Lorsque j'emploie le terme « heureux » - et je crois en effet que personne ne peut l'être devant la situation économique de nos outre-mer -, je ne fais que reprendre l'autosatisfaction exprimée par la ministre elle-même, lorsqu'elle nous expliquait que, à titre tout à fait exceptionnel et dans un contexte budgétaire très contraint, le Gouvernement avait réussi à « tenir la barre ».
Il n'y a pourtant pas de quoi, en effet, se montrer satisfait du budget proposé en 2015 pour les outre-mer, tant au travers des crédits portés par cette mission que de ceux engagés au titre des politiques transversales de l'Etat. Je me contenterai de deux exemples à titre d'illustration. La défiscalisation, tout d'abord, apparaît de plus en plus comme un leurre, alors qu'il s'écoule souvent de deux à trois ans entre le moment de la délivrance d'un agrément et celui où un dossier est effectivement déposé. A La Réunion, nous avons ainsi dû renoncer en trois ans à près de 60 millions d'euros d'investissements hôteliers, en raison du retard avec lequel les agréments de Bercy nous sont parvenus : les affichages politiques ne se traduisent pas toujours concrètement. S'agissant ensuite de la formation professionnelle et l'apprentissage, tandis que le Gouvernement affiche son ambition en outre-mer au travers des maigres effectifs du SMA, il remet en question dans le même temps l'indemnité compensatrice pour l'ensemble des régions. Ce sont ainsi 60 millions d'euros qui ont été retirés aux régions dans le cadre du fonds de compensation pour l'apprentissage.
J'en viens à la continuité territoriale, car les chiffres sont têtus, mon cher collègue. Ils nous montrent tout d'abord que les montants engagés au titre de cette politique ont connu une diminution marquée en trois ans : elle représentait 55 millions d'euros en 2013, 51 millions cette année, et on nous propose 41 millions pour l'exercice à venir. Il est faux de dire, ensuite, qu'elle ne concernerait que le seul département de La Réunion. Avec un taux de population ayant utilisé un bon de continuité territoriale en 2013 de 64 pour mille, c'est bien la Martinique qui a le plus fort recours à l'ACT ; viennent ensuite La Réunion (54 pour mille) et la Guadeloupe (49 pour mille). Dans le même temps, un essor très important est constaté en Guyane et à Mayotte. S'il existe en effet des dispositifs majorés différenciés selon les régions, sur la base du volontariat, l'aide simple à la continuité territoriale accordée par l'Etat concerne donc bien l'ensemble des populations ultramarines.
Il est caricatural également de mettre en avant que des personnes à revenus élevés peuvent bénéficier de la continuité territoriale, comme l'a fait la ministre. De telles aides ne portent en aucun cas sur le budget alloué par l'Etat, qui est celui que nous examinons aujourd'hui. A La Réunion, l'intervention de l'Etat est ciblée sur les personnes ayant un quotient familial inférieur à 6 000 euros ; entre 6 000 et 11 000 euros, l'aide est prise en charge à la fois par l'Etat et par la collectivité régionale ; entre 11 000 et 26 000 euros, c'est la Région seule qui intervient, sur le fondement d'une politique qu'elle a elle-même décidée au bénéfice de la classe moyenne, et en tenant compte de la situation particulière de chacun des ménages. Deux tiers des personnes qui bénéficient d'une aide à la continuité territoriale ont un quotient familial inférieur à 11 000 euros. Les régions acceptent donc d'accompagner l'Etat sur un dispositif qui concerne leur population.
J'ai évoqué le cas de la Corse dans la présentation que je vous ai faite mais j'aurais également pu évoquer celui d'autres régions ultra-périphériques de l'Union européenne, comme les Canaries ou les Açores : pour les premières, l'Etat central intervient au titre de la continuité territoriale à hauteur de 190 millions d'euros par an, au bénéfice de tous les Canariens, et quel que soit le nombre de voyages, pour garantir une réduction du prix du titre de transport de 30 à 40 %. Il ne fait pas de doute que ces interventions contribuent à renforcer l'unité et la cohésion nationales ; celle de l'Etat français est pourtant très en deçà de ces montants, avec en plus une participation forte des collectivités régionales.
Ce que je demande aujourd'hui, ce n'est cependant pas d'aller plus loin - je suis bien conscient de la fragilité de nos finances publiques -, mais simplement de rétablir les crédits au niveau de l'année dernière, et d'engager une évaluation objective du dispositif, en lieu et place des décisions prises de manière brutale et unilatérale par le Gouvernement.
Un dernier point sur la question de l'emploi : le Gouvernement s'était engagé, pour le Cice, sur un taux de 12 % sur l'ensemble des secteurs, et selon un calendrier qui n'était pas celui qui nous est aujourd'hui présenté. Année après année, les engagements pris se trouvent rognés.