Intervention de Fabienne Keller

Réunion du 19 novembre 2014 à 14h30
Débat sur l'action de la france pour la relance économique de la zone euro

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est sur l’initiative de nos collègues socialistes que nous discutons aujourd’hui de l’action de la France pour la relance économique de la zone euro. Il s’agit là d’un sujet capital. Toutefois, je dois vous avouer qu’il est à mon sens un peu trop tôt pour en débattre avec efficacité.

En effet, nous préemptons aujourd’hui le débat qui aura lieu le 10 décembre prochain, préalablement au Conseil européen. §Ce Conseil aura à se prononcer, dans un cadre qui sera peut-être quelque peu précisé d’ici là, sur le fameux plan de 300 milliards d’euros annoncé par M. Juncker. D’autres orateurs l’ont relevé avant moi : nous ne savons pas encore comment ce dispositif sera financé, dans quelles proportions il pèsera pour chacun des États membres, et quels seront, enfin, les principaux axes retenus.

Nous n’avons pas davantage d’informations quant au conseil franco-allemand, lequel est d’autant plus stratégique qu’il précédera le Conseil européen – il aura lieu le 1er décembre prochain.

Il est donc à mes yeux regrettable que la Haute Assemblée s’exprime sans pouvoir tenir compte de ces deux étapes importantes. C’est bien sûr le rôle du Parlement de parler, et c’est ce que je vais faire moi-même ! §Mais peut-être la majorité gouvernementale pourrait-elle veiller à ce que la parole ne se disperse pas trop.

Par ailleurs, à l’heure où la très légère reprise de la zone euro semble s’essouffler, le véritable sujet est de savoir quelle est la meilleure politique économique et d’assurer une bonne coordination à l’échelle européenne. À cet égard, je le dis franchement, je ne suis pas certaine que l’on puisse donner un satisfecit au Gouvernement. Nos débats sur les projets de loi de programmation des finances publiques, de financement de la sécurité sociale et de finances en attestent ou en témoigneront.

Monsieur le ministre, je suis obligée de vous le dire, la majorité de gauche s’est souvent trompée depuis 2012. La hausse de la fiscalité, pesant sur les entreprises comme sur les ménages, s’est faite à contretemps de nos partenaires européens. La majorité gouvernementale a porté atteinte à la confiance de nos entrepreneurs et de nos concitoyens

On en mesure aujourd’hui le résultat : malgré la hausse de la fiscalité, le rendement du recouvrement des impôts est en diminution d’une bonne dizaine de milliards d’euros cette année par rapport à vos prévisions. Voilà de quoi s’interroger sur le caractère contre-productif de votre politique !

Vous décidez ensuite tardivement de mettre en place un ersatz de TVA sociale ou de TVA anti-délocalisation, le CICE, dont vous commencez à vous rendre compte – nos débats le prouvent – qu’il fonctionne mal, puisque vous révisez à la baisse la provision budgétaire correspondante. Ce dispositif a suscité un effet d’aubaine mais reste inefficace en termes d’encouragement au recrutement.

Vous avez aussi compté sur le fait que la croissance mondiale tirerait l’économie française, ce qui vous dispensait, croyiez-vous, d’entreprendre des réformes nécessaires pour notre pays. Vous espérez aujourd’hui que les mesures du pacte de responsabilité et de solidarité auront un effet rapide. Ce n’est pourtant pas assuré.

Tout cela s’apparente à une véritable fuite en avant, monsieur le ministre !

Vous nous expliquez avoir découvert la gravité de la situation économique de notre pays, alors que plusieurs éminentes personnalités avaient déjà décrit la France comme étant au bord de la faillite.

Ce qui se passe dans la zone euro met en évidence les limites de vos choix économiques.

Ce sont en effet les pays qui ont courageusement, et parfois brutalement, choisi un ajustement rapide, dont l’économie redémarre : l’Allemagne, l’Espagne – c’était douloureux –, l’Irlande, ou encore le Portugal.

À cause de vos hésitations incessantes depuis plus de deux ans, votre stratégie a nourri le pessimisme et la prévention à investir. En conséquence, la France est en train de décrocher par rapport non seulement à l’Allemagne, mais aussi, désormais, à l’Espagne.

Votre marge de manœuvre est très étroite. Même la dépréciation de l’euro, dont un précédent ministre, M. Montebourg, était un fervent défenseur, est une option aléatoire. D’abord, elle ne se décrète pas, car la valeur de l’euro résulte de très nombreuses interactions ; ensuite, même si on l’oublie à force de payer l’essence toujours moins cher, un euro fort garde un effet positif sur les importations, dont le prix grimperait si cette monnaie s’affaiblissait.

Monsieur le ministre, le gouvernement socialiste a déjà épuisé le délai supplémentaire de deux ans octroyé par l’Union européenne à la France pour respecter les critères fixés. Vous l’avez consommé non pour rééquilibrer nos comptes, mais pour réduire beaucoup trop lentement la dépense publique, alors que notre niveau d’endettement continuait à augmenter. En choisissant de ne pas diminuer le déficit, vous hypothéquez l’avenir et vous nourrissez une longue période de croissance faible, voire de déflation.

L’échec de votre politique économique explique que le Gouvernement demande des investissements publics financés au plan européen. C’est d’ailleurs bien votre majorité qui évoque aujourd’hui une action pour la relance économique de la zone euro. C’est votre dernier mantra !

Mais ce chemin n’est pas aisé, et il peut se transformer rapidement en mirage. Une politique d’investissements publics, même transférée à l’échelle européenne, doit être pesée au trébuchet, si nous voulons qu’elle aboutisse vraiment à son objectif : créer des emplois.

Nous ne sommes pas en situation de dilapider l’argent public, fût-il européen. D’ailleurs, l’Europe ne s’endettant pas, l’argent européen est celui des pays membres, donc le nôtre. Certes, les taux d’intérêt étant bas, il est théoriquement aisé de trouver des investissements dont la rentabilité leur sera supérieure. Pour autant, s’agissant d’investissements publics, il faudra s’en assurer. En outre, il existe un risque réel si les taux d’intérêt venaient à remonter : la commission des finances estime qu’une hausse d’un point en 2017 coûterait 7, 6 milliards d’euros au budget national.

Ensuite, il vous faut convaincre nos partenaires européens. Vraisemblablement, les négociations aboutiront à un accord donnant-donnant et ces financements profiteront à des pays qui mènent une politique de réforme. Sur quoi le Gouvernement français va-t-il alors s’engager ?

Dans cette perspective, la relation que vous entretenez avec l’Allemagne paraît particulièrement ambiguë. Pourquoi exiger d’elle 50 milliards d’euros d’investissements ? Pourquoi ne pas essayer de comprendre les vrais impératifs qui s’imposent à nos voisins ?

Mes chers collègues, l’Alsacienne que je suis, amie de Wolfgang Schäuble, peut en témoigner : l’Allemagne doit composer avec une croissance potentielle affaiblie par un impressionnant vieillissement démographique, perceptible dans les villes de ce pays. Elle doit en outre faire face à une concurrence internationale plus affûtée, à des salaires réels qui augmentent plus vite que la productivité et, par conséquent, à un recul de la légendaire profitabilité de ses entreprises qui inquiète déjà les dirigeants de celles-ci. Enfin, même si la demande intérieure progressait plus vite en Allemagne, il n’est pas vérifié que les entreprises françaises en bénéficieraient.

Vous l’aurez compris, nous doutons de l’efficacité d’un plan de relance et nous nous demandons s’il ne serait pas préférable d’envisager de soutenir l’investissement, par exemple par une fiscalité favorable aux entreprises, harmonisée avec nos partenaires européens. Permettez-moi de vous le rappeler, tous prélèvements confondus, les impôts acquittés par les entreprises de taille intermédiaire – les ETI – et les PME françaises sont supérieurs de 60 % à ceux que paient leurs homologues allemandes.

Selon nous, si une politique de relance devait être mise en œuvre, elle ne pourrait que prendre la forme d’un soutien à l’investissement des entreprises, en visant un effet multiplicateur élevé de l’investissement privé. Un tel soutien ne pourrait être réalisé qu’en menant en parallèle les indispensables réformes du pays. Il devrait, enfin, être conçu comme un levier pour faire converger les économies européennes.

Ce n’est pas parce que les récentes informations relatives aux perspectives économiques de la zone euro sont plus négatives que celles du printemps que le Gouvernement est fondé à demander une politique de relance.

Le manque de croissance s’explique aussi par la permanence de nos déficits publics et par le fait que notre épargne est principalement canalisée vers le financement de la dette publique. La consolidation budgétaire demeure donc une étape déterminante, de même que la réforme de l’État et de l’action des acteurs publics.

Effectivement, quelle croissance peut-on bien espérer avec un niveau de dépenses publiques s’établissant à 57 % du PIB, un niveau de prélèvements obligatoires historique atteignant 44, 7 % du PIB cette année, et un niveau de dette qui va prochainement approcher les 100 % du PIB ?

Selon nous, monsieur le ministre, ce qui fera démarrer la croissance en France, c’est avant tout la confiance et la clarification de votre stratégie comme de la trajectoire de votre politique économique, de la politique fiscale et du prix de l’énergie ! §

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