Je vous présente aujourd'hui les crédits du compte d'affectation spéciale « participations financières de l'État », dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015.
Au cours des deux exercices précédents, la commission avait approuvé à l'unanimité les recommandations que je lui avais soumises pour insuffler plus d'audace et de réalisme dans la gestion du portefeuille de l'État actionnaire. Cette année, constatant que le Gouvernement a affiché des intentions qui vont dans la direction que nous avons souhaitée, je me suis attaché à vérifier si ces annonces sont suivies d'effets. Par ailleurs, plusieurs opérations d'un montant élevé sont prévues pour 2015 et les années suivantes : elles prévoient de financer à hauteur de sommes importantes le désendettement de l'État et l'entrée au capital de grandes entreprises. Sur ces deux points, je crois utile de faire connaitre notre analyse afin, je l'espère d'éclairer et de réorienter les décisions finales.
La première partie de mon avis brosse un rapide tableau du portefeuille de l'Etat actionnaire et de la « boite noire » budgétaire qui lui est associée. Les documents budgétaires « bleus » et « jaunes » soumis au Parlement amènent, pour l'essentiel, deux observations.
Tout d'abord, la valorisation du portefeuille de l'État a progressé en 2014. En avril dernier, les participations cotées et non cotées dans 74 entreprises relevant du périmètre de l'État actionnaire représentaient 110 milliards d'euros, en progression de 36,5 % sur les douze derniers mois. On peut naturellement se féliciter de cette progression, mais, à y regarder de plus près, elle semble extraordinairement fragile car elle dépend essentiellement non pas d'une gestion active mais de l'évolution du cours de deux titres : EDF et GDF-Suez. Je rappelle que la participation dans EDF représente à elle seule la moitié du portefeuille coté et que son cours a doublé. La participation dans GDF--Suez en représente le quart. Voilà une raison supplémentaire de plaider pour une recomposition et une diversification de ce portefeuille avec des prises de participations dynamiques dans des ETI d'avenir dont certaines deviendront des champions nationaux.
Budgétairement, le compte soumis à notre approbation comporte des informations réduites au strict minimum. C'est une habitude bien ancrée et le Gouvernement justifie ce chiffrage nébuleux par le souci de ne pas donner d'indications aux marchés.
Pour 2015, à travers les données indicatives, on discerne tout de même un signal de poursuite des cessions. Je rappelle qu'en 2014, l'État a cédé des participations financières, pour un montant d'un peu moins de 2,2 milliards d'euros, avec deux principales opérations : la vente de 3,11 % du capital de GDF-Suez pour 1,5 milliard d'euros et de 1 % du capital d'Airbus Group pour 450 millions d'euros.
Sur le thème de la transparence budgétaire, les années précédentes, je vous avais signalé les observations de la Cour des comptes sur la transparence insuffisante des engagements relatifs à la défaisance du Crédit Lyonnais. Cette affaire est quasiment close puisque l'encours de la dette finale qui s'élevait à 4,5 milliards d'euros fin 2013, a été transféré à l'État pour remboursement en loi de finances rectificatives du 29 décembre 2013. En conséquence, l'article 26 du projet de loi de finances pour 2015 prévoit la dissolution de l'Établissement public de financement et de restructuration (EPFR). Reste aujourd'hui un danger important pour les finances publiques : celui de Dexia. Je suggère, cette année, de confectionner un indicateur pour mieux signaliser les risques sous-jacents au portefeuille de l'État actionnaire. Je rappelle que le risque Dexia est estimé à environ 17 milliards d'euros ce qui correspond, par exemple, à mille fois les crédits alloués au FISAC. On nous opposera vraisemblablement de nombreux arguments, mais à une époque où il arrive que le principe de précaution soit appliqué à des risques quasi imaginaires, et où nous consacrons parfois de longs débats à des enjeux de quelques millions d'euros, je crois qu'il serait rationnel et salutaire de construire un tel indicateur de risque. Que cette boite noire budgétaire n'envoie pas de signaux aux marchés, soit, mais je propose au moins qu'elle clignote pour rappeler l'existence de possibles bombes à retardement financières. La meilleure prévention des vrais risques, c'est de les évaluer pour mieux les anticiper.
J'en viens au second grand axe de mon avis : dynamiser la politique de cessions et d'acquisitions. C'est là une préoccupation constante que je vous soumets depuis deux ans et que l'on retrouve désormais dans le discours officiel. Encore faut-il passer des intentions aux actes et voici trois séries de propositions pragmatiques tirées de l'observation des actions menées par le Gouvernement au cours des derniers mois.
En premier lieu, je suggère le perfectionnement des méthodes de l'État actionnaire au niveau territorial. Tout doit partir d'une constatation : le soutien de l'activité sur nos territoires est une condition essentielle de la stabilité économique et politique de notre pays. Or l'intensification du recours aux cessions conduit aujourd'hui l'État à procéder à des appels d'offres portant sur des titres de sociétés jouant un rôle central au niveau local.
En m'appuyant sur l'exemple concret de la privatisation en cours de l'aéroport de Toulouse, j'ai attiré l'attention du Gouvernement sur le fait que les dynamismes territoriaux reposent sur des logiques spécifiques que l'État actionnaire doit prendre en considération pour ne pas les fragiliser. L'État doit, à mon sens, soigneusement différencier son approche, selon qu'il cède les titres de grandes entreprises, dont le capital est déjà très largement détenu par des non-résidents (19 des 36 entreprises du CAC 40 sont détenues majoritairement par des non-résidents), ou qu'il privatise un outil qui structure depuis près d'un siècle un bassin d'emploi.
De façon générale, comme en témoignent les documents budgétaires, l'État actionnaire est imprégné d'une tradition de confidentialité administrative, alors que l'économie de nos territoires tire sa force d'un élan commun qui implique une large concertation surtout si la privatisation concerne une entité économiquement et symboliquement fondamentale.
De façon plus précise, la méthodologie des privatisations d'entités locales me semble perfectible sur cinq points. Tout d'abord, le cahier des charges de la procédure de vente des titres ne doit pas fixer un délai trop bref qui prenne de court les acteurs locaux, régionaux voire même nationaux, moins rapides à se mobiliser que les opérateurs préparés à l'acquisition de cibles dans des secteurs bien particuliers. Dans le cas de Toulouse, l'appel d'offre a été lancé 11 juillet dernier avec moins de deux mois pour candidater à l'achat de 49,99 % du capital. Deuxièmement, dans l'appel d'offre, l'État doit rédiger avec soin les paragraphes relatifs aux possibilités de désengagement de certains actionnaires minoritaires locaux pour éviter des interprétations qui se révèlent par la suite contraire à la réalité. Troisièmement, l'État doit veiller à sécuriser la situation des industriels pour contrecarrer tout risque de délocalisation. Dans le cas de Toulouse, la privatisation soulève de légitimes interrogations sur l'évolution de la gestion des terrains où est implantée une industrie aéronautique qui est le poumon économique des bassins d'emplois territoriaux environnants. Quatrièmement, il me parait fondamental d'exiger des acquéreurs potentiels, au-delà du prix offert, des garanties de compétence technique, et de respecter l'engagement moral pris à l'égard du personnel. Je précise qu'en pratique, l'acquéreur d'une entreprise présente son plan stratégique de développement à 5 ans : c'est ce que nous attendons, car, dans le cas de l'aéroport de Toulouse, disposer d'une visibilité à moyen terme est fondamental puisque dans l'hypothèse d'une augmentation substantielle du trafic, les collectivités territoriales devront nécessairement investir pour prévenir la saturation des équipements publics. Pour garantir ce développement équilibré, il est donc hautement souhaitable que l'État et les collectivités conservent la majorité du capital, ce qui impliquerait que si l'État, en venait à céder ses parts à hauteur de 49,9 % du capital, il conserve sa participation résiduelle de 10,1 %. Enfin, compte tenu de la nécessité de désendetter notre pays tout en renforçant ses capacités de production de richesse, la question de l'allocation des recettes tirées de la privatisation d'une entité locale au développement économique du territoire concerné mérite d'être posée, et tel est le cas à Toulouse.
Ma deuxième proposition consiste à privilégier les acquisitions offensives. Concrètement, et dans l'immédiat, il faut se demander si l'acquisition de 20 % du capital d'Alsthom répond à cette stratégie. Rappelons qu'à l'heure actuelle, l'État n'a acheté aucune action Alstom. Il bénéficie simplement d'un prêt de titres par le groupe Bouygues en vertu d'un accord qui prévoit également la possibilité mais pas l'obligation pour l'État d'acheter un volume de titres pouvant représenter jusqu'à 20 % du capital d'Alstom. Au passage, j'observe que ce mécanisme assez complexe présente des avantages pour chaque partie au contrat : d'une part, Bouygues, en continuant à détenir les titres a conservé son droit au dividende et, d'autre part, l'État s'est donné un temps de réflexion.
Dans ce contexte, une question simple mérite à mon sens d'être posée au Gouvernement. Le 5 novembre 2014, le ministre de l'Économie a accordé son autorisation à General Electric (GE) pour son projet d'investissement en France avec Alstom et la constitution d'une alliance industrielle dans le secteur de l'énergie. Nous avons donc ainsi la preuve de l'effectivité du décret du 14 mai 2014, par lequel la France soumet l'acquisition d'entreprises nationales exerçant des activités stratégiques à l'engagement formel par l'acquéreur d'assurer la pérennité de ces activités, sous peine de sanctions. Ce bouclier réglementaire ne peut-il pas permettre de dispenser l'État de procéder à tout ou partie d'un achat défensif de titres dont le montant avoisinerait 1,6 milliards au cours actuel ? J'ajoute que certains observateurs ont jugé quasiment inutile l'entrée de l'État au capital d'Alstom compte tenu des joint-ventures dans lesquels General Electric a accepté d'entrer pour gérer le nucléaire, les turbines à gaz et les énergies renouvelables. À mon sens, compte tenu de la situation de nos finances publiques, il faut absolument réfléchir aux investissements alternatifs qui permettraient à des entreprises en pleine croissance de changer d'échelle et de s'internationaliser.
Pour prendre un peu de recul, je note qu'en elle-même, l'histoire d'Alcatel-Alstom est un révélateur de la relation État-industrie en France et de nos difficultés à développer des champions nationaux. Premièrement, nous n'avons pas la culture des grands conglomérats technologiques au même degré que les Allemands, les Coréens ou les Japonais. Nous avons démantelé les nôtres dans les années 1990-2000 en succombant à une mode, qui voulait que l'on privilégie les « pure players ». C'est d'ailleurs les conditions de ce démantèlement qui expliquent en partie les difficultés d'Alstom. Deuxièmement, nous n'avons pas en France suffisamment d'actionnaires de long terme. Notre industrie est passée d'un modèle colbertiste à un système de marchés financiers ouvert mais trop dépourvu de fonds de pension ou d'investisseurs institutionnels nationaux capables de gérer leurs portefeuilles dans la durée. Dans ce contexte, ne nous étonnons pas que la logique des « hedge funds » tende à s'imposer. Je rappelle que, dans les années 1970, les actionnaires d'entreprises moyennes conservaient fréquemment leurs titres pendant 30 ans alors que cette durée a chuté à 7 ans en moyenne aujourd'hui.
J'en viens à la problématique du désendettement et à ma suggestion dans ce domaine. Pendant longtemps, de 2008 à 2012, le programme de désendettement du compte spécial est resté inactif. Votre rapporteur vous avait suggéré de ne pas en demander la suppression et de reprendre les versements, pour témoigner de la volonté de la France de se désendetter. À présent que ce programme est réactivé, il me parait très utile de prendre position sur la manière dont il doit être alimenté. Je pars d'une comparaison simple : d'un côté, la dette publique atteint 2 000 milliards d'euros et la charge de la dette 44 milliards d'euros. De l'autre le portefeuille de l'État actionnaire avoisine 100 milliards d'euros et rapporte en dividendes à peu près 4,4 milliards par an. Autrement dit, ce portefeuille qui ne représente qu'un vingtième de la dette produit des revenus réguliers qui couvrent le dixième de la charge de la dette. On voit immédiatement que sauf cas d'extrême urgence, l'optimum ne consiste pas à céder les actifs les plus rentables de l'État pour solder sa dette.
Je suggère donc d'allouer en priorité au désendettement non pas le produit éphémère des cessions de titres de l'État mais plutôt les revenus réguliers qu'ils produisent. Cela doit permettre d'étoffer les participations de l'État tout en améliorant son potentiel de désendettement durable. Une telle démarche suppose, pour plus de clarté budgétaire, d'affecter au compte spécial les dividendes perçus par l'État alors qu'ils sont aujourd'hui reversés au budget général. Nous avons déjà formulé cette recommandation au cours des deux exercices précédents et il me parait opportun de revenir à la charge sur ce point.
Un dernier mot sur le dernier axe de mon avis : insuffler plus d'audace et de réalisme dans la gouvernance de l'État actionnaire. Ma conviction profonde, vous le savez, est que seule la participation de personnalités incontestables du monde industriel et économique est à même de garantir le succès de cette stratégie de dynamisation de notre économie et d'allocation de ressources aux projets les plus prometteurs. Lors de sa dernière audition par notre commission le 15 juillet dernier le ministre de l'économie, Arnaud Montebourg avait illustré, mieux que quiconque, l'idée qui sous-tend ce raisonnement. À propos des plans de la Nouvelle France industrielle, il a indiqué, je cite : « conçus et écrits par les industriels eux-mêmes, ces 34 plans sont d'une richesse incomparable. Leur origine les rend à la fois plus audacieux et plus réalistes que s'ils avaient été conçus par l'administration ou par le politique ».
Nous pouvons plus généralement rendre hommage à la conversion des ministres à l'entrepreneuriat, tout en faisant observer que si elle avait été plus précoce, le Gouvernement aurait pu éviter l'erreur qui consiste à déstabiliser - au moins médiatiquement - la fine fleur de nos dirigeants d'entreprise pour ensuite confirmer leur stratégie : tel a été le cas, de manière assez flagrante, dans les dossiers Alstom et Air France.
Il subsiste donc un sérieux problème de gouvernance de l'État actionnaire et, en ce qui concerne la désignation des quelques 761 représentants de l'État aux conseils d'administration, il me parait légitime de préconiser avec beaucoup de force la mise en place d'un calendrier précis avec des objectifs chiffrés de recours au vivier des industriels et des personnalités du monde économique.
Ces diverses observations démontrent que les intentions affichées par le Gouvernement se sont rénovées et qu'elles vont souvent dans la bonne direction même si elles n'ont pas été suivies d'un passage à l'acte toujours convaincant. Je vous suggère donc d'émettre un avis de sagesse sur l'adoption des crédits de ce compte de l'État actionnaire.
J'ajoute que je crains aujourd'hui le pire si nous ne mettons pas, au service des entreprises, des moyens suffisants pour accompagner leur développement et sécuriser leur capital. Il me parait également souhaitable, pour l'État actionnaire, d'acquérir et de conserver des participations rentables tout en affectant au désendettement les dividendes réguliers qu'elles versent.