Intervention de Élisabeth Lamure

Commission des affaires économiques — Réunion du 26 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Mission « économie » - examen du rapport pour avis

Photo de Élisabeth LamureÉlisabeth Lamure, rapporteur pour avis :

Après avoir centré mon approche, les deux années précédentes, sur le commerce extérieur, qui comme l'a rappelé M. Laurent Fabius, est un « juge de paix » de notre compétitivité, j'ai souhaité vous commenter les crédits de la mission économie pour 2015 sous l'angle des PME.

En effet, alors que les grandes entreprises françaises sont assez largement internationalisées, les performances de nos PME sont très dépendantes de notre cadre juridique, fiscal et budgétaire national. Je souligne qu'elles en subissent très directement les inconvénients mais n'ont pas toujours les moyens d'en tirer tous les avantages car cela suppose une veille juridique comptable et fiscale exigeante en moyens et en temps. Sur le terrain, les entrepreneurs préfèrent se concentrer sur leur coeur de métier et un tel arbitrage est compréhensible compte tenu de l'instabilité de la norme.

Je commencerai par deux observations sur les crédits de la mission économie et les dépenses fiscales associées. La première concerne les 108,8 millions d'euros alloués en 2015 à Ubifrance et l'Agence française des investissements internationaux qui sont deux agences de l'État en charge de l'accompagnement des exportateurs et de l'attractivité de la France. La dotation diminue d'à peu près 3 % par rapport à 2014. Vous vous en souvenez, lors de l'examen de l'article 29 du projet de loi de simplification portant sur la fusion de ces deux agences, votre commission, a procédé en deux temps. Elle a d'abord approuvé ma suggestion de s'attaquer de front au problème de la lisibilité et de l'articulation d'une cinquantaine d'opérateurs. Puis elle a acquiescé à la stratégie du Gouvernement consistant, dans un premier temps, à fusionner les deux agences de l'État qui travaillent d'ores et déjà ensemble. Du point de vue budgétaire, les rationalisations institutionnelles sont souvent présentées comme des sources d'économie potentielles, puis on constate, dans la réalité concrète, des surcoûts. La fusion d'Ubifrance et de l'AFII n'échappera sans doute pas à cette règle : les surcoûts n'apparaissent pas dans les comptes mais ils ont étés confirmés par le Gouvernement à hauteur de 8 millions d'euros, dont 5 en 2014 et 3 millions en 2015 : ils devraient être couverts par des reports de crédits mais ils constituent une dépense nouvelle. Toute la question est de savoir si ces surcoûts seront transitoires ou structurels. Deux mécanismes pourraient présager d'une hausse de la masse salariale et d'une tendance à la réduction des ressources propres. D'une part, les statuts des personnels devront être harmonisés et, d'autre part, Ubifrance faisait payer ses prestations (ce qui représente 38 % de ses ressources propres) tandis que l'AFII, pour attirer les investisseurs étrangers, ne leur facture pas ses services.

Permettez-moi à présent de concentrer mon propos sur les 10 milliards de dépenses fiscales qui sont rattachées à ce compte au titre du CICE. Comme le confirment les représentants des PME, la première priorité est de stabiliser le CICE. Son démarrage a été difficile : nous avons presque tous des témoignages de PME pour qui la crédibilité du CICE n'était pas suffisante pour qu'ils l'intègrent dès l'origine dans leurs déclarations d'impôt. Budgétairement, alors que l'on s'attendait à ce que le CICE coûte 12 milliards d'euros en 2014, son montant s'est élevé à un peu plus de 8,5 milliards d'euros. L'enjeu est avant tout de sauvegarder ou de créer des emplois et de reconstituer les marges des entreprises pour leur redonner une capacité de survie et d'investissement. Ne nous trompons pas sur l'importance du CICE : comme l'a bien résumé Louis Gallois, il s'agit d'une « bouffée d'oxygène », en particulier pour les PME. De plus, les représentants des entreprises, ont estimé que les effets positifs du CICE pourraient être intégralement annihilés par la complexité du compte pénibilité, tout en rappelant qu'il ne s'applique pas aux travailleurs détachés.

Pour l'avenir, je crois utile de tracer des perspectives en analysant le lien entre le CICE et la principale préoccupation de notre commission qui est la réindustrialisation de notre pays et la montée en gamme de notre économie. Certes, par sa nature juridique, le CICE est un crédit d'impôt, mais la commission européenne estime à juste titre que cet outil fiscal s'apparente aux autres mécanismes d'allègement du coût du travail.

Je rappelle qu'historiquement, dans les années 1990, les premiers allègements de charges sociales ont étés conçus de manière offensive, pour favoriser la baisse des prix des produits français à l'exportation. Par la suite, les allègements de cotisations postérieurs à 1998 ont pu être qualifiés de « défensifs » puisque leur but était de compenser les hausses de SMIC, les 35 heures. Concentrés sur les bas salaires, les allègements de charges sociales ont amplifié deux tendances structurelles. D'une part, ils créent ce que l'on appelle une « trappe à bas salaire » : la France se singularise dans l'OCDE par une proportion très élevée de salariés rémunérés au voisinage du SMIC. D'autre part, les allègements de charge ou le CICE incitent à l'embauche de personnes dont la rémunération est inférieure à celle des salariés à hautes compétences pourtant nécessaires à la montée en gamme de notre économie. En contrepartie, il faut reconnaitre que la concentration des réductions de charges sur les bas salaires a un effet plus puissant sur le nombre d'emplois sauvegardés ou crées et elle permet de limiter le chômage des non qualifiés.

À présent que la mécanique est enclenchée le mieux est de ne pas en changer les règles en introduisant un dispositif complexe et irréaliste de conditionnalité. Cependant, à brève ou moyenne échéance, pour accompagner la montée en gamme de l'industrie et favoriser les entreprises exportatrices, il faudrait, soit différencier les aides par filières, pour favoriser les secteurs exposés, ce qu'interdit a priori le droit européen, mais qui est pratiqué, par exemple aux États-Unis, soit relever le seuil du CICE, par exemple à 3,6 Smic comme l'avait proposé Louis Gallois, mais alors le dispositif aurait un coût budgétaire bien plus élevé.

Le second grand axe de mon rapport souligne que la simplification, la mutualisation et le renforcement des réseaux sont au centre de l'amélioration de la compétitivité des PME.

Tout d'abord, l'audition des représentants des entreprises a confirmé que la complexité et surtout l'instabilité des normes conjuguées à la lourdeur des prélèvements obligatoires ont atteint un seuil qui rend la situation difficilement tolérable pour une majorité de PME, surtout en période de ralentissement économique. Je rappelle également que, pour les observateurs étrangers, la principale singularité du système fiscal français a longtemps été la solidité de son socle, c'est-à-dire le consentement à l'impôt des agents économiques, ce qui a permis aux dépenses publiques d'atteindre 57 % du PIB dans notre pays. Or ce pilier des institutions et du modèle français semble aujourd'hui avoir atteint ses limites. Comme l'a rappelé le prix Nobel d'économie lors de son audition devant la commission, la qualité du service apporté en contrepartie de ces prélèvements n'est pas encore optimale, ce qui justifie une stratégie de réduction du coût du secteur public tout en maintenant la qualité de ses prestations.

A l'occasion de ce rapport, j'ai cependant tenu à contrebalancer le constat de ces difficultés en montrant que certaines PME ont adopté des stratégies offensives qui prouvent leur efficacité et peuvent constituer des exemples de bonnes pratiques.

L'innovation et les pôles de compétitivité fournissent une bonne illustration de schémas de mutualisation qui améliore les performances des PME. La politique nationale des pôles de compétitivité, initiée en 2004, produit des résultats satisfaisants. D'après la deuxième évaluation des 71 pôles de compétitivité publiée en juin 2012, en moyenne, la participation à un pôle de compétitivité accroit le chiffre d'affaires des PME et ETI de 2 % par an et par entreprise. Les PME représentent 86 % des entreprises membres des pôles et elles bénéficient d'environ 65 % des financements. La troisième phase (2013-2018) des pôles de compétitivité se résume à une attente : améliorer les retombées économiques des efforts de R&D en les transformant en produits, procédés et services innovants mis sur des marchés clairement identifiés pour leur potentiel. À mon avis, cette doit constituer un critère fondamental de la sélection des projets. À travers différents programmes, le projet de loi de finances pour 2015 prévoit un peu plus de 100 millions d'euros de crédits destinés aux pôles de compétitivité, dont 90 millions au titre du Fonds unique interministériel (FUI) et 11,5 millions pour l'aide à la gouvernance des pôles. Seuls ces crédits de gouvernance sont rattachés à l'action n° 3 « Actions en faveur des entreprises industrielles » du programme 134 relevant de la compétence budgétaire de la commission des affaires économiques. Face aux objections suscitées par la forte baisse des moyens alloués au fonctionnement des pôles, qui passent de 16 millions d'euros en 2014 à 11,5 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2015, Emmanuel Macron, ministre de l'économie, a proposé de faire « la moitié de la route » par des reports de crédits pour porter la somme prévue de 11,5 à 14 millions d'euros, et, en outre, de mener une approche au cas par cas et pôle par pôle, pour abonder leurs crédits de fonctionnement.

Pour répondre aux attentes des PME, il conviendrait de recentrer la stratégie de simplification sur le critère du gain de temps procuré aux entreprises. Incontestablement, la simplification a été affichée comme une priorité au cours des dernières années. En pratique, l'impression générale, sur le terrain, est que cet activisme remporte quelques succès ponctuels, mais les efforts de simplification du stock de règles existantes sont contrecarrés par la persistance d'un flux de normes nouvelles qui produit une instabilité et une perplexité peu propices à l'initiative économique. De plus, les normes les plus récentes ont tendance à perdre en concision et en clarté et les représentants des PME ont regretté la multiplication des dispositifs pouvant donner lieu à de multiples interprétations. Face au bilan mitigé qui s'en dégage pour les PME, je suggère de réorienter notre stratégie de simplification en fonction d'un critère majeur : améliorer la « compétitivité-temps » de nos procédures pour permettre aux entreprises de se consacrer à leur performance économique et non pas à des procédures administratives. Le principal objectif des PME est aujourd'hui de limiter les pertes de temps imputables aux démarches ou aux hésitations juridiques et fiscales. De plus, le niveau élevé des prélèvements obligatoires justifie de franchir une nouvelle étape dans l'efficacité administrative car les inconvénients de l'instabilité normative apparaissent parfois, pour les entreprises, supérieurs aux avantages attendus par le perfectionnement des dispositifs. Par-dessus tout, l'exemple du compte pénibilité démontre l'effet dévastateur de dispositions adoptées sans évaluation précise de leur impact sur la vie des entreprises.

S'agissant, enfin, du financement des PME, je me limiterai à trois remarques. Tout d'abord, budgétairement, le programme 134 retrace les dotations de garantie versées à la Banque publique d'investissement (Bpifrance), pour un montant de 30 millions d'euros, tandis que les dotations d'intervention figurent au programme 192, pour 175 millions d'euros. Or, la plupart des grands pays consacrent des montants bien plus importants pour la politique industrielle. C'est pourquoi, il nous faudra veiller au moins à ce que les 30 millions d'euros prévus pour garantir les prêts aux entreprises viennent bien en supplément des reports de crédits de 2014. Cette cause mérite d'autant plus d'être défendue que l'effet de levier de ces crédits est considérable, un euro de dotation générant 10 euros de prêts, en particulier parce que la Bpifrance intervient en co-financement avec des banques privées.

Mes entretiens avec les représentants de la banque ont confirmé le faible dynamisme général des projets d'investissement et l'inquiétude la plus forte concerne le secteur des travaux publics. L'activité de la banque, dans ce contexte, progresse puisque sa stratégie en matière de crédit est de se concentrer sur les principales failles du marché. Par exemple, le préfinancement du CICE a doublé en 2014 et représente 2 milliards d'encours : on m'a signalé que des TPE ont parfois recours à ce préfinancement pour des montants très faibles, ce qui témoigne de leur fragilité. Bpifrance finance également les investissements immatériels, alors que les banques hésitent à s'engager dans ce domaine.

Par ailleurs, elle s'attache à analyser les stratégies de rebond à succès des PME et ETI. Tout récemment, une étude concernant les filières industrielles dites « de l'ombre » - parce que les médias en parlent peu - témoigne de l'arrivée d'une nouvelle génération de dirigeants plus axés sur les réseaux ou les alliances et plus ouverts sur l'international. La mutualisation qui suppose une meilleure coopération entre grandes entreprises et donneurs d'ordres me parait une des pistes d'avenir pour l'éclosion d'un nouveau tissu industriel.

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