Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 21 novembre 2014 à 14h30
Loi de finances pour 2015 — Article liminaire

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, même si cet article est, somme toute, relativement formel et ne présente qu’une portée normative assez réduite, il importe, à notre sens, de formuler quelques observations sur son contenu.

L’article liminaire n’est pas une simple vue de l’esprit et s’apparente en effet au résumé des orientations de la politique budgétaire de la Nation, telle qu’elle est aujourd’hui définie, entre autres comme produit des conséquences du traité européen dit « TSCG », le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance.

En la matière, une observation s’impose d’emblée. Nous avons connu, sur les années 2013 à 2015, une relative stabilité de notre déficit, due autant au maintien de notre déficit structurel à un niveau relativement élevé qu’à la persistance d’un déficit conjoncturel aussi important.

À la vérité, ces chiffres n’ont pas beaucoup de sens en eux-mêmes, puisque, comme nous l’avons déjà indiqué, les modèles macroéconomiques utilisés pour définir les trajectoires des finances publiques dans les pays de la zone euro sont imparfaits et inopérants, en ce sens qu’ils n’intègrent qu’assez peu les données essentielles que sont le nombre de personnes privées d’emploi, le gaspillage de capital humain et sans doute matériel qui en découle, ou encore l’impact profond du mouvement de réduction des recettes fiscales organisé depuis plusieurs décennies maintenant.

Devons-nous mettre en exergue, mes chers collègues, une donnée intangible ? Nous présenterons en 2015 un déficit des comptes publics compris entre 4 % et 4, 5 % du produit intérieur brut marchand, alors même que la part des recettes de l’État est passée, entre 1982 et aujourd’hui, de 19, 5 % à 14, 4 % du PIB.

Quatre points ou quatre points et demi de déficit d’un côté, cinq points de moins de l’autre, ne cherchez pas plus loin la source des déficits publics : c’est cette course au moins-disant fiscal et social qui a exténué, comme une sorte de guerre d’attrition, les économies européennes depuis trente ans et conduit désormais la zone euro sur la voie du déclin, au nom de l’épargne des retraités allemands, notamment, et de la bonne santé de nos compagnies d’assurance.

Ce sont des politiques ineptes qui sont aujourd'hui imposées aux États.

Le TSCG, ne l’oublions pas, a été conçu comme l’instrument de règlement de la dette publique des États de la zone euro et, de fait, plus rien d’autre ne compte aujourd’hui.

Il faut réduire les dépenses publiques non pas pour faire des économies ou rendre un meilleur service public à moindre coût, comme on l’entend parfois pour justifier des coupes claires opérées dans les budgets publics, mais bel et bien pour payer cette rente perpétuelle que constitue désormais la dette publique.

Peu importe en la matière que, d’ores et déjà, certains titres de dette publique ayant atteint leur maturité puissent courir jusqu’au milieu du XXIe siècle et au-delà ; le tout est que les efforts de la collectivité des salariés consommateurs contribuables tendent à rendre profitable le placement judicieux que constitue le marché obligataire…

Le problème, c’est que cette politique a ses limites. Dans un entretien paru récemment, les économistes Jean-Christophe Le Duigou, militant syndicaliste issu de la CGT, et Denis Ferrand, directeur général de Coe-Rexecode, l’organisme d’analyse économique rattaché au MEDEF, tombent d’accord, il faut le souligner, pour reconnaître que les politiques de réduction de la dépense publique ont coûté au minimum, depuis plusieurs années, de cinq dixièmes à un point de croissance annuel de PIB et que, de fait, la perspective de la réduction des déficits est devenue parfaitement illusoire.

Ils appellent tous deux à une nouvelle croissance ainsi définie : « C’est tout un mode de croissance qu’il faut mettre en cause en donnant une place nouvelle au travail, à l’environnement et aux activités productives. Le “retour au réel” passe par la reconnaissance de ces trois priorités. C’est dans cette direction, et non dans l’austérité généralisée, qu’il peut y avoir une solution à la crise de la dette. »

Et de nous rappeler, au cas où nous serions amenés à croire que la solution résiderait dans la seule gestion fiscale et budgétaire des affaires publiques, la chose suivante : « La crise actuelle met en exergue le besoin d’une nouvelle stratégie de développement social et économique qui suppose que l’on s’interroge sur l’organisation du financement de l’économie. »

Je crains, nous craignons que nous en soyons encore assez éloignés avec ce projet de loi de finances pour 2015.

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