Intervention de Marylise Lebranchu

Réunion du 2 décembre 2014 à 14h30
Loi de finances pour 2015 — État b

Marylise Lebranchu, ministre :

L’avis du Gouvernement est naturellement, ou plutôt politiquement, défavorable.

On peut analyser les chiffres de diverses façons. Je dispose également des chiffres de l’INSEE, qui permettent d’évaluer la proportion de salariés absents pour raison de santé dans les trois fonctions publiques et dans le secteur privé.

Pour la fonction publique d’État, le taux d’absentéisme était de 2, 9 % en 2009, de 2, 9 % en 2011 et de 2, 9 % en 2012. Pour les enseignants, et pour les mêmes années, le taux d’absentéisme s’élevait respectivement à 1, 9 %, 2, 3 % et 2, 3 % – on observe un effet de l’instauration du jour de carence, même s’il est difficile à comprendre dans l’enseignement.

Pour la fonction publique hospitalière, on observe effectivement une diminution des jours d’absence. Pour les mêmes années, le taux d’absentéisme moyen dans le secteur privé était de 3, 8 %, 3, 6 % et 3, 5 %. Pour les secteurs public et privé réunis, les mêmes années, le taux d’absentéisme s’élevait à 3, 7 %, 3, 7 % et 3, 6 %. Ces chiffres sont donc extrêmement proches, à un epsilon près. Je les communiquerai bien évidemment aux rapporteurs et à la présidente de la commission des finances.

Il faut lire cette étude de l’INSEE dans son intégralité, car elle est très intéressante. On y précise que « la baisse de l’absentéisme au titre des arrêts maladie de courte durée a été en partie “ compensée ” par une hausse des congés pris au titre des accidents du travail, des maladies professionnelles et des maladies qui ne sont pas soumises au jour de carence ».

Nous avons examiné avec beaucoup de sérieux ce qui se passe quand, pour éviter de s’arrêter une journée, les salariés recourent à l’automédication – j’allais citer un nom de médicament, mais il est trop dangereux ! Quand le jour de carence a été instauré, les consultations médicales ont augmenté. Les personnes qui vont consulter lorsqu’elles se sentent malades obtiennent souvent de leur médecin un arrêt de maladie de trois jours, ce qui laisse le temps de voir comment la situation évolue, contagion ou non, virus ou non, antibiothérapie ou non.

Nous sommes donc tout à fait certains, aujourd’hui, que l’instauration du jour de carence, qui était couplée à l’augmentation des franchises, a représenté une charge supplémentaire de 80 euros, sans tenir compte des frais de garde des enfants, somme qu’il faut mettre en regard d’un traitement mensuel compris entre 1 300 euros et 1 500 euros, ce qui correspond à la situation de la très grande majorité de nos fonctionnaires. Du coup, le réflexe est de demander un arrêt plus long pour obtenir le remboursement en totalité.

Nous devons être bien conscients de cette situation. On peut imaginer que nos fonctionnaires s’amusent à s’absenter n’importe quand. Si tel était le cas, la preuve serait faite que les fonctionnaires se sentent vraiment peu impliqués dans leur travail, ce qui attesterait l’existence d’un réel problème de gestion des ressources humaines !

J’ajoute que l’on observe la même augmentation du nombre de jours d’absence dans les hôpitaux, mais aussi dans les cliniques et dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, c’est-à-dire partout où les conditions de travail sont difficiles.

Vous vous appuyez sur une étude du groupe d’assurances Sofaxis qui porte essentiellement sur les fonctionnaires ayant obtenu de leurs élus locaux la prise en charge du jour de carence, pour un coût de 8 euros à 12 euros par salarié et par mois, selon les éléments que nous avons pu trouver. C’est-à-dire que l’instauration du jour de carence a entraîné, pour ces collectivités, une dépense supplémentaire !

Je comprends tout à fait la position de la Sofaxis, qui, en toute bonne foi, a intérêt au rétablissement du jour de carence dans toutes les fonctions publiques, et en particulier dans la fonction publique territoriale. En effet, à partir du moment où l’on compare secteur public et secteur privé et que l’on se penche sur la situation du secteur privé, on découvre que 77 % des salariés des grands groupes et 47 % des salariés des entreprises plus petites souscrivent une assurance pour couvrir les jours de carence. Le groupe Sofaxis a donc un énorme marché devant lui et il a intérêt à bien diffuser ces chiffres auprès des employeurs publics : s’il vous plaît, mesdames, messieurs les employeurs publics, souscrivez une protection sociale privée pour couvrir le jour de carence ! Il est évident que cela ne nuira pas au chiffre d’affaires de la Sofaxis...

Au total, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne sais pas ce que vous allez gagner en adoptant ces amendements. On peut trouver formidable d’ouvrir des marchés aux assureurs, mais telle n’est peut-être pas la finalité première du décideur public ni de la dépense publique…

Je retiens de l’ensemble des chiffres dont je dispose une diminution du nombre d’arrêts de maladie très courts, mais une augmentation des congés de maladie plus longs et des accidents du travail. Ces éléments ne sont pas de nature à nous faire changer d’avis.

Je pense que l’on sera amené à créer une protection sociale privée si l’on rétablit le jour de carence, car, après tout, si l’on admet que l’État est un grand groupe, on ne voit pas pourquoi il agirait autrement qu’un grand groupe du secteur privé. Les collectivités locales sont, de leur côté, assimilables à des PME et disposent même souvent d’un peu plus de moyens. Sofaxis et bien d’autres auront donc un beau champ d’action devant eux et nous n’aurons rien gagné en termes de dépenses publiques.

À mon avis, ce combat n’a pas lieu d’être, sans compter qu’il renforce le sentiment d’injustice et d’indignité chez les fonctionnaires. Il est inutile d’en rajouter, il y en a assez comme ça !

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