Intervention de Michel Le Scouarnec

Commission des affaires économiques — Réunion du 26 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Mission « écologie développement et mobilité durables » - crédits « pêche et aquaculture » - examen du rapport pour avis

Photo de Michel Le ScouarnecMichel Le Scouarnec, rapporteur :

Depuis trois ans, les crédits en faveur des pêches maritimes et de l'aquaculture ont été transférés de la mission « agriculture » à la mission « écologie ». Notre commission a, depuis, choisi de se prononcer par un avis budgétaire dédié à la pêche maritime et l'aquaculture. C'est la première fois que je rapporte devant vous sur ces crédits, prenant la suite de notre ancien collègue M. Gérard Le Cam.

Avant tout, il faut avoir à l'esprit quelques chiffres-clefs pour la pêche maritime et l'aquaculture : au 1er janvier 2014, la flotte française comptait 7 163 navires de pêche, dont un peu plus de 4 500 en France hexagonale et un peu plus de 2 600 dans les Outre-mer. La flotte est très largement une flotte artisanale. Rien qu'en France hexagonale, on compte 3 623 navires de moins de 12 mètres. Ceux de plus de 12 mètres et moins de 25 mètres ne sont que 809 et ceux de plus de 25 mètres, qu'on peut qualifier de navires de pêche industrielle, à peine 104 ! Le nombre de marins-pêcheurs était en 2013 de 16 887, en baisse de 14 % depuis 2008. Le rapport entre le nombre d'emplois en mer et d'emplois à terre étant de l'ordre de 1 pour 4, cela signifie qu'un peu moins de 100 000 personnes vivent en France de la pêche maritime.

Le chiffre d'affaires de ce secteur ne représente qu'environ 1,1 milliard d'euros, pour 533 000 tonnes de poissons et crustacés débarqués chaque année dans les ports français. Au final, la pêche maritime est un petit secteur, et l'aquaculture plus encore : dominée par les productions de moule - mytiliculture - et d'huitres - ostréiculture - qui représentent les trois quarts des tonnages vendus, soit 150 000 tonnes sur 200 000 environ, et 500 millions d'euros de chiffre d'affaires, l'aquaculture ne décolle toujours pas en France. Le poisson reste pourtant un produit prisé des consommateurs, avec plus de 35 kg de poissons consommés par personne et par an. Mais 80 % de la consommation provient des importations. La France est loin d'être autosuffisante, alors que nous disposons de beaucoup de côtes et de ports.

La situation des pêcheurs est très contrastée : d'une région à l'autre et d'une pêcherie à l'autre, la tonalité n'est pas la même. Les pêches sélectives, avec des circuits courts de distribution, ont de meilleurs résultats économiques, d'après les informations fournies par le Comité national des pêches maritimes et élevages marins (CNPMEM). Les pêcheries du Nord de la France, qui exercent dans les mêmes eaux que les flottes anglaise ou hollandaise, sont à l'inverse soumises à rude concurrence, sur des stocks de poissons qui ne sont que de passage dans des eaux très disputées.

Surtout, la pêche française doit faire face à des contraintes extrêmement fortes qui pèsent sur son activité et résultent d'une réglementation toujours plus stricte de la politique commune de la pêche (PCP), mise en place à partir de 1983.

Entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2014, la nouvelle PCP s'inscrit dans la continuité de la précédente, avec des quotas fixés par espèce et par zone, en fonction des meilleurs avis scientifiques. La réforme vise cependant à être plus exigeants, en permettant une exploitation des stocks au rendement maximum durable (RMD) dès 2015, chaque fois que cela est possible, et en tout état de cause au plus tard en 2020. Ce principe conduit parfois à des baisses drastiques de quotas, qui mettent en difficulté les pêcheries : cette année, la commission européenne propose une diminution des quotas pour 45 espèces de poissons de l'Atlantique, de la mer du Nord et de la mer Baltique. Les baisses sont de 64 % pour le cabillaud en mer celtique, de 60 % pour la sole en Manche-Est, de 41 % pour l'églefin... A l'inverse la Commission propose d'augmenter certains stocks qui se reconstituent correctement. La hausse de quota la plus spectaculaire, décidée dans une autre enceinte que celle de l'Union européenne, est celle de thon rouge en Méditerranée : le quota total passera de 13 500 tonnes aujourd'hui à 23 155 tonnes en 2017.

Une autre contrainte apportée par la PCP concerne l'interdiction des rejets en mer. D'application progressive jusqu'en 2019, cette mesure nécessite néanmoins d'importantes adaptations pour la pêche française, qui devra débarquer l'intégralité des prises.

Enfin, d'autres contraintes doivent être prises en compte par certaines pêcheries : ainsi, la contestation persistante de la pêche en eaux profondes et les perspectives d'adoption du nouveau règlement européen qui l'encadre très strictement font peser une menace pour les armements qui la pratiquent.

Dans ce contexte, les crédits de l'État en faveur des pêches maritimes et de l'aquaculture sont en très légère diminution, passant pour 2015 à 47,9 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) comme en crédits de paiement (CP), contre 49,5 millions en 2014, 52 millions en 2013 et 60 millions en 2012.

Le financement des actions régaliennes, concernant le contrôle des pêches, la collecte de données ou encore l'appui technique aux organisations internationales ou au fonctionnement des comités consultatifs régionaux, est stable, à 16,7 millions d'euros. Notons que les moyens humains de contrôle ne figurent pas dans les crédits de la pêche. La Cour des comptes estime que, hors gendarmerie maritime et marine nationale, compétentes à l'égard de tous les navires, et notamment de transport, les moyens humains mobilisés pour le contrôle des pêches rassemblent 480 équivalents temps plein environ. J'ai été alerté par le responsable du port de Lorient sur l'existence d'erreurs dans la mise en oeuvre des contrôles, auxquelles il faudra remédier.

La participation de l'État à la caisse chômage intempérie des marins-pêcheurs, s'élève à 6,6 millions d'euros, en très léger reflux par rapport à 2014 et 2013. Cette caisse est alimentée par une même somme provenant des marins eux-mêmes.

Le bloc budgétaire des actions de soutien de l'État à la filière pêche et aquaculture est quasiment stable, à 24,6 millions d'euros en 2015 (contre 25 millions d'euros en 2014). La fin des plans de sortie de flotte et des contrats bleus a un impact direct sur ces crédits, qui constituent, pour l'essentiel, la contrepartie de crédits européens, par exemple pour l'aide à l'installation ou encore la mise en oeuvre de partenariats scientifiques avec les pêcheurs, ou l'aide au stockage des prises accessoires. L'installation des jeunes reste un souci majeur. L'achat de petits bateaux d'occasion nécessite de mobiliser déjà plusieurs centaines de milliers d'euros.

L'essentiel du soutien public à la pêche et à l'aquaculture relève en effet des crédits européens, et en particulier du nouvel instrument financier de la PCP, le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP).

La France bénéficie, au titre du FEAMP, de 588 millions d'euros sur la période 2014-2020, dont 369 millions d'euros au titre de l'action économique en faveur de la filière pêche et de l'aquaculture, ce qui est bien plus que les 216 millions d'euros du précédent instrument financier, le Fonds européen pour le pêche (FEP), pour la période 2007-2013. La France bénéficie de la deuxième enveloppe de crédits derrière l'Espagne et enregistre 70 % de hausse pour les crédits destinés à l'action économique, ce qui est très positif.

Encore faut-il rapidement lancer les actions permettant de mettre réellement ces sommes à la disposition de la filière pêche. Le programme opérationnel pour la mise en oeuvre du FEAMP est en cours de discussion entre l'État et les Régions, et devrait être transmis à la Commission européenne d'ici la fin de l'année. Environ 180 millions d'euros relèveraient de la décision régionale, et le reste des crédits relèverait de mesures nationales.

Il convient que l'État et les régions avancent rapidement sur le FEAMP, afin d'être en mesure d'utiliser l'ensemble des crédits de l'enveloppe pour la filière pêche et aquaculture, et de ne pas risquer en fin de période des dégagements d'office.

Ces crédits très importants constituent une opportunité pour la filière pêche pour mieux se structurer. En revanche, ils ne permettront pas, comme les précédents moyens mis à disposition par le FEP, de moderniser la flotte ou de financer les destructions de bateaux.

La modernisation de la pêche française est indispensable, mais elle ne peut plus passer par des aides budgétaires. Le renouvellement de la flotte doit être une priorité. Avec un âge moyen de 23 ans, les navires sont peu performants, gourmands en carburant et pas assez ergonomiques. Une mission « navire du futur » a été lancée, mais l'acquisition de navires neufs est très coûteuse, de l'ordre de 2 à 4 millions d'euros selon la taille des navires, une somme en tout état de cause hors d'atteinte pour des jeunes marins s'installant à leur compte. Le modèle économique de la pêche maritime a été trop fondé sur l'achat de vieux navires d'occasion, qui ne constituent pas le meilleur investissement pour les jeunes. La question centrale est donc moins technique que financière : quelles solutions apporter pour financer l'investissement dans de nouveaux outils de production ? À cette question, aucune réponse n'est aujourd'hui apportée. La grande distribution, à travers la Scapêche, a investi dans des armements. Il faut aussi d'autres acteurs.

Organisme interprofessionnel privé constitué il y a peu par les acteurs économiques de la filière, France filière pêche (FFP) promeut avec une certaine réussite le Pavillon France. FFP aide aussi les pêcheurs à progresser en matière d'économies d'énergie ou d'investissements de modernisation. Pour 2013, cela a représenté environ 16 millions d'euros. L'accord interprofessionnel qui fonde FFP doit arriver à son terme à la mi-2015. Il est indispensable de le reconduire et de continuer à disposer de cette manne de 30 millions d'euros par an en faveur de la pêche.

Pêche et aquaculture naviguent depuis plusieurs années dans un environnement économique difficile, et sont pénalisées également par les atteintes à l'environnement : mortalité des huitres, réduction des stocks de poissons dans les eaux côtières du fait des pollutions, comme par exemple dans les Antilles. Le budget national de la pêche n'est qu'un des instruments pour permettre à cette activité de se poursuivre sur le littoral, mais la pêche et l'aquaculture ont besoin de plus que ça : d'une volonté politique, qui ne se manifeste pas que dans les crédits budgétaires.

Je propose donc à la commission d'émettre un avis de sagesse à l'adoption des crédits relatifs à la pêche et à l'aquaculture figurant au sein de la mission « Écologie, développement et aménagements durables ».

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion