Intervention de Gaëtan Gorce

Réunion du 19 novembre 2014 à 14h30
Débat sur l'action de la france pour la relance économique de la zone euro

Photo de Gaëtan GorceGaëtan Gorce :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis soixante ans, la France a fait le choix de l’Europe ; voilà quarante ans qu’elle en a fait son ambition. Elle y joue d’une certaine façon son influence, peut-être même son existence en tant que grande nation. C’est à travers l’Europe qu’elle conçoit son avenir politique et ses valeurs.

Elle n’en est que plus sensible à la situation dans laquelle l’Europe se trouve : de fait, l’Union européenne, particulièrement la zone euro, qui est sa pointe avancée, sont en panne, politiquement et économiquement. Cette situation nous conduit à nous interroger d’autant plus que nous ne pouvons pas ne pas mettre en relation les difficultés que nous rencontrons pour aller plus loin dans l’intégration européenne et celles que nous rencontrons pour relancer l’activité économique. En vérité, c’est très probablement parce que les responsables ne parviennent pas à articuler ces deux problèmes que nous nous heurtons aux difficultés actuelles.

L’histoire de la zone euro est marquée par une série d’erreurs d’appréciation – il est évidemment plus facile de les apercevoir rétrospectivement. Ainsi, ceux qui ont fondé cette zone ont pensé que l’uniformisation des marchés financiers et des taux d’intérêt permettrait d’égaliser les conditions du développement ; malheureusement, elle a plutôt favorisé la spéculation, notamment immobilière.

Ils pensaient aussi que le rapprochement des économies assurerait un développement équilibré des industries et une convergence des structures économiques. Nous savons que le contraire s’est produit, l’activité industrielle se polarisant au bénéfice de certaines régions et de certains États.

En d’autres termes, le processus dans lequel nous étions engagés n’a pas atteint les objectifs que nous en attendions. La crise est, pour une part, la conséquence de cette situation.

Du reste, tous ceux qui s’exprimaient sur le sujet voilà quelques années en étaient parfaitement conscients – il faut croire que l’urgence aiguise la lucidité –, puisqu’ils reconnaissaient que c’était un défaut de coordination et d’intégration qui expliquait le doute qui s’était installé dans les esprits sur la capacité de l’Union européenne et de la zone euro à répondre aux défis financiers et monétaires qu’elles avaient à relever. Pourtant, après qu’eurent été mises en place l’union budgétaire et l’union bancaire, qui certes ne sont pas rien, aucune nouvelle initiative n’est intervenue en matière d’intégration.

Comment ne pas voir une relation de cause à effet entre notre incapacité à avancer de manière suffisamment offensive sur le plan politique et une partie, sinon l’essentiel, de nos difficultés actuelles ?

Comment aussi ne pas comprendre l’attitude de l’Allemagne, en particulier sa méfiance actuelle envers de nouvelles évolutions, eu égard à la défiance que lui inspirent ceux qui sont normalement ses partenaires, et auxquels elle veut imposer des règlements qui sont autant de corsets que les opinions publiques et les peuples ne peuvent plus accepter ?

N’aurions-nous alors le choix qu’entre une Europe punitive et une Europe passive ? Il me semble, monsieur le ministre, qu’il faut sortir de cette alternative impossible, et que là est peut-être le rôle de la France.

En vérité, c’est la relance politique qui permettra la relance économique ! Chaque fois que, dans l’histoire de l’Europe, qui est étroitement liée à celle de la France, nous avons été confrontés à des difficultés, notre pays a pris l’initiative d’une relance politique ; il l’a fait à l’époque de Valéry Giscard d’Estaing et d’Helmut Schmidt, puis, à plusieurs reprises, sous la présidence de François Mitterrand, vis-à-vis de la Grande-Bretagne et vis-à-vis de l’Allemagne. Il doit le faire encore aujourd’hui.

C’est à la France de mettre sur la table, non seulement un plan de relance de l’activité économique, qui est indispensable, mais aussi un plan de relance politique de la zone euro, sans lequel nous n’arriverons pas à entraîner nos partenaires, ni à apporter des solutions durables aux dysfonctionnements de la zone euro et aux écarts structurels qui séparent nos économies.

En d’autres termes, il faut que nous mettions sur la table publiquement, et non pas simplement lors d’une négociation menée entre dirigeants à l’occasion de sommets, des propositions visant à la mise en place d’un fonds d’investissement destiné à soutenir l’activité, ainsi qu’à la consolidation politique de la zone euro autour d’objectifs qui doivent être acceptés par tous, en ce qui concerne non seulement l’endettement et le déficit, bien sûr, mais aussi la croissance et l’emploi.

C’est ainsi que nous pourrons à la fois redonner confiance aux opinions publiques, recréer de l’activité pour créer de l’emploi, ce qui est la clé de la confiance dans l’Europe, et assurer l’avenir de l’Union européenne, singulièrement celui de la zone euro. Mes chers collègues, je le répète : c’est la relance politique qui déterminera la relance économique !

J’entends bien que M. Juncker nous propose un plan de 300 milliards d’euros ; celui-ci peut paraître important et intéressant, et en effet il peut être utile, mais il est trop limité dans ses ambitions. Souhaitons qu’il soit mis en place rapidement, mais souhaitons aussi que nos gouvernements, et d’abord le Gouvernement français, sous l’impulsion du Président de la République, trouvent l’énergie et la volonté de proposer aux peuples européens un pas en avant dans le sens de l’intégration politique et démocratique, au service de la croissance et de l’emploi. Remarquez que je parle d’intégration démocratique : en effet, il n’est pas question que les parlements soient tenus à l’écart de cette évolution.

Je souhaite, monsieur le ministre, mes chers collègues, que nous empruntions ce chemin, pour assurer un avenir à l’euro en faveur duquel nous avons fait un choix décisif voilà quelques années. Cet avenir n’est pas seulement celui des technocrates, des experts et des financiers ; il est celui de nos économies, de notre industrie et de nos emplois, et par conséquent de notre démocratie.

L’avenir de la France passe sans doute par l’Europe, mais, si nous voulons que l’Europe lui permette de se réaliser, nous devons retrouver une ambition pour elle. La France sera de nouveau digne d’elle-même si elle propose à ses partenaires un chemin plus ambitieux que celui qu’elle a choisi d’emprunter aujourd’hui !

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