Intervention de Michelle Meunier

Commission des affaires sociales — Réunion du 3 décembre 2014 : 1ère réunion
Protection de l'enfant — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Michelle MeunierMichelle Meunier, rapporteure :

La Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant, dont nous venons de fêter le vingt-cinquième anniversaire, pose le principe fondamental, repris dans notre code de l'action sociale et des familles, selon lequel « l'intérêt de l'enfant, la prise en compte de ses besoins et le respect de ses droits doivent guider toute décision le concernant. »

Replacer l'intérêt supérieur de l'enfant au coeur du dispositif de protection de l'enfance : telle est bien la démarche qui anime la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.

Déposé par notre collègue Muguette Dini et moi-même en septembre dernier, ce texte est en grande partie le fruit des conclusions du récent rapport d'information que la commission nous avait confié au début de l'année. Notre mandat, je le rappelle, poursuivait deux objectifs : dresser un état des lieux de la mise en oeuvre de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance et proposer des améliorations du dispositif actuel.

De l'avis général, la loi de 2007 est globalement une bonne loi ; elle a permis au dispositif de gagner en lisibilité et en efficacité. Son déploiement connaît cependant des retards et des inerties. Elle est en outre insuffisamment dotée pour répondre au problème de l'instabilité des parcours de prise en charge de certains enfants.

Forte de ce constat, la proposition de loi, composée de vingt-trois articles, se structure autour d'un triple objectif : améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l'enfance, sécuriser le parcours de l'enfant et diversifier les outils dont nous disposons en adaptant le statut de l'enfant confié.

Permettez-moi de revenir successivement sur chacun de ces trois volets.

S'agissant de la gouvernance, malgré des avancées locales, le constat général est celui d'une coopération globalement insuffisante et d'un cloisonnement encore très marqué entre les différents secteurs d'intervention. Si l'existence de pratiques et d'interprétations disparates est inhérente à toute politique décentralisée, une coordination a minima s'avère indispensable, ne serait-ce qu'au regard des enjeux d'égalité de traitement. A cet égard, il manque à la politique de protection de l'enfance un cadre qui permette de lui donner une réelle impulsion nationale.

C'est pourquoi l'article 1er vise à créer une instance nationale, placée auprès du Premier ministre afin de regrouper l'ensemble des acteurs concernés. Ce « Conseil national de la protection de l'enfance » se substituerait à des instances qui ne se réunissent plus et serait chargé de proposer au Gouvernement les orientations nationales de la politique de protection de l'enfance et d'en évaluer la mise en oeuvre.

L'article 2 vise à rendre effective l'obligation légale de formation initiale et continue des acteurs de la protection de l'enfance. A cet effet, les observatoires départementaux de la protection de l'enfance (ODPE) se verront confier une mission de programmation et d'évaluation des formations dispensées dans ce domaine.

Des marges de progression existent également pour rendre le dispositif de repérage des situations de danger, piloté par les Cellules de recueil, d'évaluation et de traitement des informations préoccupantes (Crip), encore plus performant. Les professionnels de santé sont un maillon essentiel de la protection de l'enfance car ils sont les acteurs de proximité les plus à même de détecter les signes de maltraitance. Pourtant, le milieu médical représente une très faible part des sources d'informations préoccupantes et des signalements.

Plusieurs éléments expliquent cette situation : le manque de formation aux problématiques de l'enfance en danger, une méconnaissance des procédures mises en place à l'échelle du département, un certain isolement professionnel (pour les médecins libéraux) ou encore la crainte des poursuites judiciaires (pour dénonciation calomnieuse notamment).

Pour apporter une première réponse à cette situation, l'article 4 de la proposition de loi prévoit la désignation, dans chaque service départemental de PMI, d'un médecin référent « protection de l'enfance » chargé d'établir des liens de travail réguliers entre les services départementaux, les médecins libéraux et hospitaliers ainsi que les médecins de santé scolaire du département. Tout en soulignant que ce nouveau dispositif ne devait pas conduire à limiter les autres activités, aujourd'hui très diverses, des services de PMI, le syndicat des médecins de PMI que j'ai auditionné, s'est montré favorable à cette mesure. De manière plus générale, il demeure toutefois bien entendu nécessaire d'apporter des réponses concrètes au manque structurel de moyens dont souffre la PMI dans notre pays.

Les dispositions relatives à la sécurisation du parcours de l'enfant poursuivent trois orientations.

En premier lieu, les articles 5 à 7 visent à renforcer le rôle du projet pour l'enfant en précisant d'avantage son contenu ainsi que ses modalités d'élaboration. Ce document élaboré pour chaque enfant bénéficiant d'une intervention de l'assistance éducative est un des principaux apports de la loi de 2007. C'est un outil qui doit permettre de coordonner les actions des différents acteurs appelés à intervenir auprès de l'enfant, afin de veiller à ce que son intérêt soit le principe directeur de toute prise en charge. Il est toutefois utilisé de manière inégale par les services départementaux, qui le considèrent encore trop souvent comme une lourdeur administrative.

Le PPE devra être régulièrement actualisé, ce qui est encore trop rarement le cas, et examiné par une commission pluridisciplinaire à l'occasion de son adoption puis de chaque révision annuelle.

Par ailleurs, le PPE devra prévoir les modalités selon lesquelles les actes usuels de l'autorité parentale, sources de difficultés voire de conflits dans la prise en charge de l'enfant au quotidien, pourront être exercés, notamment par les assistants familiaux.

Toujours dans la perspective d'améliorer le suivi de l'enfant placé, l'article 9 vise à enrichir le contenu du rapport annuel établi par le service de l'ASE par une analyse de l'état de santé physique et psychique de l'enfant, de son développement, de sa scolarité, de sa vie sociale, de ses relations familiales, et par une référence à son projet de vie.

En deuxième lieu, plusieurs articles de la proposition de loi visent à garantir une plus grande stabilité des parcours des enfants pris en charge par l'ASE. Notre système de protection de l'enfance donne la priorité à la politique de soutien à la parentalité, l'éloignement du milieu familial n'étant envisagé qu'en dernier recours. Cependant, malgré les différentes aides qui peuvent leur être apportées, certaines familles, pour des raisons diverses, ne sont pas ou plus en mesure d'assurer le développement et l'éducation de leurs enfants dans des conditions satisfaisantes. Dans certains cas, et notamment lorsque la famille est à l'origine de faits pénalement condamnables, le maintien des liens peut même être nocif pour l'enfant. Les enfants concernés par ces situations sont alors placés auprès de l'ASE pendant une période généralement longue, qui peut durer jusqu'à leur majorité. Leur prise en charge se heurte aujourd'hui à deux problèmes majeurs : la trop grande instabilité de leur parcours, qui se caractérise par des changements fréquents de lieux d'accueil, et l'absence de perspective quant à une possible évolution de leur statut juridique, qui leur permettrait de bénéficier d'une « seconde chance familiale ».

Il apparaît tout d'abord indispensable d'encadrer davantage les décisions de changement de famille d'accueil. L'article 8 propose de conditionner la modification du lieu d'accueil d'un enfant, confié depuis plus de trois ans à la même famille, à l'avis du juge à l'origine de la mesure de placement. Il arrive en effet que l'ASE confie l'enfant à une nouvelle famille, alors que ni lui, ni sa précédente famille d'accueil ne souhaitaient cette modification. Si une telle décision peut être motivée par des raisons légitimes, il arrive qu'elle ne le soit pas. En tout état de cause, elle n'est pas sans conséquence pour l'enfant et la famille d'accueil qui, avec le temps, ont tissé des liens affectifs parfois très forts.

L'article 11 vise quant à lui à ce qu'une solution pérenne, garantissant la stabilité des conditions de vie de l'enfant et lui offrant une continuité relationnelle, affective, éducative et géographique, soit trouvée lorsque la mesure de placement atteint une certaine durée. Cette solution peut passer par un placement long, par une délégation totale ou partielle de l'autorité parentale, ou encore par une adoption.

En troisième lieu, il convient d'assurer une meilleure représentation des droits de l'enfant dans la procédure d'assistance éducative. Le juge a la possibilité de désigner un administrateur ad hoc, c'est-à-dire une personne qui se substitue aux représentants légaux de l'enfant mineur pour protéger ses intérêts et exercer ses droits. Cette possibilité est cependant insuffisamment exploitée en raison de la pénurie d'administrateurs ad hoc, si bien qu'au final, nombre de conseils généraux sont désignés par défaut. Cette solution de substitution n'est pas satisfaisante car elle crée une confusion entre la mission générale de protection de l'enfance qui incombe au conseil général et la mission plus particulière de représentation de l'enfant qui doit échoir à une personne « extérieure ». L'article 17 systématise donc la désignation par le juge des enfants d'un administrateur ad hoc, indépendant des parents et du service gardien, pour représenter l'enfant mineur. Bien entendu, la mise en oeuvre de cet article ne pourra se concevoir sans réforme du statut de l'administrateur ad hoc afin de rendre cette fonction plus attractive et mettre en place une formation obligatoire pour les personnes qui y sont candidates.

Au-delà de l'enjeu de stabilisation des parcours, il convient de s'interroger sur le statut des enfants placés sur le long terme.

Pour se construire, ces enfants, durablement voire définitivement éloignés de leur famille d'origine, ont besoin de développer une relation d'attachement et d'appartenance à une autre famille, qui peut être une famille d'accueil, un tiers digne de confiance ou une famille d'adoption. Si en France l'accueil familial demeure la solution privilégiée, l'adoption en tant que modalité de protection de l'enfance n'est que très peu entrée dans les mentalités et dans la pratique. Elle permet pourtant de construire des projets de vie adaptés à la situation de certains enfants. Plusieurs articles de la proposition de loi visent donc à encourager cette démarche.

Tout d'abord, pour promouvoir l'adoption comme dispositif de protection de l'enfance, l'article 12 vise à rendre l'adoption simple irrévocable pendant toute la durée de la minorité de l'enfant (sauf s'il est justifié de motifs graves et dans ce cas à la demande du ministère public uniquement). Cette forme d'adoption, aujourd'hui essentiellement de nature intrafamiliale, reste en effet très peu employée au profit d'enfants placés en raison principalement de sa révocabilité et du maintien des relations avec la famille d'origine. Pourtant, elle peut correspondre aux besoins de certains enfants et à l'attente de certains candidats agréés pour l'adoption.

L'article 14 ouvre en outre la possibilité de ré-adopter par la voie de l'adoption plénière des enfants déjà adoptés sous ce régime mais devenus pupilles de l'Etat. Il s'agit de leur ouvrir une « seconde chance familiale ».

Parallèlement, l'article 15 prévoit d'améliorer la prise en compte de l'intérêt de l'enfant dans la procédure d'adoption.

Ces articles ne visent en aucun cas à faire des enfants placés un « palliatif » au désir d'enfant non satisfait des candidats à l'adoption. Au contraire, il s'agit de permettre à ces enfants d'acquérir un véritable statut qui réponde à leurs besoins fondamentaux et de grandir dans un environnement affectif et éducatif sécurisé.

Ensuite, l'article 18, qui réforme la procédure de la déclaration judiciaire d'abandon en lui substituant une procédure de « déclaration judiciaire de délaissement » parental, vise à mieux reconnaître ce dernier. En l'état actuel du droit, la déclaration judiciaire d'abandon, qui est l'étape préalable à l'admission de l'enfant en qualité de pupille de l'Etat et à son adoption éventuelle, reste peu mise en oeuvre. Cela s'explique notamment par la rédaction ambiguë de la loi qui dissuade souvent les services sociaux de déposer une requête, la notion de « désintérêt manifeste » des parents étant sujette à interprétation.

Enfin, il importe de développer le recours au retrait total de l'autorité parentale pour que les enfants accueillis à l'ASE par cette voie puissent eux aussi éventuellement faire l'objet d'un projet d'adoption. La rareté d'utilisation de cette procédure s'explique principalement par la réticence des professionnels à envisager une rupture du lien de filiation biologique. C'est la raison pour laquelle l'article 20 prévoit le retrait de l'autorité parentale dès lors que le parent s'est rendu coupable d'un crime ou délit sur la personne de l'autre parent ou de l'enfant. J'évoquerai à nouveau tout à l'heure cette proposition qui nécessite quelque ajustement pour garantir son caractère constitutionnel.

En complément de ces dispositions, la proposition de loi comporte plusieurs articles qui ne sont pas directement issus du rapport d'information que la commission nous avait confié mais qui répondent eux aussi à l'objectif d'une meilleure prise en compte de l'intérêt dans l'enfant dans le dispositif de protection de l'enfance.

L'article 13 prévoit la mise en place d'un suivi médical, psychologique et éducatif lorsqu'un enfant né sous le secret est reconnu par au moins l'un de ses parents. Il permet ainsi la mise en oeuvre d'une préconisation émise par le Défenseur des droits dans le rapport relatif à aux dysfonctionnements apparus dans le parcours de prise en charge de la petite Marina.

L'article 19 entend quant à lui renforcer la sécurité juridique du recours contre l'arrêté d'admission en pupille de l'Etat en définissant de façon plus précise les membres de la famille ayant qualité pour agir.

Quant à l'article 22, il propose d'inscrire expressément dans notre code pénal l'inceste sur mineur comme une infraction à part entière et d'en faire une circonstance aggravante de la peine principale. Notre assemblée a déjà eu l'occasion d'adopter un dispositif comparable avant que celui-ci ne soit en partie censuré par le juge constitutionnel en raison de son imprécision. La solution proposée tire les enseignements de cette décision. Elle permet ainsi enfin une prise en compte des violences et traumatismes spécifiques endurés par les enfants victimes d'inceste.

Les personnes que j'ai auditionnées ont réservé un accueil globalement très favorable à cette proposition de loi. J'ai néanmoins été convaincue de la nécessité de faire évoluer le texte sur plusieurs points :

- il me semblerait notamment utile d'améliorer la rédaction de l'article 5 sur le PPE. De même, sans remettre en cause l'objectif qui est de prévenir les difficultés qui peuvent survenir dans la prise en charge quotidienne, je proposerai de modifier la rédaction de l'article 6 concernant l'exercice actes usuels de l'autorité parentale ;

- l'article 13, relatif au suivi instauré en cas de reconnaissance d'un enfant né sous le secret, gagnerait lui aussi à être précisé. Je propose de substituer à l'obligation actuelle de suivi une possibilité d'accompagnement afin de garantir le droit au respect de la vie privée et familiale. Il s'agit également d'éviter que certains parents puissent éprouver un sentiment de « mise sous tutelle » de l'autorité parentale ;

- de même, comme je l'ai évoqué précédemment, je vous proposerai de supprimer le caractère automatique du retrait de l'autorité parentale prévu à l'article 20 et de laisser une liberté d'appréciation au juge afin de garantir que le dispositif proposé soit compatible avec les exigences constitutionnelles.

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