Intervention de Vincent Capo-Canellas

Réunion du 20 novembre 2014 à 15h00
Loi de finances pour 2015 — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Vincent Capo-CanellasVincent Capo-Canellas :

Madame la présidente, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, la discussion du projet de loi de finances ne peut être isolée des choix globaux du Gouvernement et de la situation de notre économie.

M. le ministre des finances et des comptes publics nous a dit tout à l’heure qu’il s’adaptait à la conjoncture, notamment à l’inflation et à la croissance. Il aurait pu dire « à la faible inflation » et « à la quasi-absence de croissance ». Mais la question du bon réglage est légitime. Chaque gouvernement est confronté à ce dilemme : fixer le bon dosage, le bon « mix » entre réduction des déficits, désendettement, réformes structurelles et stimulation de la croissance.

Vous défendez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, une vision équilibrée d’un budget qui, en affichage, contient les déficits tout en préservant le pouvoir d’achat et la croissance. Je ne partage pas votre optimisme, que je crois de façade.

Sur le pouvoir d’achat, il suffit de rappeler l’intense fiscalisation à laquelle vous vous êtes déjà livrés. Notre rapporteur général a excellemment, ce matin, rappelé les chiffres. Ce budget contient trop de non-choix et de mauvais réglages qui donneront, demain, de mauvais résultats.

Mauvais résultat pour notre déficit, qui restera sensiblement au même niveau en 2015 qu’en 2014, soit aux alentours de 75 milliards d’euros.

Mauvais résultat aussi pour les dépenses publiques, qui atteindront plus de 57 % du PIB l’année prochaine, malgré la réduction des dépenses. C’est le paradoxe de ce budget : les dépenses sont réduites, mais le déficit augmente.

Mauvais résultat encore pour la dette, qui, compte tenu de cette augmentation du déficit, poursuivra son inexorable progression. L’endettement devrait atteindre plus de 97 % du PIB l’année prochaine et mettre ainsi en péril notre souveraineté. Or il est vital de préserver notre souveraineté budgétaire pour préserver notre modèle social.

Ces réglages et ces résultats sont mauvais, car nous sommes déjà, nous le savons, sous la surveillance de Bruxelles, et l’on nous annonce pour demain une situation encore pire. À terme, nous risquons la tutelle des marchés financiers.

Le Président de la République lui-même reconnaît qu’il n’y a plus de marges fiscales...en 2015 ! Salut au-delà du 31 décembre, péril en deçà, pourrait-on dire, tant la créativité fiscale est sans limite. Mais même des membres du Gouvernement le contredisent...

Mauvais réglage, surtout, car la croissance n’est pas là. Et lorsqu’elle pointe, c’est à tout petits pas. Nous détruisons encore des emplois. Un scénario de stagnation paraît probable, indiquent les économistes. Celui d’une décennie perdue se dessine.

La France, me direz-vous, ne se distingue pas forcément du reste de l’Europe s’agissant de la croissance. C’est oublier qu’elle s’en distingue, malheureusement, par ses déficits et sa dette. C’est déjà beaucoup !

Ce diagnostic posé, je voudrais dire un mot des réformes structurelles, ou plutôt de leur absence.

Comme le dit le gouverneur de la Banque de France : « Le rythme des réformes est insuffisant. Pourtant, il y tant de choses à faire. »

On peut polémiquer sur le mot « rabot », communément employé, ce qui est d’ailleurs un hommage au beau métier de menuisier. Mais ce qui est sûr, c’est que vous vous trouvez contraints d’ajuster les crédits à la marge. Ceux concernant les collectivités sont une cible facile, et là, vous dépassez allègrement la marge.

Certes, ce n’est pas nouveau : vous faites, comme beaucoup de gouvernements avant vous, le choix de la facilité. Vous repoussez indéfiniment les réformes qui s’imposent et attendez, soit que la croissance vienne – mais viendra-t-elle ? –, soit que vos successeurs prennent les mesures nécessaires au redressement du pays. C’est peut-être plus sûr… Mais, ce faisant, vous ne créez pas les conditions de la croissance. Or les réformes structurelles sont la croissance de demain.

Vous faites trop peu, trop tard, et vous agissez contradictoirement. Pour une mesure favorable à la compétitivité, deux vont à contre-courant. Le cap n’est pas lisible. Cette politique à la godille n’est plus tenable, et de nombreux clignotants sont au rouge.

Nous ne pouvons plus ne pas affronter la réalité.

Avec 1 % de la population mondiale, nous produisons 3, 7 % de la richesse mondiale et concentrons 15 % de transferts sociaux. Même si ces chiffres sont à manier avec précaution, car il existe des biais statistiques, la réalité est là : la France dépense trop.

Le poids du secteur public est trop important. La modernisation de l’action publique est indispensable pour rendre l’État plus efficace, plus performant et moins coûteux. Ce qui est fait ne suffit pas. Je ne dis pas que rien n’est fait, ni que les décisions du Gouvernement ne vont pas parfois dans le bon sens, mais il faut aller plus vite et plus loin. Il faut repenser le périmètre de l’État et définir les missions qui restent de sa compétence.

Bien sûr, c’est une décision difficile, qui a souvent été reportée : il faut maintenant passer à l’action. La suppression de 1 200 équivalents temps plein travaillé, comme le prévoit ce projet de budget, même si elle s’impose, ne peut tenir lieu de réforme de l’État. Une politique plus offensive est nécessaire, notamment dans le domaine des ressources humaines, y compris en attirant plus encore des talents susceptibles de nous aider à penser la réforme et la réorganisation de l’État. J’y insiste : c’est par une véritable politique des ressources humaines que l’État se réformera. Pour la penser, il faut des talents. Or ceux-ci aujourd'hui fuient l’État.

Parmi les réformes structurelles envisageables, il en est une que le groupe centriste prône depuis des années : c’est la restauration de la compétitivité, en taxant plus les produits importés par la TVA pour financer nos charges sociales. Évidemment, cela appelle une augmentation de la TVA.

Monsieur le secrétaire d'État, vous avez stigmatisé ce principe, tout en augmentant la TVA après avoir juré que vous ne le feriez pas. Il est vrai que cette réforme a été escamotée par le gouvernement précédent, qui l’a engagée mal et trop tardivement sous l’ancienne majorité. Cette TVA compétitivité permet d’affronter la question du coût du travail et de rendre de la compétitivité à nos entreprises.

L’augmentation des coûts salariaux et son absence de lien avec la productivité constituent un autre sujet structurel que nous devons affronter, même si ce n’est pas facile.

Dans notre pays, les coûts salariaux augmentent plus que la productivité. Par conséquent, nous devenons plus chers, et trop rapidement, ce qui handicape nos entreprises sur les marchés extérieurs. C’est un problème majeur pour notre pays. Je mesure combien il est délicat, mais il faut en prendre conscience et inverser la tendance.

Plus largement, nous devons entreprendre les réformes structurelles que nos voisins, eux, ont engagées : réforme du marché du travail, redéfinition du périmètre des interventions et des missions de l’État – j’en ai parlé –, réforme de l’assurance chômage, réforme de la protection sociale... Ce sont là des enjeux essentiels.

Je tiens à souligner la façon dont la nouvelle majorité sénatoriale a abordé ce projet de budget. Nous aurions pu choisir de réécrire totalement ce projet de loi de finances pour 2015. Il y aurait eu beaucoup de raisons à cela, je viens d’en évoquer plusieurs.

Toutefois, compte tenu du délai assez court entre le renouvellement sénatorial et l’examen de ce texte, ainsi que du cadre contraint de la discussion budgétaire, nous avons préféré le dialogue avec l’exécutif, si celui-ci le veut bien, et avec l’Assemblée nationale. Le président Larcher a annoncé dès son élection que la Haute assemblée examinerait l’ensemble du projet de budget. C’est dans cette perspective que nous nous inscrivons en proposant au Gouvernement et à l'Assemblée nationale des améliorations à ce projet de loi de finances pour 2015, dans l’intérêt du pays.

Il est positif que le Sénat joue pleinement son rôle. Cela montre aussi que le débat politique peut porter sur des propositions concrètes et ne se réduit pas uniquement à des postures.

La commission des finances, sur l’initiative de son rapporteur général, a, dans un climat très constructif et après un dialogue fructueux entre les groupes de la majorité, adopté une série d’amendements aux dispositions réalistes.

Je retiendrai ici quelques-unes de nos priorités.

Premièrement, le solde budgétaire a été amélioré d’un milliard d’euros, grâce à des économies réelles, notamment la réduction du nombre de créations de postes, y compris dans l’éducation nationale, promesse présidentielle intenable dans le contexte budgétaire actuel. Compte tenu de notre déficit, il faudrait aller plus loin dans l’amélioration du solde budgétaire, mais, dans le cadre contraint de la discussion budgétaire, nous nous contentons de montrer la voie à suivre au Gouvernement.

Deuxièmement, nous accomplissons un effort de justice en matière de fiscalité, en augmentant le plafond du quotient familial, mais aussi en réformant la décote du barème de l’impôt sur le revenu.

Troisièmement, dans un souci d’équité entre les Français, nous rétablissons la journée de carence, qui permet, là aussi, de réduire le déficit budgétaire par des recettes supplémentaires.

Quatrièmement, nous favorisons l’investissement dans les PME par des efforts de compétitivité.

Cinquièmement – et ce n’est pas la moindre des mesures proposées –, si nous reconnaissons qu’il est normal que les collectivités locales participent à l’effort de réduction des dépenses, nous proposons une meilleure appréciation de leurs efforts en minorant la réduction des dotations à hauteur de 1, 2 milliard d’euros, ce qui correspond aux coûts liés aux transferts et aux normes imposés par l’État, selon l’estimation de la Commission consultative d’évaluation des normes. Les dispositions de l’amendement proposé présentent un double intérêt : réduire d’un tiers la baisse des dotations et installer un principe qui, demain, pourra s’appliquer utilement aux transferts de charges aux collectivités.

Sixièmement, et enfin, le budget de la mission « Défense » est clairement insincère. Nous faisons tous le constat que la fiction « la loi relative à la programmation militaire, toute la LPM, rien que la LPM » a vécu. Je tiens à conclure en soulignant ma très grande préoccupation sur ce point. §

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