Intervention de Annegret Kramp-Karrenbauer

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 25 novembre 2014 : 2ème réunion
Nouvelle organisation territoriale de la république — Regards croisés franco-allemands sur l'organisation territoriale avec mme annegret kramp-karrenbauer ministre-présidente du land de sarre et m. peter friedrich ministre du land-de bade wurtemberg chargé du bundesrat des affaires européennes et internationales

Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre-présidente du Land de Sarre :

Nous n'avons pas la même conception de l'État. L'Allemagne fédérale a toujours eu une structure décentralisée : les Länder sont l'ossature de la République. Il n'est pas faux de parler de « mythes » : 90 % des parents allemands vous diraient qu'ils préfèrent le système d'éducation centralisé à la française. Or les Länder ont les compétences de la politique scolaire, de la gestion de la police et d'une partie de celle de la justice. Il en résulte une concurrence entre Länder, du fait notamment que les structures scolaires ne sont pas partout les mêmes. Près de 60 % des écoliers de Sarre apprennent le français, mais ne retrouvent pas cette possibilité s'ils déménagent, par exemple, en Rhénanie-Palatinat. L'équivalent allemand du baccalauréat varie d'une région à l'autre. L'étude Pisa a révélé les difficultés qui découlent de ces disparités. La perception des problématiques varie d'un Land à l'autre - à l'exception de la formation en alternance : l'administration fédérale contribue à son organisation, en coordination avec les employeurs et les syndicats, afin de définir les différents métiers et les contenus enseignés. C'est un aspect de notre système qui fonctionne très bien. L'enseignement supérieur est, lui, du ressort des Länder, même si l'État fédéral s'est beaucoup engagé, ces dernières années, dans le domaine de la recherche et si la Loi Fondamentale a été modifiée en ce sens. Les Länder débattent actuellement d'une extension de cette coopération à l'enseignement secondaire.

En matière de sécurité intérieure, seule la police aux frontières relève de l'État fédéral. L'administration de la justice dépend elle aussi largement des Länder. La coopération avec l'État s'est cependant améliorée dans ce domaine comme dans celui de l'éducation. Les cadres des forces de police suivent des formations communes et nombre de tactiques sont développées en commun. Des effectifs peuvent, en cas de besoin, être détachés d'un Land à l'autre.

Les finances des Länder présentent d'importantes différences. La Sarre, région industrielle, a été rattachée tardivement à l'Allemagne, si bien que les sièges de ses grands groupes se trouvent plutôt au Bade-Wurtemberg, qui perçoit l'essentiel des recettes fiscales. Un système de péréquation est donc nécessaire, tant entre Länder qu'entre échelon fédéral et régional. C'est une pierre d'achoppement de nos négociations.

Le développement de notre économie bénéficie de certains programmes européens ; les Länder en pilotent d'autres. La Sarre s'attache à les concerter pour en obtenir le meilleur impact. Nous souhaitons pouvoir proposer des zones industrielles à des prix intéressants afin de soutenir les entreprises qui créent des emplois.

La question des infrastructures est d'actualité : outre les autoroutes, construites et entretenues par l'État, les projets des Länder concernant leur propre réseau routier sont annoncés dans le cadre de plans de transport. Nous avons également besoin d'infrastructures numériques établissant des connexions rapides, notamment grâce à la fibre optique : c'est un argument important pour attirer les entreprises.

La coopération transfrontalière a fait en quelques années des progrès considérables, même si des difficultés surgissent parfois lorsque nous traitons avec des régions autonomes. Le sommet des grandes régions européennes peut être une occasion d'étonnement : nous ne savons pas toujours qui, parmi les représentants de différentes institutions françaises, est notre véritable interlocuteur. Ils ne sont d'ailleurs pas toujours d'accord entre eux, ni bien au fait des intérêts qu'ils défendent.

Le droit à l'expérimentation doit être défini en adoptant le point de vue des citoyens. Certains habitants de la Sarre se rendent quotidiennement en Moselle ; pour eux, le passage transfrontalier est une réalité bien plus concrète que l'État fédéral : Paris est plus proche que Berlin. Mes concitoyens aspirent à une bonne qualité de vie, à un accès facile aux emplois et à la sécurité, sans obstacle aux frontières. Les policiers français doivent pouvoir poursuivre un malfaiteur en Allemagne, avec leurs armes, sans autorisation spéciale ; un malade doit pouvoir accéder aux urgences de l'hôpital le plus proche, même s'il se trouve de l'autre côté de la frontière.

La formation en alternance est l'un des aspects concrets du phénomène transfrontalier. Près de 8 % des jeunes de Sarre sont au chômage et, du fait de l'évolution démographique, six cents places d'apprentis n'ont pas été pourvues. La Lorraine elle, compte plus de 20 % de jeunes chômeurs. Une convention cadre permet désormais aux jeunes Français de suivre une formation en alternance dont la partie pratique se déroule en Allemagne, tandis que les cours ont lieu en France. L'inverse est proposé aux Allemands. Si les divers aspects administratifs ont été réglés, des obstacles culturels subsistent dans les esprits. Les parents français restent réticents à l'égard de la formation en alternance, en dépit d'exemples de réussite : je me suis rendue en janvier dernier dans la première section franco-allemande d'un lycée professionnel qui forme des mécaniciens de l'avionique. Elle a attiré de nombreux élèves parce que la partie française a organisé un concours de recrutement, chose impensable en Allemagne car synonyme d'élitisme. Notre ambition est de créer un réseau de lycées professionnels franco-allemands, notamment dans le domaine social et paramédical. Une action concertée en ce sens, notamment avec la Lorraine dont nous partageons beaucoup d'intérêts, a davantage de chances de réussir. Les éducateurs, comme les personnels soignants de part et d'autre de la frontière, devraient être formés ensemble. La difficulté sera évidemment d'adapter l'apport allemand aux spécificités françaises.

Certaines de nos entreprises qui apparaissent comme de grands groupes à l'étranger sont pour nous des petites et moyennes entreprises (PME), même si elles emploient plusieurs milliers de salariés. Elles sont les véritables moteurs de l'innovation qui permet à l'économie allemande de progresser. La Sarre compte ainsi plusieurs producteurs d'équipement minier qui, dans le passé, réalisaient 90 % de leur chiffre d'affaires en Rhénanie-Westphalie ou en Sarre, et 10 % à l'étranger. Cette proportion s'est inversée : la technologie de cette industrie est désormais exportée vers les mines colombiennes ou chinoises, pour un chiffre d'affaires annuel de 260 millions d'euros concentré dans une PME familiale qui n'est pas cotée en bourse. Voilà l'intérêt d'être plus novateur et plus flexible : les PME forment un tissu économique plus résistant aux crises que quelques grands groupes.

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