Intervention de Astrid Leray

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 20 novembre 2014 : 1ère réunion
Stéréotypes masculins et féminins dans les jeux et les jouets — Audition de Mme Mona Zegaï doctorante en sociologie au centre de recherches sociologiques et politiques de paris - cultures et sociétés urbaines cresppa-csu à l'université paris viii vincennes-saint-denis et Mme Astrid Leray fondatrice du cabinet trezego

Astrid Leray, fondatrice du cabinet Trezego :

Je ne suis pas sociologue, mais formatrice et consultante sur les questions d'égalité. J'interviens dans divers contextes, et notamment auprès des professionnels de la petite enfance. Dans ce cadre, je parle des jouets et des objets de socialisation. J'ai fait une étude en 2013 sur les catalogues de Noël en cherchant un outil de formation dans ce domaine. Les résultats en étant flagrants, cette étude a été diffusée.

Je précise, quand j'interviens en formation, que la construction identitaire de l'enfant s'effectue par étape. Une phase égocentrée intervient de 0 à 2 ans. Ensuite, l'enfant comprend qu'il existe des hommes et des femmes ; il passe alors à une phase « sexocentrée », pendant laquelle il observe son entourage. Il ne comprend cependant pas encore si la différence entre garçons et filles, hommes et femmes, est liée aux activités ou à l'apparence. L'impact des jouets sur le développement de l'enfant est alors décisif. Il comprend progressivement qu'une petite fille deviendra une femme, et un garçon, un homme. Vers 5 ans, il sait que l'on est une femme ou un homme pour la vie. Pendant la période où il cherche des réponses, il souhaite plaire aux adultes et ne réalise pas vraiment ce que signifie être un homme ou une femme. Il est alors très observateur et conformiste. Dans le cadre de la socialisation différenciée, les stéréotypes des jouets se recoupent avec les stéréotypes véhiculés par les livres et ceux exprimés par les adultes, par exemple à travers de petites phrases comme « qu'elle est jolie ! », ou « Il est turbulent, c'est un vrai petit gars ! ». L'enfant établit alors une sorte de tableau à deux colonnes, « masculin » et « féminin » dans lequel il coche ses observations. L'influence des jeux est alors très importante.

En étudiant des catalogues, j'ai constaté que ceux-ci établissaient des distinctions non seulement par les jeux, mais également par l'aspect des enfants montrés en train de jouer. Sur dix catalogues, seulement 33 % des pages n'étaient pas « genrées » : il s'agissait des jeux d'éveil et des jeux de société. Toutes les autres pages étaient roses ou bleues.

Toutefois, ces jouets n'existent pas seulement sous deux couleurs différentes, rose et bleu. Ils représentent également deux univers différents. Jusqu'à 18 mois, les jouets portent seulement des codes couleur différents. Ensuite, en ce qui concerne les jeux de construction, le petit garçon construit la ferme ou la ville, et la petite fille construit l'écurie des licornes ou le château des fées. Dès 18 mois, il existe une différenciation.

Par la suite, une dichotomie s'installe, avec des jeux à l'intérieur pour les filles et à l'extérieur pour les garçons, des jeux pour les filles caractérisés par un contexte d'amitié et de sécurité, et des jeux pour les garçons faisant appel au danger et à la compétition. À ce titre, j'ai noté que 20 % des garçons mis en scène dans les catalogues avaient une arme à la main. Aucun jeu ne stimule le « faire ensemble ». La coopération est réservée aux univers d'amitié ou aux jeux de marchande pour les filles, alors que les garçons sont dans la compétition. Cela crée deux univers différents : les enfants n'ont plus de terrain commun pour « vivre ensemble ».

Au-delà de l'existence d'univers différents, la technicité à laquelle font appel les jouets est différente selon que l'on considère les jeux pour filles ou les jeux pour garçons. Dans les catalogues de jouets, les jeux pour filles sont pour la plupart autorisés à partir de trois ans (poupées, maquillage, dessin) ; ils n'évoluent pas beaucoup, même si, en fonction de l'âge, les filles auront des attitudes différentes envers ces jouets. En revanche, pour les garçons, il existe un apprentissage technique, les jouets sont de plus en plus complexes à utiliser, avec des distinctions précises selon les âges. Par exemple, le « Lego Friends » destiné aux filles est recommandé à partir de 4 ans, alors que les Lego pour garçons diffèrent selon des tranches d'âges allant de 5 ans à 12 ans, et connaissent une évolution technique croissante. Un talkie-walkie pour fille, à partir de trois ans, comporte un seul bouton. Pour les garçons, il existe un modèle simple, à partir de trois ans, et un modèle plus complexe, à partir de six ans. La technicité s'apprend à travers les jeux des garçons, auxquels les filles n'ont pas accès.

En tant que formatrice, je sensibilise les professionnels de la petite enfance au fait que le jeu n'est pas uniquement ludique, mais est également un objet d'apprentissage. Pour les filles, les jeux sont centrés sur la coopération et la verbalisation, alors que ceux des garçons sont axés sur la technique et la compétition. Les enfants ne reçoivent donc pas les mêmes armes pour trouver leur place dans la société.

J'utilise pour ma part le système de classification « ESAR », qui vient du Québec et qui permet de classifier les jeux selon les catégories suivantes :

- « E » correspond aux jeux d'exercice (éveil, développement moteur pour développer des activités sensorielles, olfactives, oeil-main) ;

- « S » regroupe les jeux symboliques (la marchande, les déguisements, la création d'univers symboliques) ;

- « A » correspond aux jeux d'assemblages (Lego, par exemple) ;

- « R » réunit les jeux de règles (football, jeux de société).

On s'aperçoit que les jeux de filles sont des jeux d'imitation (déguisement, marchande) et de coopération et se trouvent uniquement dans la catégorie des jeux symboliques. On stimule donc les filles sur une seule catégorie. Les jeux de filles en assemblage sont les puzzles et les Lego, mais les « Lego Friends » ne mettent pas du tout en avant la phase de construction dans leur démarche marketing, ce qui importe est le jeu « entre amies ». La publicité pour les Lego de garçons insiste en revanche beaucoup sur la construction. Actuellement, la segmentation marketing des jouets ne permet pas aux filles d'accéder à certains apprentissages.

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