Intervention de Annie David

Réunion du 16 octobre 2007 à 16h15
Société coopérative européenne et protection des travailleurs salariés — Adoption d'un projet de loi

Photo de Annie DavidAnnie David :

Ce sont bien des grands patrons qui sont accusés d'avoir profité de leurs informations pour céder à prix fort leurs actions et empocher au passage de fructueuses plus-values. Et tout cela sur le dos de l'État et de la Caisse des dépôts et consignations, mais surtout des quelque 4 000 salariés affectés par le plan Power 8 et licenciés pour compenser la mauvaise gestion et les petits arrangements de ces dirigeants ! De « petits arrangements entre amis », pourrait-on dire...

Les sociétés coopératives, dont certaines sont très fructueuses - je pense notamment à ANDOM ou à Chèque Déjeuner -, nous démontrent que l'on peut être à la fois puissant, concurrentiel et internationalement reconnu, tout en rejetant la règle fondamentale du capitalisme financiarisé, à savoir la recherche du profit pour le profit. Le cas de telles entreprises prouve que le véritable problème de fond réside non pas dans la question des bénéfices - elles en dégagent d'ailleurs d'importants -, mais bien dans l'utilisation qui en est faite et dans les moyens qui sont retenus pour en réaliser. Il s'agit là d'une autre logique que celle dans laquelle vous voulez nous entraîner, monsieur le ministre, et c'est tant mieux.

Je ne reviendrai pas sur le sujet, mais je tenais à signaler ce point, car le système coopératif est à mille lieux des comportements que je viens de dénoncer.

Aujourd'hui, le mouvement coopératif représente 21 000 entreprises en France et 288 000 entreprises en Europe. Autant dire qu'il y avait effectivement besoin de doter ces sociétés des moyens nécessaires à leur développement. Cela correspond aussi à 700 000 emplois en France. L'économie sociale et solidaire, dont font parties les sociétés coopératives, est en pleine expansion, allant jusqu'à représenter 10 % du PIB. Le secteur devient donc un élément incontournable pour notre pays.

Les sénatrices et sénateurs du groupe CRC ne sont pas hostiles, par principe, à la création d'une société coopérative européenne. Ils considèrent au contraire que ce pourrait être un moyen de renforcer, de pérenniser et de développer la forme coopérative en France comme en Europe, en permettant notamment la création de filiales transfrontalières. De la même manière, ce pourrait être un outil nouveau pour faciliter la transformation de sociétés classiques en sociétés coopératives.

Telle n'est cependant pas l'orientation du projet de loi, qui est également à la peine s'agissant des droits des salariés.

En effet, on distingue quatre grandes familles de coopératives : les coopératives d'usagers, les coopératives d'entrepreneurs ou d'entreprises, les banques coopératives et les coopératives des salariés.

Si le projet de loi pourra sans aucun doute s'appliquer sans aménagement aux trois premières catégories que je viens d'évoquer - la transposition de la directive concernée est d'ailleurs fortement attendue par les actrices et les acteurs des secteurs concernés -, cela semble plus contestable pour les coopératives de salariés, autrement appelées les sociétés coopératives ouvrières de production, ou SCOP, qui sont régies par la loi du 19 juillet 1978.

La spécificité des SCOP est connue et reconnue : il s'agit de permettre aux salariés d'être toutes et tous des décideurs en étant en quelque sorte copropriétaires de leur société. À la fois salariés et détenteurs de parts sociales, ils participent à la prise de décision, à la gestion et à l'organisation de leur outil de production.

Vous en conviendrez, une telle conception autogestionnaire de l'entreprise est bien éloignée du modèle libéral dominant, qui préfère l'investissement financier ou boursier à la participation des salariés.

Mais les SCOP se différencient aussi grandement des autres familles coopératives. S'il est indéniable que les mêmes principes de solidarité, de proximité, d'équité, de transparence et d'indépendance sont largement partagés, le principe fondateur de démocratie revêt une conception particulière au sein des SCOP.

En décidant de s'inspirer très largement des statuts de la société européenne, le législateur européen a méconnu une telle spécificité. Au nom sans doute de l'équilibre et de la recherche du consensus, il n'a pas cherché un mécanisme susceptible de correspondre aux réalités de toutes les formes de coopératives.

Monsieur le ministre, en décidant de transposer la directive dans une rédaction que M. le rapporteur a lui-même qualifiée de « stricte », vous avez perdu l'occasion de valoriser ce texte en reconnaissant la spécificité des SCOP. Plus que d'une transposition stricte, il s'agit d'une transposition a minima, peu ambitieuse. Au final, il manque à cette transposition une section entière destinée aux SCOP et à leurs spécificités.

J'y reviendrai à l'occasion de la discussion des articles, mais les règles de la société européenne, qui vous ont inspirées, sont, pour les SCOP, soit insuffisantes soit contradictoires. Je me demande même pourquoi une société coopérative ouvrière de production, attachée à la participation de ses salariés et à une vision décidément très moderne, bien qu'ancienne, de la démocratie sociale, aurait envie de se transformer en SCE. C'est bien dommage.

Cette directive et son projet de transposition ne sont donc pas à la hauteur de l'ambition d'origine, à savoir faire de la France, qui a pourtant été un acteur incontournable dans l'élaboration du dispositif, le fer de lance du développement des sociétés coopératives et, d'une manière plus générale, de l'économie sociale et solidaire en Europe.

C'est une occasion perdue, et cela nous fait craindre le pire pour l'examen futur du second texte, qui est toujours en préparation. Curieusement, celui-ci sera débattu ultérieurement et de manière déconnectée de notre discussion actuelle, alors même qu'il ne sera pas possible de créer une SCE avant son entrée en vigueur !

Quant à la seconde directive, là encore, je reste perplexe.

Vous affirmez vouloir permettre à des salariés, membres de l'Union européenne mais exerçant leur activité sur le territoire français, de bénéficier, en cas de défaillance de l'employeur, du paiement par l'association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés de salaires dues à son salarié par l'employeur devenu insolvable.

Comme vous pouvez l'imaginer, mes chers collègues, les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne sont pas opposés à cette idée, bien au contraire. Toutefois, la question du financement se pose inévitablement, et vous n'y répondez pas. Je reviendrai d'ailleurs ultérieurement sur ce point.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen défendra, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi, cinq amendements qui semblent pouvoir être adoptés par toutes et tous, sur les travées de cet hémicycle, tant ils sont de bon sens. Leur adoption subordonne le vote de mon groupe en faveur de ce texte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion