Nous faisons toutes deux des constats semblables. Les jouets pour garçons évoluent davantage que les jouets pour filles en fonction de l'âge, ils suivent donc l'évolution psychologique des garçons, qui restent en outre plus longtemps dans l'univers du jouet, alors que les filles sont éloignées du jouet et renvoyées plus tôt vers les contingences quotidiennes.
Sur le plan économique, je formule quatre propositions.
En premier lieu, il convient d'encourager les fabricants à concevoir des produits non stéréotypés, proposés dans des espaces de vente non stéréotypés. Plusieurs mesures entrent en jeu pour cela :
- supprimer la signalétique « filles » et « garçons » au profit de rubriques par spécialité et par âge, pour que chaque jouet puisse être investi par les deux sexes sans ségrégation de genre. Certaines enseignes font déjà cet effort ;
- mettre fin au code couleur rose-bleu (sur le modèle de la licence « Tim et Lou » chez « La Grande Récré », qui est orange, mauve et verte) et inviter les acteurs à investir une large palette de couleurs ;
- mettre en scène conjointement des garçons et des filles sur les boîtes de jouets, dans les catalogues, sites internet et publicités télévisées, quel que soit le jouet proposé, et porter une attention particulière aux postures des enfants, qui sont très souvent caricaturales ;
- féminiser et masculiniser les noms de métiers et d'activités, sur le modèle des offres d'emploi : « infirmier-infirmière ». En effet, un garçon peut difficilement s'investir dans un déguisement présenté comme un déguisement d'« infirmière ». Les stéréotypes passent par le langage et ce dernier peut favoriser l'identification et la projection comme l'empêcher ;
- demander aux enseignes distributrices d'informer leurs vendeurs sur la nécessité d'éviter d'orienter les clients en fonction du sexe de l'enfant, mais plutôt en fonction de ses goûts. Je me suis fait embaucher chez Toys?R?Us comme vendeuse pour étudier de l'intérieur ce magasin et je n'ai eu aucune formation en ce sens.
La mise en place de ces mesures pourrait être favorisée par le développement de cabinets de conseil oeuvrant pour l'égalité femmes-hommes, qui pourraient orienter fabricants et distributeurs vers la suppression des stéréotypes de genre. Cette action pourrait être conduite en partenariat avec les syndicats professionnels.
La deuxième proposition consiste à mettre en place une charte de bonnes pratiques auprès des fabricants et distributeurs pour limiter la segmentation marketing en fonction du sexe des enfants. Cette charte vaudrait pour les jouets, leurs boîtes, les catalogues, les publicités télévisées et les sites internet. La signature de cette charte engagerait les entreprises à suivre certains grands principes, dont la mise en oeuvre serait vérifiée, et leur permettrait d'obtenir un label qui pourrait prendre la forme d'un logo apposé sur leur catalogue, attestant que l'égalité entre les sexes fait partie de leurs préoccupations. En 2009, le catalogue « La Grande Récré » comportait notamment la charte du spécialiste en jeux et jouets : l'enseigne s'engageait à valoriser le jeu et le jouet qui favorise l'éveil, l'épanouissement de l'enfant et le développement de son imagination et de ses capacités intellectuelles, ainsi que son apprentissage à la vie en société. Cette charte s'est progressivement réduite, puis a disparu. Actuellement, les bonnes pratiques ont disparu des catalogues, pour des raisons inconnues.
Le catalogue « 123 Familles » affirme cependant les engagements de l'enseigne dès la première page. « La Grande Récré » a en revanche diffusé un guide sur les fabricants français : l'égalité entre les sexes n'y est jamais mentionnée.
La troisième proposition a pour objet d'encourager et de valoriser les initiatives qui remettent en question les stéréotypes de genre et ouvrent le champ des possibles des enfants, comme « Tim et Lou », la coopérative Système U ou Smoby, qui représentent quelques garçons avec des poupons. Un site internet gouvernemental pourrait médiatiser ces bonnes pratiques. Il pourrait également être envisagé de mettre en place un système de « name & shame » qui favoriserait l'implication des consommateurs, sur le modèle du site « Macholand », monté par une équipe de féministes pour pointer les publicités sexistes, et qui comporte un formulaire pour écrire directement à l'entreprise qui a diffusé cette publicité. L'entreprise mise en cause retire généralement l'élément incriminé. En effet, les enseignes sont soucieuses de leur image de marque. Les pratiques commerciales qui luttent contre les stéréotypes, notamment en Suède, ont été obtenues des enseignes à la suite de critiques et de plaintes des consommateurs sur les réseaux sociaux.
La quatrième proposition concerne les acheteurs publics pour les crèches, les centres sociaux, les centres aérés ou les ludothèques et salles de jeux, qui se fournissent en jouets auprès des grandes enseignes. Il pourrait leur être imposé un cahier des charges pour ne choisir que des fournisseurs qui mènent une politique volontariste en faveur de l'égalité entre les sexes, par exemple en préférant acheter une cuisine rouge et grise plutôt que rose, et des poupons et accessoires de puériculture qui seraient dans d'autres couleurs que le rose.
Dans les ludothèques, bien que les ludothécaires cherchent à favoriser le jeu libre, il arrive qu'un espace entier soit rose.
L'achat par les bibliothèques municipales de livres pour enfants remettant en question les stéréotypes de genre pourrait être favorisé, et les ludothèques pourraient recevoir des consignes afin de favoriser la mixité dans le jeu. L'Association des ludothèques en Ile-de-France (ALIF) a réalisé un documentaire « Jeux de genre » et propose une mallette pédagogique sur ce sujet. L'ALIF affirme que les ludothèques sont des lieux atypiques, développant le concept de « libre jeu », c'est-à-dire la proposition de tous les types de jeux pour tous les publics, et l'assurance pour chacun de pouvoir se diriger librement vers le jeu de son choix. Les ludothécaires sont des professionnels qui favorisent l'activité ludique sans la contraindre : ainsi, les garçons jouent avec des « jeux de filles », les grands avec des jeux de petits. Les ludothèques permettent donc à tous l'accès aux jeux de leur choix, sans jugement. Il conviendrait donc peut-être de favoriser le développement des ludothèques, qui peuvent permettre aux enfants de découvrir des jouets qu'ils n'ont pas à leur domicile.
Dans le domaine de la formation et de la recherche, je formule trois propositions.
En premier lieu, je recommande d'introduire des modules d'enseignement sur les stéréotypes de genre et les inégalités entre les sexes pour favoriser une prise de conscience et une réflexion chez les acteurs concernés. Ces cours existent, mais sont peu développés. Ce module pourrait être enseigné dans des formations en économie et marketing, dans les universités et les écoles de commerce.
Des enseignements dans les écoles élémentaires et préélémentaires amèneraient les enfants à s'interroger sur les stéréotypes par des moyens interactifs. En les incitant à expérimenter l'ensemble de la gamme de jouets proposés, on leur ouvrirait le champ des possibles. Ce travail peut être mené par des associations.
Ces modules pourraient également être introduits dans la formation des futurs professionnels de la petite enfance et de l'enseignement, pour que les professionnels prennent conscience de leurs propres stéréotypes, afin d'éviter qu'ils les diffusent involontairement aux enfants par leur discours et leur comportement. À ce titre, les parents ont également des stéréotypes.
Il convient d'insister sur les conséquences des stéréotypes de genre : les garçons investissent plus la technique et l'orientation dans l'espace, ce qui peut avoir des conséquences sur les choix professionnels futurs, alors que les filles sont plus entraînées à développer l'aspect verbal et social.
Ces formations pourraient prendre place dans les Écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) et l'ensemble des formations liées à la petite enfance [certificat d'aptitude professionnelle (CAP) petite enfance, diplôme d'État d'éducateur de jeunes enfants (DEEJE), ludothécaire, assistant-e « maternel-le », pédiatre] et dans l'offre de formation continue et dans le cadre des reconversions professionnelles.
La deuxième proposition consiste à réaliser des campagnes d'information, par exemple sous forme d'affiches mettant en question les stéréotypes de genre dans les lieux d'accueil de la petite enfance, pour interpeller les professionnels et les parents. Dans la presse spécialisée marketing [« Revue du jouet » ou « Kazachok » (licences)], des articles, encadrés et images sensibiliseraient les professionnels à la question de l'égalité. Les institutions promouvant l'égalité pourraient également être présentes lors des forums « Kid Expo » ou « Trad'Expo ».
Dans les médias, des campagnes humoristiques pourraient aussi sensibiliser le grand public.
Enfin, il serait opportun d'encourager la recherche scientifique sur l'égalité entre filles et garçons en sociologie, économie, marketing, histoire, anthropologie. Des financements publics y participeraient. Ils pourraient également s'adresser à des associations qui oeuvrent pour l'égalité (Centre Hubertine Auclert, Egaligone, Adequations), afin qu'elles mènent chaque année une étude des catalogues de jouets pour mesurer les évolutions. La diffusion des résultats de ces travaux de recherche doit être encouragée, notamment en diffusant des livrets, ou sous forme d'expositions ou de documentaires.
Pour favoriser l'égalité, il est en outre nécessaire d'expliquer au grand public ce qu'est le genre. À ce titre, le documentaire de l'ALIF mériterait d'être diffusé, ainsi que la mallette pédagogique à destination des professionnels de la petite enfance.
Le 16/07/2022 à 18:30, aristide a dit :
Et là, certains vont répondre " non, ceux qui échouent à leurs examens n'ont pas droit à un respect égal à ceux qui réussissent leurs examens." La société de la compétition corrompt tout.
Le 16/07/2022 à 19:03, aristide a dit :
À l'heure où la recherche scientifique ne cesse de démontrer les énormes différences entre le cerveau féminin et le cerveau masculin, voilà que la dite sociologie nous indique qu'il faut mettre le cerveau féminin et le cerveau masculin sur un pied de totale égalité dans l'éducation. Chaque sexe a ses caractéristiques propres, ses goûts et inclinations, dont il faut savoir tirer parti pour encore mieux éduquer les enfants et les tirer vers le haut et non pas les tirer vers le bas avec cette bête idéologie qui vraiment nie l'évidence autant que le ridicule dans lequel elle s'enfonce.
Le 08/05/2022 à 13:51, aristide a dit :
"Enfin, il serait opportun d'encourager la recherche scientifique sur l'égalité entre filles et garçons en sociologie, économie, marketing, histoire, anthropologie"
Les filles et les garçons ne sont pas égaux, aucun être humain n'est égal à l'autre, mêmes les vrais jumeaux ont de petites différences... Alors pourquoi s'entêter dans l'erreur et la bête idéologie ? La seule égalité qui soit, c'est l'égalité en droits, car chaque être humain a droit à une égale dignité et un égal respect.
Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui