Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, mon intervention portera exclusivement sur les relations de l’État avec les collectivités territoriales des outre-mer. Devant votre silence sur cette question, votre façon de l’occulter ou de la traiter avec une certaine légèreté dans les instances les plus officielles, il nous appartient à nous, ultramarins, de nous en préoccuper, en profitant du moindre espace qui nous est offert pour vous faire mieux connaître nos réalités locales, bien différentes de celles des collectivités de métropole.
Vous avez voulu que la France soit diverse, en l’étendant pratiquement sous toutes les latitudes. La Constitution française reconnaît la nécessité d’adapter la législation à la réalité des outre-mer. Son article 73 est plus que formel sur ce point, puisqu’il met l’accent de façon explicite sur les lois et règlements qui « peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières » des départements et régions d’outre-mer.
Dois-je vous insister fortement en vous le rappelant pour que vous en teniez compte ? Car ce n’est pas le cas actuellement. Pour ce qui est des finances locales, sujet qui nous intéresse aujourd’hui, nous sommes en effet dans un mode de fonctionnement assez particulier, avec quelquefois des « zestes » de droit commun et, d’autres fois, des exceptions, des dérogations, au nom des spécificités ultramarines.
Vous préférez d’ailleurs employer le terme de « spécificités » au lieu de reprendre l’expression « caractéristiques et contraintes particulières », qui figure dans la Constitution. Le sens est loin d’être le même, « spécificités » renvoyant à une comparaison, en l’occurrence une comparaison avec les collectivités de métropole, « caractéristiques et contraintes particulières » renvoyant à la réalité, à ce qui existe effectivement.
Vous refusez de considérer le problème. Le produit intérieur brut des outre-mer, leur indice de développement humain, à la traîne par rapport aux collectivités de métropole, ne retiennent pas l’attention.
En conséquence, les collectivités des départements et régions d’outre-mer subissent des doubles, voire des triples peines.
Par exemple, le droit commun leur est appliqué sur le prélèvement de la dotation globale de fonctionnement à un niveau plus élevé qu’en métropole, parce que le niveau moyen de recettes – mais aussi de dépenses – par habitant y est aussi plus élevé. En revanche, il ne leur est pas appliqué quand cela leur permettrait de faire valoir la faiblesse relative du niveau de revenu de leurs habitants, notamment via le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC.
De même, pour la dotation de base des communes de Guyane, on applique intégralement le droit commun, à savoir le critère du nombre d’habitants multiplié par le coefficient multiplicateur de la population de la commune. En revanche, on refuse de tenir compte de la population non recensée volontairement par l’INSEE pour cause de dangerosité – les agents de l’INSEE refusent en effet de recenser la population guyanaise des zones aurifères, pour des raisons de sécurité – en ne mettant pas en place un indice de majoration comme on le fait en France métropolitaine pour les communes qui accueillent des gens du voyage.
L’exemple de la dotation superficiaire des communes de Guyane est plus explicite encore. En dépit de toutes les problématiques que rencontrent bon nombre de ces communes en raison de leur grande superficie – vous n’ignorez pas que la Guyane est un vaste département de plus de 83 000 kilomètres carrés, qui se caractérise par une occupation humaine éclatée sur tout le territoire, avec toutes les normes françaises à respecter –, cette dotation est plafonnée, au prétexte que ces communes consommeraient 5 % de l’enveloppe pour 0, 37 % de la population. Au titre de cette dotation, la Guyane ne perçoit que 1, 44 euro par hectare, alors que toutes les communes de France perçoivent 3, 22 euros et que les communes métropolitaines de montagne, en raison de leurs contraintes particulières – j’insiste sur ce terme – perçoivent 5, 37 euros. « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » !
En fait, on applique le droit commun aux outre-mer quand cela leur est défavorable. En revanche, quand il leur est favorable, on ne l’applique pas. L’ancien Premier président de la Cour des comptes, feu Philippe Séguin, avait tout à fait raison de considérer que les causes structurelles des difficultés rencontrées par les collectivités des outre-mer venaient en grande partie du problème de l’adaptation des dotations de droit commun à ces collectivités.
Vous m’objecterez, monsieur le secrétaire d’État, que les communes de Guyane sont mieux dotées que les autres, que le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC, comme les autres fonds de péréquation, bénéficie fortement aux outre-mer. Il est toutefois trop réducteur de se focaliser ainsi exclusivement sur les recettes. L’autonomie financière des collectivités repose autant sur leur niveau de ressources que sur celui de leurs dépenses.
Monsieur le secrétaire d’État, il vous faut appréhender que les outre-mer font face à des charges incontestablement plus élevées que la métropole, en raison, d’une part, d’une situation économique et sociale beaucoup plus tendue, d’autre part, des éléments liés à leur environnement propre.
À la demande du Président de la République, de vous-même et de deux autres de vos collègues, mission m’a été confiée de formuler des propositions d’amélioration de la situation financière de ces collectivités. Je vous ai remis mon rapport en septembre 2014. Il comprend 41 propositions portant sur un meilleur travail fiscal, qui relève de la responsabilité de l’État, et sur une réelle adaptation des dotations aux réalités locales. Vous m’avez tout récemment dit que ces propositions étaient en cours d’analyse… J’espère qu’elles ne le resteront pas éternellement, et que j’obtiendrai déjà certaines avancées lors de la présentation de mes amendements dans quelques instants.
En 2015, seront réformées la dotation globale de fonctionnement et la fiscalité locale. Des groupes de travail vont être constitués. Nous tenons, nous, ultramarins, à y être associés, et ce dès l’amont. C’est l’une de nos légitimes revendications que d’être plus représentés dans toutes les instances compétentes en matière de finances locales.