J'ai choisi de consacrer mon rapport pour avis à un aspect particulier de la politique en direction des PME, à savoir l'accès des PME à la commande publique. L'incidence budgétaire et fiscale de cette politique est faible, mais son importance économique est considérable, puisque la commande publique représente quelques 80 milliards d'euros par an.
C'est le rôle notamment de la direction des affaires juridiques et de la direction générale des entreprises du ministère de l'Économie de mettre en place de règles destinées à éviter l'exclusion de fait des PME et d'impulser un travail pédagogique en direction des acheteurs publics et des fournisseurs privés pour qu'ils maîtrisent mieux les règles de l'achat public et qu'ils en exploitent mieux les nombreuses possibilités.
On observe à cet égard une grande continuité de l'effort dans l'action des gouvernements successifs depuis le milieu des années 2000. En témoigne le travail pour réformer les procédures de passation des marchés publics et les rendre non pénalisantes pour les PME.
La version 2006 du code des marchés publics comporte à cet égard de nombreuses avancées. Les marchés publics sont en effet désormais en principe allotis. L'article 28 institue une procédure dite « adaptée », applicable lorsque leur valeur du marché est inférieure aux seuils de procédure formalisée. Ses modalités sont librement fixées par le pouvoir adjudicateur, qui peut négocier avec les candidats sur tous les éléments de l'offre. La procédure dite des « petits lots » prévue par l'article 27 du code permet par ailleurs de recourir aux procédures adaptées pour l'attribution des lots inférieurs à 80 000 euros pour les marchés de fournitures et de services et à 1 000 000 euros dans le cas des marchés de travaux. Enfin, certains marchés publics peuvent également être attribués sans publicité ni mise en concurrence en dessous de certains seuils. Le seuil de dispense a été relevé de 4 000 à 15 000 euros par un décret du 9 novembre 2011. S'agissant de la sélection des candidatures, l'article 45 du code dispose que les capacités professionnelles, techniques et financières doivent être proportionnées à l'objet du marché. Les PME peuvent enfin, en application de l'article 51 du code, utiliser la technique du groupement d'entreprises et ainsi additionner leurs capacités professionnelles, techniques et financières - possibilité qu'elles exploitent rarement.
L'adaptation des règles de la commande publiques aux contraintes de fonctionnement des PME se poursuit. Le projet de loi de simplification de la vie des entreprises va permettre de transposer les deux directes relatives aux marchés publics entrées en vigueur le 17 avril 2014. Parmi les avancées, on peut relever :
- l'allègement du dossier de candidature par la substitution d'attestations sur l'honneur à certains justificatifs ;
- la limitation du chiffre d'affaires exigible au double du montant estimé du marché sauf justification ;
- le recours à l'allotissement, déjà obligatoire en France, qui permettra aux PME françaises de se positionner plus facilement sur les marchés publics de nos partenaires européens ;
- la mise en place d'une procédure de partenariat d'innovation. Le pouvoir adjudicateur pourra recourir à une procédure négociée par phases incluant le développement et l'acquisition d'un produit, d'un service ou de travaux nouveaux et innovants, sans avoir à procéder à une passation de marché distincte pour l'acquisition -dès lors que le marché porte sur une innovation, c'est-à-dire un produit, une solution ou un processus qui n'est pas disponible sur le marché ;
- la reconnaissance explicite de la possibilité de recourir à des critères sociaux et environnementaux en mettant en avant le cycle de vie des produits, ainsi que l'expérience et les qualifications du personnel ;
- l'obligation de rejeter une offre anormalement basse qui ne respecterait pas la législation sociale environnementale ou du travail ;
- l'extension du champ de la réservation aux opérateurs économiques employant au moins 30 % de personnes handicapées ou défavorisées, ainsi qu'aux acteurs de l'économie sociale et solidaire lorsque le marché a pour objet des services sociaux.
Un deuxième axe important de l'action de l'État dans le domaine des marchés publics concerne la réduction des délais de paiement. Le délai maximum de paiement pour les marchés publics de l'État a été réduit de 45 à 30 jours par un décret du 28 avril 2008 pour l'État et ses établissements publics. Cette disposition a été étendue aux collectivités territoriales depuis le 1er juillet 2010. Plus récemment, la loi du 28 janvier 2013 et le décret du 29 mars 2013 relatif aux retards de paiement dans les contrats de la commande publique ont renforcé les sanctions en cas de retard de paiement des acheteurs publics. Enfin, dans le cadre du Pacte national pour la compétitivité, la croissance et l'emploi, l'État s'est engagé à ramener ses délais de paiement de 30 jours à 20 jours. Des consultations des organisations professionnelles se tiennent actuellement sur ce sujet.
Parallèlement à l'évolution du droit de la commande publique, a lieu un travail visant à faire évoluer les pratiques des acteurs de la commande publique. Le recours à la dématérialisation fait partie des voies à suivre. Depuis le 1er janvier 2012, les acheteurs publics ne peuvent plus refuser de recevoir les candidatures et les offres qui leur sont transmises par voie électronique. Un travail de pédagogie et de professionnalisation est en outre mené pour diffuser les bonnes pratiques. Une disparité des pratiques est en effet observable aussi bien chez les acheteurs publics de l'État que chez ceux des collectivités territoriales, avec pour résultat une utilisation sous-optimale des marges offertes par le code des marchés publics. Le recours à une multiplicité de critères pour déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse devrait être généralisé, afin de prendre en compte non seulement le prix d'une offre, mais aussi la qualité ou le caractère innovant de cette offre par exemple, comme le permet le code des marchés publics. De même, les pratiques en matière d'allotissement doivent être optimisées. L'allotissement peut être :
- fonctionnel, afin de faciliter l'accès de PME spécialisées dans un secteur ou un corps de métier particulier ;
- géographique, afin de limiter les effets négatifs de la globalisation des achats, qui concerne notamment l'État.
La prise de conscience est désormais, je crois, réelle. Un décret du 15 juillet 2013 a réformé le Service des achats de l'État (SAE) en lui confiant la mission de « s'assurer que les achats de l'État sont réalisés dans des conditions favorisant le plus large accès des PME à la commande publique ».
Les entreprises dans lesquelles l'État a des participations sont également mobilisées au travers d'une charte signée par un grand nombre d'entre elles (Air-France-KLM, AREVA, DCNS, EADS, EDF, ERDF, Orange, GDF Suez, GIAT Industries/Nexter, La Poste, SNCF, etc...).
Par ailleurs, un guide de l'achat public, publié en septembre 2013, s'adresse à la fois aux acheteurs publics et aux entreprises.
Pour finir sur ce thème de l'évolution des pratiques d'achat, je voudrais signaler aussi la création, en 2012, d'une fonction de médiateur des marchés publics placé auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Son but est de faciliter les relations entre les entreprises et les donneurs d'ordre publics afin de régler certains litiges pouvant survenir lors de l'exécution d'une commande publique.
Indéniablement donc, un effort a été réalisé de manière continue depuis une petite dizaine d'années. Mais avec quel effet concret ? Je vous propose maintenant d'examiner quelques chiffres : ils sont décevants. La part des PME dans la commande publique, en regroupant les marchés de l'État, ceux des collectivités territoriales et ceux des grandes entreprises publiques est en effet restée stable : 28 % du montant total des marchés en 2009, puis baisse entre 2010 et 2011 et enfin rétablissement de la position des PME en 2012, qui est la dernière année pour laquelle on dispose de chiffres. On est loin des 44 % que pèsent les PME dans la valeur ajoutée marchande.
Doit-on forcément parler d'échec de la politique visant à faciliter l'accès des PME à la commande publique ? Pas forcément. Il est probable qu'en l'absence des mesures adoptées, la part de marché des PME aurait baissé. La politique conduite aura donc au moins permis de préserver leur position. Ceci étant, l'objectif initial était de renforcer la position des PME et il n'est pas atteint
Alors que faire de plus ?
En premier lieu, il est important de poursuivre l'effort engagé : accompagner les PME vers la commande publique, c'est comme les accompagner vers l'export. C'est un travail de longue haleine. Le travail de détection des fournisseurs potentiels, bien en amont de la passation des marchés, est essentiel : les acheteurs publics doivent s'investir davantage dans la connaissance des marchés, des fournisseurs, les rencontrer dans des salons, organiser un dialogue technique et économique en amont de la commande proprement dite.
Ce travail est en cours, mais il faut l'intensifier, en donnant une impulsion politique forte. Le Gouvernement s'est fixé l'objectif de consacrer 2 % du volume des achats publics de l'État, de ses opérateurs et des hôpitaux à des achats d'innovation d'ici 2020. C'est la mesure 32 du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi. Chaque ministère doit établir un plan d'action de l'achat innovant. Je propose que nous allions plus loin : l'élévation du taux d'accès des PME à la commande publique doit devenir un objectif prioritaire de l'évaluation des politiques en direction des PME. Pourquoi ne pas faire de cet objectif l'un des objectifs « phare » du projet annuel de performance de la mission « Économie » ?
Ma deuxième proposition porte sur la transposition des deux directives sur la commande publique adoptées en début d'année. Elles accordent des marges de manoeuvre aux États membres sur la question de la sous-traitance. Elles rappellent la nécessité de faire respecter par les sous-traitants les obligations applicables dans les domaines du droit environnemental, social et du travail. Elles rappellent également qu'il est nécessaire d'assurer une certaine transparence dans la chaîne de sous-traitance pour que les entités adjudicatrices disposent d'informations sur l'identité des personnes présentes sur les chantiers de construction et sur la nature des travaux réalisés pour leur compte. Elles indiquent aussi expressément que les États membres devraient pouvoir aller plus loin que les normes minimales, par exemple en élargissant les obligations de transparence, en autorisant les paiements directs en faveur des sous-traitants en permettant ou en imposant aux pouvoirs adjudicateurs de vérifier que des sous-traitants ne se trouvent pas dans l'une quelconque des situations qui justifieraient l'exclusion d'opérateurs économiques. Donc nous devons demander au Gouvernement d'aller aussi loin possible dans la transposition de l'article 88 relatif à la sous-traitance.
J'ajoute, au-delà de la transposition de ces directives, que le problème des travailleurs détachés au sein de l'Union n'est à mon sens pas réglé. Nous sommes en train de délocaliser le secteur du bâtiment, dont nous pensions qu'il n'est pas délocalisable, en autorisant le recours massif à des travailleurs détachés. Compte tenu de la gravité de la situation du secteur en France, une clause de sauvegarde serait nécessaire.