Intervention de Richard Yung

Réunion du 19 novembre 2014 à 14h30
Débat sur l'action de la france pour la relance économique de la zone euro

Photo de Richard YungRichard Yung :

On préférerait qu’il y ait plus d’écologistes, c’est certain !

Ces conservateurs, donc, ont mis en place des politiques d’austérité assez brutales, qui ont limité la mise en œuvre de mesures budgétaires contra-cycliques permettant de sortir du cycle de non-croissance. Ces politiques ont d’ailleurs, depuis lors, été critiquées par le FMI, le Fonds monétaire international, et par l’OCDE. La zone euro continue de pâtir de l’absence d’une véritable coordination des politiques économiques.

Une contrevérité souvent entendue concerne les supposées réformes du marché du travail allemand, dites « Hartz ». La droite, qui aime beaucoup la politique menée par M. Schröder, nous cite toujours celle-ci comme un modèle de vertu. Chacun choisit ses socialistes comme il peut !

La réalité, c’est que cette politique a eu peu d’effet sur l’économie allemande. La réunification, soit 16 millions d’Allemands supplémentaires, puis l’ouverture aux pays de l’Est, avec le marché que vous connaissez, mes chers collègues, ont offert une chance extraordinaire à l’industrie allemande des biens d’équipement, qui a su profiter du moteur extraordinaire qu’ont représenté ces évolutions. Telle est l’histoire de la grande prospérité allemande.

Aujourd'hui, la zone euro est toujours en panne de croissance, même si certains pays tirent leur épingle du jeu. On nous parle de l’Irlande, mais en passant sous silence ses choix fiscaux !

La maigre reprise enregistrée à la fin de l’année 2013 s’étant essoufflée, les prévisions de la Commission européenne ont récemment été revues à la baisse. La croissance du PIB de la zone euro devrait péniblement atteindre 0, 8 % en 2014 et 1, 1 % en 2015.

Au troisième trimestre, l’économie française, avec une croissance située entre 0, 3 % et 0, 4 %, a été légèrement plus dynamique que l’économie allemande. Elle a été soutenue – si j’ose dire – par la consommation des ménages et la dépense publique. On le constate, l’action publique est importante. On pourrait demander à M. Gattaz, toujours prompt à donner des leçons, ce que font, en matière d’investissement, les entreprises pour participer à cet effort, alors qu’elles bénéficient d’une baisse des charges de 30 milliards d’euros à 40 milliards d’euros.

Conséquence la plus grave d’une croissance atone, le taux de chômage continue de plafonner à un niveau record, situé entre 10 % et 11 %.

Plus que jamais, la menace de la déflation plane sur la zone euro. Je n’évoquerai pas ce point, qui sera développé ultérieurement. Je dirai simplement que l’exemple du Japon, qui se traîne depuis quinze ans avec une croissance oscillant entre 0 % et moins 2 %, mérite d’être médité. On a vu hier les décisions drastiques prises par le Premier ministre Shinzo Abe : dissolution de l’assemblée – mesure de politique interne – et, surtout, relance de la consommation des ménages par une politique de soutien extraordinairement forte. C’est au moins le quatrième ou cinquième plan de relance japonais, les précédents n’ayant pas permis d’enregistrer des résultats.

S’ils ne veulent pas connaître le même sort que le Japon, les pays de la zone euro doivent relever deux défis majeurs : relancer la croissance et éviter la spirale déflationniste.

Un nouvel assouplissement de la politique monétaire est nécessaire. Depuis quelques mois, tous les regards se tournent vers Francfort. Bien qu’il s’agisse d’une institution non pas de la zone euro à proprement parler, mais de l’Union européenne dans son ensemble, même si les Britanniques y jouent un rôle modeste, la Banque centrale européenne – la BCE – a concentré l’essentiel de ses efforts sur la zone euro. Elle a déployé un arsenal de mesures destinées à relancer le crédit aux entreprises et à conjurer le risque de déflation. Son objectif est d’injecter 1 000 milliards d’euros supplémentaires dans l’économie de la zone euro. Je salue ce volontarisme monétaire, soutenu par la France.

L’offensive de la BCE a débuté au mois de juin, lorsqu’elle a abaissé son principal taux directeur et instauré un taux d’intérêt négatif. Ainsi, les banques paient désormais la Banque centrale européenne pour y déposer leurs liquidés. C’est tout de même un mécanisme qui mérite réflexion ! On préférerait d’ailleurs qu’elles prêtent cet argent aux entreprises, ce serait plus utile !

La BCE a aussi pris des mesures non conventionnelles, à commencer par le lancement d’un nouveau programme de prêts à long terme aux banques, ou LTRO, Long term refinancing operations, de 400 milliards d’euros. Gageons que cette initiative permettra de doper réellement le crédit. On se souvient que lors des deux précédentes opérations de refinancement à long terme, en 2011 et 2012, les liquidités amassées à faible coût par les banques avaient été lucrativement réinvesties dans des obligations d’État, certaines très rémunératrices. Un tel dispositif est peut-être bon pour le financement de la dette des États, mais, là encore, on préférerait que cet argent soit investi dans les entreprises.

Lors de la première injection de liquidités, les banques européennes ont demandé 82, 6 milliards d’euros. C’est décevant, puisque le double de cette somme était espéré. Toutefois, il y aura d’autres émissions d’ici à la fin de l’année qui seront, du moins je l’espère, plus soutenues.

Je constate par ailleurs que la BCE s’est timidement – oserai-je le dire ? – engagée sur la voie de l’« assouplissement quantitatif », technique utilisée par la Banque d’Angleterre, la Federal Reserve et le Trésor américain. Les choses ne sont pas comparables, pour de nombreuses raisons que vous connaissez, mes chers collègues. Le Trésor américain émet des bons du Trésor, que rachète la Federal Reserve, mais le marché est différent, puisque, aux États-Unis, l’essentiel du financement des entreprises se fait sur le marché financier, alors que dans notre pays il est opéré par les banques.

Afin de stimuler l’octroi de prêts aux PME, Mario Draghi a récemment lancé un programme de rachat massif de titres de dette adossés à des actifs, appelés ABS, et d’obligations sécurisées. Ce n’est pas du freinage, c’est au contraire une accélération, comparable à la titrisation. §La BCE pourra racheter sur les marchés des titres correspondant au compactage de créances bancaires : crédits à la consommation, prêts aux PME, prêts immobiliers. Les banques, qui verront leur bilan allégé, pourront ainsi accorder de nouveaux crédits.

Ce programme, qui pourrait porter sur quelque 160 milliards d’euros, vise à redynamiser le marché européen des ABS, actuellement au point mort. Je sais que la titrisation n’a pas bonne presse depuis la crise des subprimes de 2008, due à la titrisation abusive des banques américaines, en particulier dans le secteur immobilier. Mais il peut y avoir une « bonne » titrisation, que nous recherchons. À cet égard, j’estime que nous devons soutenir les efforts de la BCE pour recréer et redévelopper un marché européen de titrisation.

Ces mesures ont déjà contribué à faire chuter l’euro, qui vaut désormais 1, 24 dollar. Cette baisse est bienvenue. Les entreprises s’en félicitent, car cette diminution donne une bouffée d’oxygène aux exportateurs de la zone euro.

Un nouvel assouplissement de la politique monétaire s’avère donc nécessaire. C’est ce à quoi M. Draghi semble préparer les esprits, sous la pression du FMI et de différentes organisations, favorables au programme de rachat d’obligations souveraines. Les banquiers parlent toujours de façon extrêmement déguisée, fidèles à l’adage « si vous m’avez compris, c’est que je me suis mal exprimé. » Il faut donc décrypter les messages des banques centrales.

Au demeurant, c’est le seul moyen d’augmenter de manière significative le bilan de la BCE. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour rendre hommage à M. Draghi, qui a fait une sorte de révolution copernicienne de la pensée, de la doctrine et de la pratique de la BCE. Vous le savez comme moi, la Bundesbank, laquelle n’est pas le moindre des acteurs au sein du Conseil des gouverneurs, est tout à fait hostile à cette démarche. En la matière, M. Draghi a donc fait preuve de courage et de détermination.

Une autre option envisageable consiste à mettre en place un programme de rachat d’obligations privées. Je parlais auparavant des obligations publiques, de dette d’État. J’ai cru comprendre que le gouverneur de la Banque de France, M. Christian Noyer, était réticent sur ce point. Nous devons le convaincre de l’intérêt d’une telle opération pour la Banque centrale européenne.

Cela étant, il nous faut aussi donner plus de flexibilité à la politique budgétaire. Pour que les États de la zone euro puissent relancer la demande et l’investissement public, ils doivent bénéficier d’une certaine souplesse dans la conduite de leur politique budgétaire. Telle est la réalité. C’est ce message, parfois bien reçu, d’autres fois critiqué, que s’est efforcé de transmettre M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Et des pays comme l’Italie, notamment, peuvent suivre cette voie.

L’idée n’est évidemment pas de s’affranchir du respect des règles du pacte de stabilité et de croissance. On entend régulièrement parler de la barre des 3 % du PIB de déficit. Mais ce pourcentage date de 1992, des critères de Maastricht ! Il n’est donc pas nouveau ! Rappelons-nous d’ailleurs que, pendant une période, la France et l’Allemagne s’étaient mises d’accord pour ne pas le respecter ! Donc, on le constate bien, la flexibilité existe. Il faut réfléchir sur ces sujets…

En d’autres termes, le rythme de l’assainissement des finances publiques doit être adapté à celui de la mise en œuvre des politiques de relance et de lutte contre le chômage, élément principal. Car, au final, c’est la croissance qui permettra de résorber les déficits et les dettes publics. Je constate à ce propos que, aujourd’hui, l’OCDE et le FMI partagent cette conviction : que de chemin parcouru !

Je pense que nous devrions ouvrir un débat « franc et amical », comme l’on dit, avec nos partenaires allemands. Ceux-ci continuent à privilégier l’aspect « stabilité » du pacte au détriment de son aspect « croissance ». Récemment, le gouvernement de Mme Merkel a proposé de rendre plus contraignante la surveillance des budgets nationaux dans le cadre d’une négociation dite « politisée». Je ne sais pas exactement ce que cela signifie, mais on comprend que les discussions se déroulent en dehors de la Commission européenne, directement entre les gouvernements, et non entre la Commission et les gouvernements. L’intergouvernemental l’emporte donc encore.

Berlin a également évoqué des possibilités de sanctions. Je pense que nous devons discuter sérieusement avec nos amis allemands parce que cela ne va vraiment pas dans le sens de la politique que nous suivons.

La relance économique passe aussi par un renforcement de l’investissement.

Les Allemands ont fait un geste relativement important en la matière en mettant 10 milliards d’euros sur la table, comme l’a annoncé voilà quelques jours M. Schäuble. Ils pourraient sans doute faire plus. Néanmoins, cet effort est essentiel, tant pour l’Allemagne, qui souffre de sous-investissements – c’est une affaire intérieure allemande et il ne nous appartient pas de dire à notre partenaire que ses réseaux autoroutier et électrique sont quelque peu branlants –, que pour le reste de la zone euro. De surcroît, l’Allemagne a besoin de soutenir sa demande, d’autant que s’expriment dans ce pays des demandes fortes d’augmentation de salaire. Certes, il ne nous incombe pas de les soutenir.

Je me réjouis donc que le nouveau président de la Commission européenne ait repris l’idée de doter l’Union de nouvelles capacités financières, afin de relancer le cycle de l’investissement.

Le plan Juncker demeure encore flou à nos yeux. Deux questions doivent être tranchées : quels investissements seront financés par ces 300 milliards d’euros et quelles seront les modalités du financement ? Je ne développerai pas ce point, d’autres intervenants le feront ultérieurement, mais c’est un sujet marqué par l’urgence.

Évitons que ce plan ne fasse que recycler d’anciens projets, en matière énergétique ou autre, qui dormaient sans succès au fond des tiroirs. Il ne doit pas traîner en longueur : son financement ne doit pas rencontrer de difficultés. Il faut par conséquent trouver de l’argent frais et mobiliser des financements publics, afin d’attirer des investisseurs vers des projets prioritaires.

Pour ce qui concerne le financement en dette, on peut imaginer une mise à contribution de la Banque européenne d’investissement, dont il faudrait sans doute augmenter le capital. Mais le coefficient multiplicateur est assez fort en la matière, puisque pour atteindre 300 milliards d’euros de prêts sur trois ans, soit 100 milliards d’euros par an, il lui faudrait distribuer environ 30 milliards de prêts supplémentaires par an, ce qui nécessiterait une recapitalisation à due proportion.

Mais on peut aussi étudier la possibilité de développer les obligations liées à des projets déterminés – ce que l’on appelle les project bonds en anglais.

Une autre solution, dont on ne parle pas, mériterait d’être étudiée : la mobilisation du mécanisme européen de stabilité, le MES, dont la capacité de prêt est importante, de l’ordre de 450 milliards d’euros à terme. Or cet argent est inemployé. Les Allemands ne sont pas enthousiastes, arguant que ces fonds doivent justement servir à la stabilité. Mais, parallèlement, l’un des éléments de stabilisation est le retour à la croissance et à la prospérité. Je pense donc que l’on devrait aller dans cette voie.

Enfin, la relance économique nécessite un renforcement de la gouvernance.

Nous devons transformer la zone euro en véritable union politique, avec un président doté de responsabilités économiques et financières qui puisse impulser des initiatives en matière d’harmonisation fiscale. Car nous n’avançons pas du tout sur ce point, qu’il s’agisse de l’impôt sur les sociétés, ou de la taxe sur les transactions financières. §Nous devons aussi trouver des dispositifs permettant aux parlements d’être associés à ce travail.

Nous traitons aujourd’hui d’un grand sujet et j’espère que nos idées seront plus claires à la sortie de cet hémicycle qu’à notre arrivée. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion