Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, notre direction est à votre disposition pour toutes les informations que vous souhaiterez recueillir sur les accords que nous avons négociés.
M. Étienne Oudot de Dainville, sous-directeur, qui vient d'être nommé chef de la délégation financière à notre représentation permanente à Bruxelles, vous prie de bien vouloir excuser son absence.
Préalablement à cette réunion, nous avons examiné de près les règlements et les dispositions spécifiques que la France a obtenus pour protéger les régions ultrapériphériques.
Nous espérons pouvoir répondre à vos questions, même si ma collaboratrice, plus spécifiquement chargée du suivi des accords avec l'Amérique latine et d'autres zones du monde, et moi-même ne sommes pas directement intervenues dans la négociation de cet accord, signé avant notre arrivée.
L'accord participe à la stratégie européenne visant à conclure des accords régionaux un peu partout dans le monde. Cette stratégie a été mise en place en 2006, afin d'aller chercher la croissance hors des frontières de l'Europe et d'essayer de diversifier les marchés d'exportation des entreprises européennes.
La deuxième ambition de ces accords, pour l'Union européenne, est d'essayer d'être un acteur des règles du commerce international à un moment où l'Organisation mondiale du commerce (OMC) peine à établir des règles consensuelles. L'Union européenne, par sa stratégie d'accords régionaux, promeut des règles communes et prépare le terrain du multilatéralisme.
La troisième ambition de ces accords est d'inclure un volet plus politique, en fonction des partenaires et au-delà du seul aspect commercial, afin d'associer davantage les pays en développement au commerce international.
Avec les Amériques, au sens large, vous connaissez les négociations conclues avec le Canada ou en cours avec les États-Unis. Avec l'Amérique du Sud, des tentatives de négociations avec le MERCOSUR échouent régulièrement. Les négociations avec les pays d'Amérique centrale ont commencé en 2007. Ces pays ont un PIB proche de ceux du Brésil ou de l'Argentine et ont un taux de croissance relativement élevé (3,7 % en 2013). Ils se situent dans une zone dynamique qui peut constituer un relais de croissance pour les entreprises exportatrices européennes.
La négociation, engagée en 2007, a été conclue en 2012. Au cours de cette période, la part de l'Union européenne dans les importations centre-américaines a plutôt diminué. L'accord devrait donc renverser la tendance.
L'accord est désormais en voie de ratification. C'est un accord mixte, c'est-à-dire qu'il n'est pas de la compétence exclusive de la Commission européenne et ne peut être ratifié uniquement par le Parlement européen et les parties d'Amérique centrale. Les vingt-huit parlements de l'Union européenne doivent procéder à sa ratification. La France est attachée à ce processus qui est bien engagé, tant du côté centre-américain que du côté européen.
À ce jour, l'entrée en vigueur de l'accord est provisoire et concerne uniquement la partie de compétence exclusive de l'Union européenne, c'est-à-dire la partie commerciale.
Pour nous, et encore une fois d'un point de vue global, cet accord est un accord gagnant pour l'Europe qui a obtenu des ouvertures, notamment pour ce qui concerne les démantèlements tarifaires, c'est-à-dire les baisses des droits de douane à l'entrée des marchés d'Amérique centrale. La suppression immédiate de 48 % des lignes tarifaires représente 67 % des exportations européennes actuelles et se matérialise par un gain de 87 millions d'euros. À terme, l'accord prévoit la libéralisation des échanges pour 95 % des lignes tarifaires et nous devrions aboutir à 100 % pour les produits industriels.
Par ailleurs, l'accord permet d'harmoniser et de simplifier les procédures douanières aux frontières, d'unifier les procédures d'enregistrement des produits, d'harmoniser les règlementations sanitaires et phytosanitaires et donne un accès privilégié aux marchés de ces pays, notamment dans les services télécoms et le transport maritime. Enfin, la Commission, à la demande de la France et de quelques autres pays, a insisté pour que le système d'indications géographiques soit reconnu par les États centre-américains. Plus de deux cents indications géographiques sont aujourd'hui reconnues, dont une centaine pour la France, et pas seulement dans le secteur des vins et spiritueux. Les pays d'Amérique centrale, ayant compris l'intérêt de notre concept, ont demandé l'inscription de dix indications géographiques les concernant.
La reconnaissance de la spécificité des droits de la propriété intellectuelle, attachée au système d'indications géographiques, est également un atout lors des négociations multilatérales, notamment lors des négociations avec l'Organisation mondiale de la propriété industrielle. Au cours de celles-ci, les États-Unis font tout pour mettre en difficulté le système d'indications géographiques et lorsqu'il s'agira de poursuivre sa défense dans les instances multilatérales, nous espérons faire des pays centre-américains, qui en ont compris l'intérêt, des alliés.
Les intérêts des régions ultrapériphériques ont été pris en compte pendant les négociations entre l'Union européenne et ses partenaires commerciaux. Dans une négociation commerciale, quand nous détectons des produits sensibles - comme dans cet accord le sucre, le rhum, la banane et le riz - nous n'acceptons pas le démantèlement tarifaire des droits de douane sur l'ensemble des quantités. Nous négocions des contingents qui évoluent progressivement dans le temps avec, en général des droits de douane nuls. C'est ce que nous avons obtenu sur ces produits.
Pour le sucre, l'Union européenne a concédé au Panama un contingent de 12 000 tonnes par an. Elle a également offert un contingent de 150 000 tonnes aux cinq autres pays membres de la zone. Ces deux contingents, exonérés de droit de douane, seront augmentés de 3 % chaque année.
Pour le riz, l'Union européenne a accordé 20 000 tonnes par an à l'Amérique centrale, sans droit de douane, avec une augmentation annuelle de 5 %.
Pour le rhum en vrac, l'Union européenne a accordé un contingent de 1 000 hectolitres à droit zéro au Panama, augmenté de 50 hectolitres chaque année. Les cinq autres pays membres se sont vu attribuer un quota global de 7 000 hectolitres à droit nul, avec une croissance annuelle de 300 hectolitres.
Pour les bananes, l'Union européenne a accordé un quota initial d'exportation de 1 512 000 tonnes avec un droit de douane préférentiel - et non nul - de 145 euros la tonne. En 2017, le droit sera réduit à 114 euros la tonne pour atteindre 75 euros la tonne en 2020 sans restriction quantitative. Nous aurons un démantèlement progressif total sur les quantités mais le démantèlement tarifaire sera limité.
De plus, à la demande de la France, quatre mécanismes de protection ont été mis en place. D'abord, une clause de sauvegarde bilatérale (art. 104 de l'accord). Cette clause permet de suspendre, pour deux ans au maximum, les droits de douane préférentiels sur un produit et de rétablir les droits de douane de la nation la plus favorisée en cas d'augmentation inattendue des importations de produits. L'Union européenne, mais également les États membres, peuvent alerter la Commission et, après une procédure, suspendre les droits de douane préférentiels le temps que le pic d'importations, le préjudice anticipé ou réalisé se résorbent.
Ensuite, une clause de sauvegarde spécifique pour les régions ultrapériphériques a été prévue (art. 109 de l'accord). Si nous constatons sur un produit que le marché d'une région ultrapériphérique est déséquilibré, la même clause de sauvegarde peut s'appliquer.
En ce qui concerne la banane, un double mécanisme spécifique de protection a été élaboré. Il y a d'abord une mise en oeuvre renforcée de la clause de sauvegarde bilatérale. Quand la Commission est alertée par un État membre, une entreprise ou une fédération sur un pic d'importation susceptible de déstabiliser le marché, une procédure d'enquête s'ouvre. Comme il est important d'être réactif pour limiter le dommage, dans ce cas, les durées d'enquête sont plus contraignantes et des procédures d'urgence ont été prévues.
Un deuxième mécanisme de stabilisation a été prévu, en application du règlement UE n° 20/2013. Ce mécanisme consiste en un suivi fin des contingents autorisés et permet une suspension très rapide des droits de douane préférentiels lorsqu'ils sont dépassés. Ce suivi se fait sur les contingents autorisés et par pays. Si un contingent attribué à un pays est dépassé, le mécanisme de stabilisation se met immédiatement en place.
Je voudrais signaler que ces mesures de protection des marchés de produits sensibles ont été obtenues grâce à des actions répétées de la France, notamment en Comité de politique commerciale. Nous utilisons tous les outils à notre disposition quand nous souhaitons signaler à la Commission des problèmes particulièrement importants. Ainsi, trois « notes de la délégation française » ont été adressées entre 2009 et 2010 sur la sensibilité de certains produits, l'impact de cet accord de libre-échange sur le marché des régions ultrapériphériques et les risques de déstabilisation. Elles insistaient sur la mise en place de mécanismes de protection plus développés et sur un renforcement des clauses relatives aux régions ultrapériphériques.