Dotée de 15,7 milliards d'euros en 2015, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » constitue l'un des principaux vecteurs d'intervention de l'Etat en matière de politiques sociales. Ses quatre programmes, de taille très inégale, couvrent des champs variés qui ont pour point commun la lutte contre l'exclusion sociale et la protection des personnes les plus vulnérables.
Le programme « Handicap et dépendance », qui devrait bénéficier de 11,6 milliards d'euros, soit une hausse de 1,4 %, regroupe près des trois quarts des crédits. Il a pour principal objet le financement de l'allocation aux adulte handicapé (AAH), pour un montant de 8,8 milliards d'euros, mais retrace également celui des établissements et services d'aide par le travail (Esat), à hauteur de 2,7 milliards d'euros, ainsi que la participation de l'Etat au fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), qui devrait s'élever à 66 millions d'euros. S'agissant de ces dernières, j'attire votre attention sur le fait que, si le Gouvernement prévoit une augmentation faciale des dépenses allouées par l'Etat au fonctionnement des MDPH, celle-ci n'est obtenue que grâce à un apport de 10 millions d'euros de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). En réalité, la dotation de l'Etat diminue d'un peu plus de 8 millions d'euros. Une telle mesure doit nous interroger : cette ponction sur le budget de la CNSA est-elle exceptionnelle ou marque-t-elle la première étape d'un désengagement de l'Etat du financement des MDPH ? Les conseils généraux prennent déjà en charge plus de 40 % de leurs dépenses de fonctionnement. Cette part est-elle amenée à s'alourdir dans les années à venir ?
Deuxième par la taille, le programme « Inclusion sociale, protection des personnes et économie sociale et solidaire », doté de 2,6 milliards d'euros, vient avant tout abonder le fonds national des solidarités actives (FNSA), qui est chargé d'assurer le financement de la partie activité du revenu de solidarité active (RSA). Le programme regroupe également des enveloppes de taille plus limitée, dont les principales sont destinées au financement des services chargés d'assurer la protection juridique des majeurs, pour un peu plus de 240 millions d'euros, ainsi qu'à la participation de la France au programme européen d'aide alimentaire, pour 32,6 millions d'euros. Il comporte également 4,7 millions d'euros de subventions destinées au secteur de l'économie sociale et solidaire, en diminution de près de 5 % par rapport à 2014. Cette évolution est paradoxale au regard de l'importance qu'accorde le Gouvernement au développement de ce secteur. J'estime par ailleurs que l'économie sociale et solidaire doit pouvoir pleinement trouver sa place au sein de la mission « Economie » du budget de l'Etat et qu'il est par conséquent contreproductif de maintenir certains crédits au sein de la présente mission.
En 2015, 2,3 milliards d'euros seront alloués au FNSA, soit quasiment quatre fois plus qu'en 2014. Cette hausse considérable des crédits est en réalité le résultat d'un changement dans le mode de financement du FNSA. Jusqu'à présent, celui-ci était alimenté par une fraction du prélèvement de solidarité sur les produits de placement et les revenus du patrimoine, l'Etat apportant une contribution d'équilibre dont le montant s'élevait à 595 millions d'euros en 2014. Le prélèvement de solidarité est désormais entièrement versé à la sécurité sociale et le FNSA est donc financé dans sa totalité par une dotation de l'Etat.
Il s'agit là d'une simplification bienvenue qui permettra de lisser la contribution de l'Etat, puisqu'elle ne dépendra plus des fluctuations d'une recette qui s'avérait volatile. Elle améliorera également la visibilité dont dispose le Parlement pour apprécier chaque année l'évolution des dépenses de RSA « activité ». Un financement complémentaire de 200 millions d'euros doit permettre de tenir compte de l'impact de la revalorisation exceptionnelle du RSA. Je regrette cependant qu'il soit issu de la contribution exceptionnelle de solidarité des fonctionnaires. Au final, l'année prochaine, 1,9 milliard d'euros seront consacrés par le FNSA au financement du RSA « activité », 26 millions d'euros à celui du RSA « jeunes » et 513 millions d'euros à celui de la prime de Noël.
D'une ampleur bien moindre, puisque ses crédits doivent s'élever à 25,2 millions d'euros, le programme « Egalité entre les femmes et les hommes » comporte essentiellement des subventions destinées à des associations agissant au plan national ou local. Au-delà de la reconduction annuelle de ces subventions, il apparaît difficile de voir se dessiner une stratégie d'ensemble au sein de ce programme, alors même que le Gouvernement s'est fixé des objectifs ambitieux en la matière. L'enveloppe allouée, après avoir augmenté d'un peu plus de 14 % en 2014, sera stable l'année prochaine. Pourtant, c'est à partir de l'action « Prévention et lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains », créée en 2014, que devrait logiquement être financé le volet accompagnement social de la proposition de loi relative à la lutte contre le système prostitutionnel. Or, à aucun moment, le projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances ne fait mention des dépenses supplémentaires qui pourraient être engendrées par l'adoption de ce texte.
Enfin, un quatrième programme regroupe des crédits de fonctionnement destinés aux ministères sociaux, à leurs antennes territoriales ainsi qu'aux agences régionales de santé (ARS). 1,5 milliard d'euros lui seront alloués en 2015, essentiellement pour financer les dépenses de personnel, ainsi que la modernisation des systèmes d'information dans les ministères sociaux. Le niveau des crédits se fonde sur un objectif de diminution du plafond d'emplois de 253 équivalents temps plein l'année prochaine.
J'en viens à quelques observations plus précises sur la mission. La première porte sur la sincérité des prévisions effectuées par le Gouvernement. Les crédits consacrés au financement de l'AAH et du RSA « activité » représentent à eux seuls 70 % du montant total de la mission. Notre commission est donc appelée à donner un avis sur une mission qui comprend, pour l'essentiel, des dépenses de « guichet » dont l'évolution tendancielle est, par définition, difficile à maîtriser. Quelle est cette évolution ? Les dépenses d'AAH ont connu une hausse continue au cours des dernières années qui devrait se poursuivre à l'avenir. Or, la sous-évaluation des crédits pourrait être d'environ 200 millions d'euros. S'agissant du RSA, le Gouvernement a fait le choix de revaloriser de 10 % le montant du RSA « socle » sur la durée du quinquennat, décision qui aura un impact indirect de 230 millions d'euros sur les dépenses de l'Etat au titre du RSA « activité » entre 2015 et 2017. D'autre part, nous savons que 68 % des bénéficiaires potentiels n'ont pas recours au RSA « activité », ce qui signifie que le niveau réel des dépenses est très largement inférieur à ce qu'il pourrait être. De la même façon, avec 7 882 bénéficiaires au mois de mars 2014, le RSA « jeunes » est loin d'avoir atteint ses objectifs. Or, comme l'a très justement souligné le rapporteur spécial de la commission des finances, le Gouvernement prévoit une hausse de 2,9 % des crédits de la mission sur la période 2015 à 2017, sans commune mesure avec celle de 7,9 % qui a été observée au cours des trois années passées. Ces éléments conduisent nécessairement à conclure au manque de sincérité des prévisions formulées par le Gouvernement dans ce projet de loi de finances.
Comment renouer avec la sincérité dans le contexte que nous connaissons de fortes contraintes sur l'évolution de nos finances publiques ? En engageant une réforme profonde des minima sociaux. Le 20 août dernier, le Président de la République a fait part de son intention de fusionner le RSA « activité » avec la prime pour l'emploi (PPE). Le projet de loi de finances rectificative pour 2014 prévoit bien de mettre fin au versement de la PPE, en 2016. Le Gouvernement vient d'annoncer la création d'une prime d'activité qui remplacerait la prime pour l'emploi et le RSA « activité » à partir du 1er janvier 2016. Cette prime devrait être réservée aux bas salaires et devrait bénéficier également aux moins de 25 ans. Elle devrait être versée chaque mois, aux personnes gagnant moins d'environ 1,2 fois le smic et selon les conditions de ressource du ménage. Toutefois les modalités précises restent à définir avec les parlementaires, en tenant compte du fait que, pour l'instant, le RSA n'a pas atteint ses objectifs en matière de retour à l'emploi, que la gestion administrative de la prestation reste très complexe et que les contrôles demeurent perfectibles. En 2012, les conseils généraux ont dépensé 7,2 milliards d'euros au titre du RSA « socle », soit 31,4 % de plus qu'en 2008. Lors du dernier congrès de l'Assemblée des départements de France (ADF), le Premier ministre a annoncé la création d'un groupe de travail qui aura notamment pour mission de trancher la question d'une éventuelle recentralisation de la prestation. J'estime qu'il s'agit là d'une piste qui doit être sérieusement étudiée, compte tenu de l'absence de marges de manoeuvre à la disposition des départements, qui les conduit à ne plus assumer qu'un rôle de guichets.
Dans le champ de la politique du handicap, la réunion du comité interministériel du 25 septembre 2013 avait suscité des attentes et des espoirs nombreux chez les acteurs du secteur. Les auditions m'ont permis de mesurer l'ampleur de leur déception. Les associations ont en particulier regretté que le rapport de Denis Piveteau, publié en juin dernier et qui formule un certain nombre des préconisations visant à éviter les ruptures de prise en charge des personnes handicapées, n'ait pas encore trouvé de traduction concrète. Pour ce qui concerne le fonctionnement des MDPH, nous savons qu'elles sont confrontées à une augmentation soutenue de leur charge de travail. Or des mesures de rationalisation pourraient aisément être mises en oeuvre afin de générer des économies de fonctionnement. Je pense en particulier à l'obligation qu'ont les MDPH de réexaminer tous les deux ans la situation des bénéficiaires de l'AAH dont le taux d'incapacité est compris entre 50 % et 79 %. Des améliorations substantielles pourraient également être apportées au fonctionnement des MDPH grâce à l'harmonisation de leurs systèmes d'information, sujet que traite le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement.
S'agissant des Esat, dont le financement repose entièrement sur l'Etat, je ne peux que relayer les craintes qui ont été formulées devant moi. La censure par le Conseil d'Etat en 2013 du niveau des tarifs plafonds fixés pour 2012 a mis en lumière les limites d'un système de tarification qui devrait être entièrement revu sur la base d'une véritable étude nationale de coûts. Une telle évolution apparaît indissociable d'une réflexion sur la place et le rôle des Esat dans les parcours de vie des personnes handicapées afin qu'ils puissent notamment, lorsque cela est possible, assurer pleinement leur mission de tremplin vers le travail en milieu ordinaire. A l'occasion de la semaine pour l'emploi des personnes handicapées, qui se déroule actuellement, nombreuses sont les associations qui font part de leurs inquiétudes sur cette question. Comme les années précédentes, le Gouvernement prévoit de maintenir la suspension du programme de création de places en Esat qui avait été lancé en 2008. L'objectif officiel est de concentrer les moyens sur la modernisation des structures. Or le montant total du plan d'aide à l'investissement s'élèvera à 2 millions d'euros l'année prochaine, soit une subvention moyenne d'un peu moins de 1 500 euros par établissement. L'effet levier sur l'investissement risque par conséquent d'être fort limité.
Plus globalement, je ne peux que vous faire part de mes préoccupations quant au manque de dispositifs adaptés pour accompagner les personnes handicapées vieillissantes. Comment former au mieux les professionnels chargés de les accompagner ? Quelles solutions de prise en charge mettre en place ? Dans quelle mesure les Esat, les maisons d'accueil spécialisées (MAS) ou les Ehpad peuvent-ils être des lieux de vie adaptés ? Autant de questions auxquelles, malheureusement, le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement n'apporte pas de réponses.
Au regard de ces observations, je vous proposerai de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » ainsi qu'à celle de l'article 60 qui lui est rattaché et vise à reconduire en 2015 le financement dérogatoire du RSA jeunes via le seul FNSA. Ma position se fonde sur les incertitudes nombreuses qui entourent cette mission - réforme du RSA « activité », financement des MDPH, réforme de la tarification des Esat, financement des mesures contenues dans la proposition de loi relative à la lutte contre le système prostitutionnel - ainsi que sur la certitude que, pour une grande part, les crédits qui lui seront alloués en 2015 s'avèreront insuffisants pour couvrir les besoins existants.