque l'on parle de territoires dans lesquels 30 % de la population est au chômage. Dans l'hexagone, on est en état d'alerte quand le taux de chômage atteint 10 % ; mais n'oublions pas qu'il est trois fois plus important dans les outre-mer. Il atteint même 60 % pour les jeunes de moins de 25 ans à La Réunion, contre 25 % en France métropolitaine. La situation est d'autant plus alarmante qu'il s'agit là d'un chômage qui éloigne durablement de l'emploi, avec pour conséquence les effets déstructurants sur la société que nous connaissons tous.
Dans ce contexte, le Gouvernement n'a jamais indiqué qu'il était « heureux » des crédits proposés pour cette mission : il a simplement souligné que ce budget témoignait de la prise en compte de la situation délicate des territoires ultramarins. Au cours des dernières années, les crédits de la mission « Outre-mer » n'ont d'ailleurs pas cessé d'augmenter : + 5 % en crédits de paiement en 2012, + 2 % en 2013. Pour 2015, la stabilité du budget proposé signifie que les crédits ne sont pas diminution - lapalissade sans doute, mais la précision mérite d'être faite.
Parmi les sujets qui revêtent une importance particulière pour l'outre-mer, les questions de l'emploi et du logement - qui a à voir avec la notion de dignité - sont vitales. Le rapporteur a insisté sur un troisième sujet, celui de la continuité territoriale, qui le préoccupe personnellement. J'insiste sur un point : la continuité territoriale entre les outre-mer et l'hexagone, qui suppose la libre circulation des biens et des personnes, n'a jamais existé. La notion n'est d'ailleurs que récemment entrée dans le débat public, en 2003, lorsqu'une taxe sur les billets d'avion a été instaurée pour financer cette politique. Mais soyons sérieux un instant : on ne peut pas mettre en place une véritable continuité territoriale, avec des montants de cet ordre, pour des territoires éloignés de 8 000 kilomètres ! Pour les citoyens corses, qui sont cinquante fois moins éloignés de l'hexagone que les Réunionnais, la continuité territoriale représente 600 euros par habitant ; à La Réunion, elle n'est que de 11 euros. On ne parle donc pas de la même chose dans les deux cas ; dans celui des outre-mer, tout au plus peut-on évoquer une « aide à la mobilité », comme je l'avais déjà souligné dans mon avis budgétaire de 2012. J'y insiste car les mots ont un sens et l'emploi que l'on en fait peut contribuer à biaiser le débat.
Si votre rapport devrait concerner l'ensemble des Dom, le problème que vous évoquez ne concerne en fait que La Réunion, et plus particulièrement son conseil régional. La Guadeloupe ou la Martinique ne sont pas tombées dans la politique que vous mettez en oeuvre, qui consiste à financer les bons de continuité territoriale au-delà de l'aide dite simple, qui est payée par l'Etat. Ne nous demandez donc pas de prendre la responsabilité de votre propre turpitude.
Les crédits de l'aide simple ont déjà explosé au cours des trois dernières années. Au niveau national, les montants associés s'élevaient à 20,6 millions en 2011 ; ils atteignaient 28 millions en 2013. Dans ce contexte, la prétendue continuité territoriale que vous défendez ne doit pas mettre en péril les dispositifs d'aide à la mobilité qui existent pour les jeunes qui souhaitent étudier dans l'hexagone, et, de manière plus générale, pour les personnes qui désirent se former en dehors de leur département d'origine, dispositifs qui se trouvent préservés dans ce budget.
Par ailleurs, je ne suis pas choqué de ce que le Gouvernement souhaite mettre en oeuvre une modulation des aides accordées en fonction des revenus : il s'agit selon moi d'une mesure de justice sociale. Cette politique ne doit pas être celle du voyage pour tous, qui serait insoutenable !
S'agissant du logement, les montants de la ligne budgétaire unique (LBU) ont été sanctuarisés. Nous nous étions battus, il y a quelques années, pour préserver cette dépense (qui recouvre notamment les aides au logement social) et empêcher son remplacement par un dispositif de défiscalisation, qui ne saurait venir qu'en complément des actions entreprises par l'Etat.
J'en viens à la question de l'emploi. Il est bien évidemment impossible d'apporter une réponse définitive aux niveaux effarants de chômage qui gangrènent nos outre-mer. Mais il serait malhonnête de ne pas reconnaître que l'Etat tend fortement la main à ces territoires qui souffrent. Les mesures d'aide aux entreprises sont très importantes, notamment au travers de la défiscalisation ; le crédit d'impôt compétitivité-emploi y sera mis en oeuvre de manière particulière, avec un taux de 9 % dans deux ans et de 12 % pour les secteurs renforcés ; le crédit d'impôt-recherche (CIR) atteindra 50 % en outre-mer : il faut être capable de reconnaître ces avancées considérables.
J'ai conscience des efforts importants consentis par ce Gouvernement au titre de la solidarité entre les territoires, qui contribuent à remettre un peu d'espérance dans nos outre-mer. C'est pourquoi je ne veux pas donner l'impression à mes collègues hexagonaux de me comporter en enfant gâté : nous ne pouvons aller au-delà de ce qui est raisonnable et décent. L'outre-mer doit apparaître comme une richesse et une chance pour la France, et non au travers seulement de la main qu'il tend vers l'hexagone.