Je vais évoquer avec vous la partie « communications électroniques » de la mission « Économie ». Je le ferai en deux temps. Tout d'abord, une analyse des évolutions budgétaires pour 2015. Puis quelques développements sur les problématiques actuelles du secteur des communications électroniques : à savoir le déploiement de la fibre à travers le plan « France très haut débit », qui a pris le relais du « programme national très haut débit », sans que le contenu n'en soit véritablement changé...
L'analyse budgétaire porte tout d'abord sur les actions 4 et 13 du programme 134. Elles correspondent à des sommes relativement faibles 196 millions d'euros au regard du poids du secteur dans la richesse nationale. Avec 173 millions d'euros de dotations, l'action 4 voit ses crédits reculer de 11 %. Cela s'explique par la baisse de 20 millions d'euros des crédits consacrés à la compensation par l'État des surcoûts de la mission de service public de La Poste. Cette baisse s'inscrit dans les prévisions du protocole d'accord signé entre l'entreprise publique, l'État et la presse en 2008. Mon prédécesseur, Pierre Hérisson, aurait sans doute eu beaucoup à vous dire sur cette partie du programme. Pour ma part, je m'en tiendrai à plusieurs observations relatives aux communications électroniques. À ce titre, quelques mots de la dotation de l'Agence nationale des fréquences (ANFR), dont la dotation est inscrite dans cette action 4. D'un montant de 33,5 millions d'euros, elle est en recul de 0,8 %, après avoir déjà baissé de 2,8 % l'année passée, et de 3 % l'année précédente.
Ces diminutions récurrentes sont inquiétantes car la subvention pour charges de service public représente 90 % des ressources de l'Agence. Or, celle-ci voit ses missions s'élargir, et ses moyens se réduire ! Elle doit notamment gérer les problèmes de réception de la télévision numérique terrestre (TNT) dus à la proximité de fréquence de la 4 G ; elle a par ailleurs intégré, au 1er janvier dernier, la mission « très haut débit » supervisant le déploiement de la fibre. L'action 13 est consacrée à la « régulation des communications électroniques et des postes ». En léger recul de 0,7 %, avec 22,7 millions d'euros, elle finance l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Et là encore, nous retrouvons une situation d'extrême tension, une sorte d'« effet de ciseau » entre des dotations publiques en recul et des missions qui s'accroissent. Cette baisse s'inscrit en effet dans une trajectoire triennale 2015-2017 prévoyant une réduction drastique de ses effectifs et de ses moyens matériels. On sait que les relations entre l'Autorité et l'administration centrale n'ont pas toujours été au beau fixe. Pourtant, cette dernière - mais aussi la Cour des Comptes - reconnaît que l'ARCEP est un « modèle de vertu » en matière de gestion budgétaire. Malgré ces efforts remarquables, l'ARCEP est parvenue à une situation limite, avec une impasse de fin de gestion de 385 000 euros. Cela alors que ses missions s'élargissent, avec par exemple l'attribution des fréquences 4G dans les DOM et de la bande des 700 MHz. Aussi l'ARCEP a d'ores et déjà fait savoir qu'elle ne serait plus en mesure de financer trois de ses fonctions essentielles. Il y a lieu à mon avis de s'interroger sur la logique d'une délégation à l'ARCEP d'un nombre croissant de missions, dont l'État devrait demeurer seul garant ; l'action de l'Autorité excède en effet largement aujourd'hui le champ de la régulation, sans qu'elle en ait les moyens financiers. Il y a là un problème de cohérence et de principe sur lequel il faudrait débattre au fond ; peut-être la future loi numérique en sera l'occasion ?
Un mot du programme 407 « Économie numérique », qui a disparu cette année. Il comportait tout de même, dans la dernière loi de finances, 215 millions d'euros pour les quartiers numériques et 350 millions sur les usages et technologies innovants. Des appels d'offre ont été passés par les collectivités. Le Gouvernement devra nous renseigner sur l'usage qui a été fait de ces crédits. Peut-être ont-il servi à abonder les 215 millions d'euros de l'initiative French Tech ? Les financements en ont été alloués à différents opérateurs via le programme Investissements d'avenir (PIA), dont la Caisse des dépôts et consignations ; ils ne sont donc plus retracés en loi de finances. Il y a là un imbroglio institutionnel et financier qui nuit gravement à la lisibilité du budget ; cela a été également souligné par mon homologue de l'Assemblée nationale, Corine Erhel, et la ministre devra s'en expliquer.
J'en viens maintenant au nouveau programme 343 « Plan France très haut débit ». Il va me permettre de vous parler de l'état d'avancement de ce plan très ambitieux, et même plutôt « ambigu ». Il doit nous permettre d'avoir un accès généralisé au très haut débit d'ici 2022, selon l'objectif fixé par le président de la République en février 2013, et un accès pour la moitié de la population dès 2017. La priorité a été donnée à la fibre optique, qui doit desservir 80 % des foyers en 2022. La « montée en débit » est également soutenue, avec pour objectif d'apporter très rapidement un « haut débit de qualité » (3 à 4 Mbit/s au moins) à toute la population. Enfin, les technologies non filaires sont également prises en compte pour la couverture accessoire, celle des endroits les plus reculés (satellite, WiMax et WiFi, mais aussi diffusion mobile avec la 4G ...).
L'organisation territoriale passe par la réalisation de schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique, les fameux SDANT ; vous vous souvenez peut-être de la loi Pintat du 17 décembre 2009 qui les avait institués. Leur élaboration a bien avancé puisque tous les territoires français en sont désormais dotés, à 80 % à l'échelle départementale. Les collectivités se sont largement investies dans ce plan. Depuis 2005 je vous le rappelle, la loi leur permet de créer des réseaux numériques et de devenir « opérateurs d'opérateurs », nous y avions d'ailleurs beaucoup travaillé ici. À ce jour, 407 projets de tels « réseaux d'initiative publique » (les RIP) ont été recensés, parmi lesquels 52 ont un « volet fibre », pour 3 millions de prises situées en dehors des zones les plus denses. Un chiffre qui devrait monter à 5,3 millions en 2020, et 8,4 millions en 2035. Si les collectivités prennent donc leur part du « fardeau », les opérateurs annoncent qu'ils feront de même, en investissant 6 à 7 milliards d'euros d'ici 2020 pour couvrir 57 % de la population dans les zones les plus denses. De nombreux accords de mutualisation ont été passés entre eux pour réduire ces coûts.
Au-delà de ce « tableau général » qui paraît très positif, de grandes incertitudes subsistent sur l'effectivité de ce plan. Première limite : le déploiement avance lentement. 11,4 millions de logements sont désormais éligibles, nous dit-on. Cela est à nuancer. On inclut dans ces chiffres les technologies permettant d'arriver à 30 Mbit/s : câble et VDSL2 (ou cuivre amélioré) ; or ces technologies sont moins performantes que la fibre, et ne sont guère évolutives. Par ailleurs, « éligible » ne signifie pas « abonné » : sur ces 11,4 millions, seuls 2,3 millions le sont effectivement. Et sur ces 2,3 millions, seuls 715 000 sont abonnés à la fibre ! Bref, on voit mal comment l'on pourrait respecter l'objectif de 2022 en partant d'aussi bas, même si la croissance est forte (+ 28 % par an). Deuxième limite : le plan de financement est très hypothétique. Les besoins sont de 20 milliards d'euros au moins sur les 10 prochaines années. Les opérateurs doivent en assumer le tiers, mais leurs capacités d'investissement décroissent avec le ralentissement du marché des télécoms et l'intensificationt de la concurrence. Les collectivités, on l'a vu, doivent apporter 13 à 14 milliards, mais cela suppose une forte rentabilité des RIP et un bon cofinancement par les opérateurs, ce qui est sujet à interrogation. Enfin, l'État doit mettre 3 milliards sur la table, dont 1,4 milliard est mobilisé sur le programme 343 ; mais il s'agit d'autorisations d'engagement, les crédits de paiement ne devant être décaissés qu'en 2018 ou 2019, alors que les 900 millions d'euros du Fonds national pour la société numérique (FSN) sont sur le point d'être épuisés.Troisième limite : la gouvernance institutionnelle du plan est très « fumeuse », avec une mission très haut débit qui devrait être intégrée dans une agence nationale du numérique. Or, celle-ci regroupera par ailleurs la mission French tech et la délégation aux usages de l'internet. Comment tout cela se coordonnera-t-il avec les autres acteurs institutionnels du numérique : Conseil national du numérique, ARCEP, services ministériels... ? Quatrième limite : le risque de fracture numérique s'amplifie. Cela n'est pas du ressort de notre commission, mais il faut tout de même le rappeler : le très haut débit par la fibre risque bien de se limiter aux agglomérations les plus peuplées, le reste du territoire n'ayant accès qu'à un « haut débit gonflé ».
Voilà ma contribution à cette mission « Économie », et les nombreuses interrogations qu'elle suscite. Je me propose d'en faire part à la ministre en séance, en espérant obtenir des éclaircissements. Après mure réflexion, je vous propose d'émettre un avis de sagesse sur ces crédits tout en ajoutant que l'avis mériterait d'être très défavorable l'année prochaine si on ne remédie pas aux objections que j'ai pu soulever. Je vous suggère, en revanche d'approuver l'article 23 relatif à la vente de fréquences au bénéfice du ministère de la Défense, cet article étant rattaché à la présente mission budgétaire.