Le Sénat dispose évidemment de toutes les lumières souhaitables en matière juridique. Nos avis ne sont pas publiés, je m'en tiendrai donc nécessairement à la loi. Mais depuis quelques années, nos rapports publics révèlent - avec l'aval du Gouvernement - une large part de nos avis, qu'ils soient rendus sur des questions ou sur des textes.
Le pouvoir réglementaire des régions est inscrit dans la Constitution. Si une question se pose, elle ne concerne donc que les modalités. Il nous arrive de refuser la mention du pouvoir réglementaire des régions dans un texte de loi : nous le faisons au motif qu'elle est inutile, ou qu'elle peut entraîner la nécessité d'ajouter la même précision pour les autres collectivités. Les gouvernements ont parfois du mal à entendre cette position, mais le Conseil d'Etat est adverse à la répétition des dispositions constitutionnelles dans les lois.
Ce pouvoir réglementaire se manifeste de mille manières : par exemple, dans un avis rendu sur une proposition de loi de simplification des normes, déposée par le sénateur Doligé, nous avons affirmé qu'une disposition donnant au président du conseil général le pouvoir d'adapter les critères d'agrément des assistants maternels ne se heurte à aucun principe de valeur constitutionnelle. La décision du Conseil constitutionnel de 2002 sur la loi relative à la Corse énumère les conditions dans lesquelles le législateur peut détailler les modalités du pouvoir réglementaire d'une collectivité territoriale. Il n'est ni originel ni autonome comme celui de l'article 21 de la Constitution. Notre avis de 2002 précise que c'est au législateur de moduler le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales, matière par matière et au cas par cas. C'est une autre raison pour laquelle nous sommes réticents à le voir mentionner dans la loi. Ce pouvoir réglementaire ne s'exerce que pour les compétences des collectivités territoriales et sous réserve du respect des grands principes du droit. Lors du vote de la loi constitutionnelle de 2003, un amendement qui introduisait la réserve des collectivités territoriales à l'article 21 de la Constitution n'avait pas été adopté. Dans l'exercice de leur pouvoir réglementaire, les collectivités territoriales doivent respecter le principe d'égalité. Une collectivité peut exonérer les entreprises de certains impôts, mais dans un but général et en fonction des différences objectives de son territoire, comme l'a déclaré le Conseil constitutionnel le 20 avril 2012.
La loi module au cas par cas le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales : le RSA est entièrement défini par l'État, les exonérations d'entreprise, non. Notre avis du 15 novembre 2012 insiste sur la nécessité de bien articuler le pouvoir réglementaire d'une collectivité territoriale avec celui du Premier Ministre comme avec celui des autres collectivités territoriales. Lorsque le Gouvernement agit sur la base de l'article 37 car il n'existe pas de loi, il ne peut pas définir les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent agir : seul le législateur peut le faire. Nous avons affirmé en mai 2013 que celui-ci doit préciser les conditions dans lesquelles l'exercice du pouvoir réglementaire par une collectivité territoriale peut encadrer, coordonner ou influencer le même pouvoir réglementaire d'une autre collectivité territoriale, dans le cadre de schémas en particulier.
Les collectivités territoriales peuvent fixer les modalités d'application de la loi dans les limites de leurs compétences. Elles peuvent aussi compléter les orientations nationales, comme le précise l'article L 1311-1 du code de la santé publique. Elles peuvent même les adapter, comme notre avis de 2012 l'a laissé entendre, à condition que le législateur en ait ouvert cette voie. Le Conseil constitutionnel comme le Conseil d'État ont admis qu'une collectivité territoriale peut devenir chef de file sur une compétence donnée, ce qui donne à son pouvoir réglementaire une prééminence sur celui des autres collectivités territoriales. Le même avis envisage les cas dans lesquels le silence du législateur peut être interprété comme reconnaissant le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales, dans le champ de leurs compétences.
Le schéma régional prescriptif est un mode d'expression fréquent du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales. Il peut avoir l'ambition de traduire la clause de compétence générale de la collectivité territoriale qui l'élabore. Avec les schémas d'aménagement régionaux, nous ne sommes pas loin de la clause de compétence générale... Si cette clause est supprimée, la question se simplifiera : chaque schéma traitera la compétence de la collectivité territoriale qui l'aura élaboré.
Nous avons dans notre rapport sur le droit souple dénoncé l'enchevêtrement des schémas et les expressions telles que « tenir compte de », « s'inspirer de », « être compatible avec » ou « être conforme à ». Pour dissiper ces perplexités, nous avons produit quelques lexiques illustrés - ce qui est toujours mauvais signe... La prescriptibilité des schémas régionaux frise la tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre. Le Conseil d'État a donc, par précaution, demandé que soit substitué le terme de compatibilité à celui de conformité et, en cas de doute, a recommandé l'approbation par le préfet, non pour rétablir une tutelle de l'État mais pour introduire un tiers médiateur.
Notre rapport public de 2011, en sa page 389, rappelle que le Conseil d'État a estimé que le principe d'égalité faisait obstacle à l'adoption de dispositions spécifiques à la région Île-de-France en matière d'intervention foncière : tout écart au principe d'égalité doit être justifié. Nous avons validé - comme le Conseil constitutionnel - la théorie du chef de file, qui crée une faille dans le dogme de l'égalité absolue des collectivités territoriales : l'interdiction de la tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre ne fait pas obstacle à ce que le législateur organise les conditions dans lesquelles des collectivités peuvent exercer en commun certaines de leurs compétences. Toutefois, le Conseil constitutionnel a estimé le 9 décembre 2010 que l'institution du conseiller territorial, dans les formes qui lui étaient alors présentées, était une tutelle de la région sur le département. L'avis que nous avons rendu en juin 2011 sur le schéma corse a imposé que ce soit l'État qui définisse l'échelle et le degré de détail du schéma.
La clause de compétence générale est décrite dans certains traités de droit administratif, par Yves Jegouzo ou par Jean-Marie Pontier (dans son article Mort ou survie de la clause générale de compétence) comme un mort-vivant qui ne se porte pas trop mal... Nous ne voyons pas plus d'objection à son maintien qu'à sa suppression : c'est une question d'opportunité. En principe, la compétence relève de la loi. Sans méconnaître l'article 34 de la Constitution, qui réserve au Parlement les principes fondamentaux des compétences des collectivités territoriales, un article a été introduit dans le code général des collectivités territoriales pour rendre possible un transfert de compétences entre régions et départements. Certes, les collectivités territoriales n'ont pas la compétence de leur compétence, mais à travers les transferts, les délégations et les renvois, elles s'en approchent ! Le Conseil d'État s'en est ému, et a affirmé que la compétence des collectivités territoriales ne relève pas de délégations ou de contrats entre elles. Sur ce point, le Conseil constitutionnel s'est montré plus ouvert que le Conseil d'Etat - ce qui est rare. Du coup, nous ne bloquons plus des suppressions de clause de compétence générale assorties d'un rattrapage par délégation. À titre personnel, j'en reste cependant à notre position initiale.
La clause de compétence générale est supprimable, comme l'a affirmé le Conseil constitutionnel le 9 décembre 2010. Mais il n'est jamais question de la supprimer pour les communes ! Comme il est de tradition chez nous, nous prévoyons des amortisseurs à la réforme, en veillant à ce que la suppression de la clause de compétence générale ne dénature pas la collectivité territoriale, en l'assouplissant par des délégations ou des transferts, en ouvrant la possibilité de prendre toute compétence qui n'a pas été affectée à une autre collectivité territoriale et en conservant de multiples compétences partagées : le tourisme, la culture et le sport sont réputées être des compétences insécables.